AVRIL 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Xu Lianzhi : de tout cœur avec les sidatiques

GAO YANFANG

M. Pu Cunxi, un artiste, participe activement à l’activité de prévention du sida organisée par le ministère de la Santé publique.

BIEN que Xu Lianzhi eût déjà entendu parler du sida dans les rapports, les documents médicaux et les articles de journaux, qu’elle eût effectué des recherches sur les maladies contagieuses depuis des dizaines d’années et qu’elle fût entrée en contact avec toutes sortes de malades, elle en a frissonné le jour où elle s’est trouvée devant un sidatique pour la première fois.

C’est il y a 12 ans, en 1990, que le service des maladies infectieuses de l’hôpital où elle travaille a reçu le premier patient atteint du sida. C’était un chercheur scientifique nommé Zhang, âgé alors de plus de 50 ans, qui avait été à l’étranger pendant un an. À son retour en Chine, on avait diagnostiqué sa maladie. Zhang avait alors plongé dans une humeur instable : tantôt il faisait des colères terribles, les yeux hagards, tantôt il pleurait en cassant ce qui lui tombait sous la main. La sensibilité professionnelle de Xu lui avait fait rapidement découvrir des pustules sanieuses dans la longue chevelure du malade. Ce qui lui faisait peur, c’était la terreur, le désespoir, ainsi que les remords vifs et étouffés que les regards de ce malade laissaient voir.

À ce moment-là, Mme Xu s’est vraiment rendu compte du fossé qui existait entre le sida et la Chine. Avant cela, comme la plupart des Chinois de cette époque, elle croyait que cette maladie n’existait pratiquement qu’à l’étranger, très loin d’eux. La rencontre de Zhang l’a fait passer des illusions à la réalité. « Cette maladie est bien réelle », s’était-elle dit alors.

La réalité a amplement prouvé son intuition. Selon les dossiers de certains départements, avant 1993, le taux de pénétration du sida s’était toujours maintenu à un niveau très bas en Chine. Pourtant, après 1994, la situation s’est aggravée. Le nombre des sidatiques atteignait déjà 10 000 personnes et la Chine entrait dans une période de propagation rapide.

Travaillant dans le service des maladies contagieuses, Mme Xu a plus d’occasions d’entrer en contact avec des sidatiques. D’après une enquête effectuée sur son travail,  depuis 1985, année où l’on a découvert le premier cas de sida en Chine, plus de 200 sidatiques au moins ont été soignés par Mme Xu, encore davantage l’ont consultée. Elle est le médecin qui a rencontré le plus de séropositifs et le plus de sidatiques en Chine.

Mais contrairement à l’étranger où l’on connaît bien le sida, en Chine, cette maladie reste un peu mystérieuse. Particulièrement pendant les années 90, comme les médias ne faisaient pas beaucoup de reportages sur cette maladie,  sur ses modes de propagation et sa prévention, on savait seulement qu’elle était incurable et contagieuse, mais sans en avoir des connaissances scientifiques. Il y avait même certaines personnes qui croyaient que c’était un fléau découlant uniquement de l’acte sexuel, ignorant que le sida pouvait aussi se propager par la drogue, les transfusions de sang et autres canaux.  Dans ce contexte, aussi bien parmi les malades que les gens ordinaires, on portait beaucoup d’attention aux rapports entre la mort et l’acte sexuel, car aux yeux des Chinois relativement conservateurs qui adoptent une attitude négative à l’égard des conduites sexuelles libertines, on doit se méfier davantage des maladies causées par l’acte sexuel. Les préjugés mesquins ont fait en sorte que les sidatiques chinois éprouvaient une forte honte et supportaient une grande pression physique et morale. Ils n’avaient pas le courage d’affronter leur famille et leurs collègues. Le cœur serré, le malade choisissait de rester isolé du monde extérieur.

Intérieurement, Xu Lianzhi savait bien que si la personne est atteinte de cette maladie incurable, il ne lui reste pas beaucoup de temps à vivre. Devra-t-elle passer les derniers jours de sa vie dans le malheur et le désespoir ? Voilà les questions que s’est posée Mme Xu.

Des expériences émouvantes

D’un naturel compatissant, cette femme avait cessé d’avoir peur du sida. Mais agir ainsi n’était pas chose facile. Au début, les malades ne voulaient pas la recevoir. C’était justement le cas de ce monsieur Zhang. Il avait des cheveux très longs, et en plus, des pustules sur le cuir chevelu. Si un coiffeur, ignorant que le sida pouvait se propager par le sang ou tout simplement inexpérimenté, lui avait coupé les cheveux, cela aurait pu être très dangereux. Xu a donc décidé de le coiffer elle-même. « Mais je ne veux pas me faire coiffer », lui dit sèchement Zhang. « Comment, vous n’avez pas confiance en moi ? Je maîtrise très bien la coiffure ! », lui rétorqua alors Xu, patiente et souriante. Ne laissant trahir aucune émotion, Xu le fit asseoir et lui dit : « Le patient doit écouter ce que dit le médecin, asseyez-vous et laissez-moi vous faire une coupe de cheveux. » Zhang accepta finalement de s’asseoir, non sans hésitation, à côté du médecin. Le docteur Xu tenta donc de lui laver les cheveux et de causer avec lui, ce qui réussit peu à peu à ouvrir ce cœur bien fermé. Graduellement, un sourire s’esquissa sur le visage maigre et jaunâtre de M. Zhang et, dans ses yeux, le monde n’était plus noir.

Grâce à l’amour et au courage de Mme Xu, des sidatiques ont retrouvé l’amour-propre qu’ils avaient perdu depuis longtemps. Beaucoup de malades l’accueillent progressivement et sont prêts à lui ouvrir leur cœur.

Les travailleurs médicaux du Foyer du Cœur offrent un traitement psychologique à un sidatique.

Xiao Li est un jeune homme. À cause de sa maladie, il était très maigre. Un jour, il a dit au docteur Xu, les larmes aux yeux : « Je sais bien qu’il ne me reste pas beaucoup de temps à vivre et j’ai déjà rédigé un testament. » Mme Xu, lui caressant la tête, lui demanda doucement : « Dis-moi, qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » « Maman, puis-je vous appeler Maman ? Je voudrais manger de la courgette sautée comme ma mère en préparait », lui dit Xiao Li avec émotion.

S’inquiétant du fait que, fort probablement, il n’aurait pas le temps d’attendre l’arrivée de sa mère qui demeurait au loin, Mme Xu téléphona immédiatement à cette dernière pour lui demander la recette du plat de courgettes. Puis, elle est allée au marché pour acheter elle-même les courgettes nécessaires. En présentant à Xiao Li le plat qu’elle avait préparé, Mme Xu lui dit : « Goûte un peu, mon enfant, je peux préparer la courgette comme ta mère. » « C’est très bon ! » la remercia Xiao Li, les larmes aux yeux.

Les actes de Mme Xu ne sont pas compris et approuvés par tout le monde. À cause de la crainte du sida, certains amis et parents s’éloignent d’elle. Il y en a qui lui ont demandé carrément : « Est-ce par compassion ou par professionnalisme que vous apportez des soins aux sidatiques ? » À ceux-là, elle a répondu tranquillement : « Mes sentiments à l’égard des malades sont sincères. Tout le monde a peur d’être contaminé. Mais d’après moi, le sida est comme l’hépatite, la varicelle, la rougeole et d’autres maladies contagieuses. Cette maladie n’influera pas sur la santé, à condition de respecter strictement la règle de l’isolement et de subir un examen annuel. Beaucoup de personnes croient que ce métier est dangereux.  Mais regardez-moi, je travaille depuis 38 ans, ne suis-je pas en bonne santé ? Ce qui est le plus précieux pour une personne, c’est la vie, poursuit-elle, le malade vous donne sa vie, vous, le médecin, n’avez aucune raison de ne pas l’aider. Si vous paraissez ennuyé, que vous vous plaignez des malades et que vous les traitez avec partialité, ce n’est pas idéal pour contrôler le sida. Bien sûr que je traite les sidatiques avec beaucoup de soins, et si je le fais, ce n’est pas que j’approuve leur conduite répréhensible, je fais tout mon possible uniquement pour leur donner plus de soins. »

De nombreux contacts avec des patients atteints du sida ont persuadé Mme Xu qu’elle devait faire quelque chose pour eux.

En Chine, comme on craint le sida, beaucoup de séropositifs ont peur d’être mal vus dans la société. Ils sont inquiets et sentent une grande pression quand ils subissent un examen, certains même fuient les services médicaux. Résultat : d’une part, cela raccourcit leur espérance de vie, à partir du moment du diagnostic de la maladie, et d’autre part, ceci a un impact négatif sur le contrôle et la prévention du sida dans toute la société.

D’après Xu Lianzhi, renforcer à temps l’observation médicale des séropositifs, le diagnostic et le traitement des malades est la clef de la prévention et du contrôle du sida. Un jour,  Mme Xu est allée au bureau de son directeur et lui a dit : « Je voudrais établir un service de consultation sur le sida dans notre hôpital, qu’en pensez-vous ? ».  Le 1er décembre 1995, Journée du sida, un service de consultation et de prévention du sida à l’intention des sidatiques a été établi à l’hôpital de You’an.

« Puisque je travaille auprès des sidatiques, je pense que je les connais très bien. La propagation de cette maladie prend des formes variées, soit par les rapports sexuels ou par le sang. La plupart des sidatiques que j’ai rencontrés ont été contaminés par des rapports hétérosexuels, mais il y a aussi des homosexuels », a dit Mme Xu. Le sida peut être prévenu. Prévenir le sida est le devoir de chaque citoyen, car avoir une bonne santé n’est pas une affaire personnelle, cela concerne la famille et la société.

Xu Lianzhi accueille bien tous ceux qui la consultent et elle les aide à retrouver un état psychologique normal. Elle leur dit que le meilleur moyen de prévenir le sida est d’opérer une rupture avec le mode de propagation. On doit tenter de respecter une morale au plan sexuel et de corriger les actes répréhensibles.

Certains malades parlent de leurs problèmes familiaux, ils demandent s’ils peuvent se marier ou non, et ils veulent recevoir une assistance complète. Mme Xu dit : « Je ne peux que leur dire que leur sang et leur sperme sont porteurs du virus et que je crois qu’ils devront adopter une attitude responsable. En fait, il suffit de leur dire la vérité et le malade peut juger lui-même. »

Un engagement diversifié

En plus de ce travail, cette experte sexagénaire, spécialisée depuis des années dans la recherche sur le sida et les traitements cliniques, prend l’autobus tous les jeudis, en après-midi, pour se rendre de l’hôpital You’an à l’Association de la prévention des maladies vénériennes et du sida, située dans l’arrondissement Xicheng de Beijing, afin de répondre à la ligne ouverte sur le sida. Là, on peut la voir, téléphone à la main, en train de prendre des notes sur le registre de la ligne ouverte. En même temps, elle tente toujours de conseiller la personne à l’autre bout du fil d’aller passer des examens à l’hôpital.

Pendant sa carrière, le plus grand obstacle qu’elle a rencontré, c’est la froideur des familles vis-à-vis des membres atteints de sida. Le premier malade qu’elle a soigné lui a dit : « Mme Xu, je n’ai pas peur de mourir, tout le monde meurt. Ce dont j’ai le plus peur, c’est que mes parents et mes amis s’éloignent de moi. Ils n’osent même pas me donner un coup de téléphone ». Cette situation se produit chez chaque patient atteint du sida. Cela angoissait beaucoup le docteur Xu. Elle se rendait compte que les soins et l’amour des médecins envers les sidatiques ne suffisaient pas pour prévenir et contrôler cette maladie. Comment faire alors ? Dans la détresse, les malades mouraient les uns après les autres dans son hôpital. Les images de désespoir de ces malades lui revenaient souvent en tête. Ils ont besoin d’une famille, de l’accompagnement des membres de la famille, pensait-elle. L’idée lui est donc venue de fonder une famille pour les malades atteints du sida.

En 1998, sous la direction de Mme Xu, le service des maladies infectieuses a fondé, sur la base des chambres consacrées aux patients du sida, la première organisation de Chine dédiée aux soins pour sidatiques et séropositifs. On l’appelle le « Foyer du Cœur ». C’est une organisation populaire qui rassemble en son sein les fonctions de traitement, d’information, de consultation et de formation. Le « Foyer du Cœur » ne traite pas seulement les malades sur place, il effectue aussi des visites et des consultations chez les séropositifs. En même temps, il forme un grand nombre de travailleurs dans ce domaine, organise beaucoup d’activités publiques et des conférences sur la santé, des excursions, des soirées artistiques pour les malades et célèbre leur anniversaire. Dans cette organisation, parfois, il est difficile de distinguer qui est le médecin, qui est l’infirmier et qui est le volontaire social. Quand il n’y a pas de travailleur psychosocial, tout le monde joue ce rôle. On fait tout ce qui est approprié pour les malades. Le plus intéressant, c’est que les patients peuvent parler de leur maladie à cœur ouvert avec d’autres personnes, car ils partagent joies et douleur dans une famille chaleureuse.

Et ils savent bien payer de retour l’amour de Mme Xu ! Une fois, elle s’était blessée au doigt. Elle s’était fait un pansement et avait continué à visiter les malades. Effrayés, ces derniers ne cessaient de lui dire: « Mme Xu, vous vous êtes blessée au doigt, c’est dangereux, éloignez-vous de nous tout de suite ! »

En 1999, le Foyer du Cœur est devenu officiellement un organe de l’Association de prévention des maladies vénériennes et du sida. La même année, l’épouse du secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, a visité le Foyer du Cœur et lui a exprimé son appréciation : « Aujourd’hui, c’est avec grande joie que je suis venue au Foyer du Cœur, et j’y ai constaté que vous donnez sans retour aux malades. Vous nous offrez un bel exemple. »

Grâce aux soins et à l’amour qu’elle donne aux patients atteints du sida, dont beaucoup de personnes s’éloignent, Xu Lianzhi a acquis la renommée. Mais elle se désole souvent : « Je soigne ces malades, mais ils ne guérissent pas. La mort de chaque sidatique me crée une pression de plus. Je suis médecin et mère. Les moyens de la médecine sont restreints, mais l’amour est sans borne. »

Maintenant, Mme Xu, âgée de plus de 60 ans, n’a pas idée de prendre sa retraite. Les paroles qu’elle prononce le plus souvent, c’est que des malades l’attendent encore…