Zhongdian :
un goût de revenez-y
LOUISE CADIEUX
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Terrasse
près du toit du monastère. |
Il y a des endroits qu’on quitte sans trop de
regrets parce qu’on a l’impression d’avoir été au bout de ce qu’ils
ont à offrir, mais pour moi,
Zhongdian ne fut pas de ceux-là. Quand j’ai quitté cette ville, chef-lieu de
la préfecture tibétaine autonome de Dêqên du Yunnan, aux portes
du Tibet, mes yeux n’avaient pas fini de s’émerveiller des vastes
espaces et des monts enneigés de la région; ma curiosité n’avait
pas fini de découvrir la vie typique de ce lieu où vivent treize
ethnies minoritaires, dont majoritairement des Tibétains;
mes pas n’avaient que trop rapidement foulé les dédales
de son immense monastère. Heureusement que mon
goût insatiable du voyage me fait espérer d’y retourner
bientôt.
Des
surnoms au gré des imaginations
Avant même de mettre le cap vers Zhongdian, c’est
la réputation de la région et de la ville qui intrigue. James
Hilton n’a-t-il pas qualifié cet endroit de Shangri-la dans son
livre Lost Horizon? Les Tibétains, eux, donnent à Zhongdian
le nom évocateur de «Dukezong », qui signifie château sur des
montagnes de pierre. Pour ma part, Zhongdian m’est surtout apparue
comme un concentré unique de paysages de haut plateau et de vie
à la tibétaine.
Située à quelque 700 km au nord de Kunming et
à moins de 200 km de Lijiang, la ville de Zhongdian, érigée à 3 300 mètres d’altitude, se laisse découvrir
après un trajet qui, au départ de Lijiang, sinue d’abord en bordure
de montagnes, de gorges et de cours d’eau impétueux. Puis, juste
avant l’arrivée, s’ouvre une vaste prairie entourée de montagnes
et arrosée par les rivières Longtan et Naizi. Des maisons à la
tibétaine se concentrent çà et là, l’orge tibétain est suspendu sur d’immenses
séchoirs en bordure de la route et des yaks paissent tranquillement.
La ville de Zhongdian proprement dite semble vivre
au rythme de la modernisation : on pave les quelques rues
secondaires, on installe des infrastructures urbaines, on construit
des nouveaux bâtiments fonctionnels qui tentent de s’intégrer
tant bien que mal au style
local, des hôtels fraîchement construits attendent que des touristes
y viennent en plus grand nombre. Dans la rue principale, les minibus
assurent un service fréquent. Au grand marché,
les commerçants s’affairent à la négociation dès les premières
heures du jour : viande de yak, céréales, fruits et légumes
locaux, huile à lampe, couteaux, bijoux, vêtements et bottes à
la tibétaine se transigent tantôt en chinois tantôt en tibétain.
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La
route de Lijiang à Zhongdian
sinue le long d’un cours d’eau impétueux. |
Quand vient l’heure du repas, c’est l’embarras
du choix des petits restaurants, fréquemment tenus par des Sichuanais.
On y sert une cuisine qui combine à la fois le piquant propre
à cette province et les ingrédients locaux. La viande de yak séchée
sautée en est l’exemple parfait : savoureuse et relevée à
souhait, elle vient à point pour réchauffer ceux qui pourraient
trouver l’air de Zhongdian un peu frisquet!
Songzanlin,
le pouls de la ville
Bien que situé à quelque cinq kilomètres du centre
de Zhongdian, l’immense monastère Songzanlin imprime toute son
importance à la vie quotidienne de la ville. Adossées à l’un des
versants des monts Wufeng, les constructions à la tibétaine de
ce monastère épousent les contours montagneux, et à leurs pieds,
un lac aux eaux limpides reflète les couleurs vives de ces bâtiments
imposants. Ce monastère occupe plus de 500 mu (1mu
= 1/15 d’hectare); ses murs brun rouge et ses toits aux tuiles
recouvertes de bronze se démarquent très facilement du paysage
ambiant. Les monastères Zhacang et Jikang constituent les points
les plus élevés du complexe. Ressemblant tous les deux à des tours
de guet à la tibétaine, ces monastères sont entourés de huit autres
de moindre importance et des dortoirs des moines.
En fait, le complexe ressemble à un château qui
veillerait sur les faits et gestes de la ville et de ses habitants.
Les visiteurs et les pèlerins y affluent, la vie monastique y
est vivante. Au moment de notre passage, le grand lama
du monastère attendait même les croyants qui pouvaient
se faire bénir moyennant une aumône.
La salle principale, au centre du complexe, comporte
108 colonnes géantes et elle est illuminée par quantité de lampes
au beurre. Plus de 1 600 moines peuvent y prendre place pour psalmodier
les écritures bouddhiques. Lors de notre passage, la salle semblait
immense avec sa vingtaine de moines absorbés dans leur méditation
malgré le va-et-vient des visiteurs.
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L’auteur
en compagnie de pèlerins tibétains. |
Ce monastère existe depuis longtemps. L’on dit
qu’au temps du cinquième dalaï-lama, la région fut frappée par
de nombreuses calamités naturelles. Pendant sept années d’affilée,
il n’y eut pas de récoltes et la population vivait dans la misère.
D’après une divination, le cinquième dalaï-lama décida donc de
bâtir treize monastères dans la région tibétaine pour prévenir
les désastres, et ce monastère fut l’un de ceux-là. Achevé en
1681, le monastère fut baptisé par le dalaï-lama lui-même du nom
officiel de Godan Songzanlin. À la deuxième année du règne
de l’empereur Yongzheng (1724) des Qing, la région passa sous
la juridiction de la province du Yunnan et le monastère fut alors
renommé lamaserie Guihua (conversion au bouddhisme). Les Qing
y firent aussi des agrandissements. Le nombre des moines passa
de 300 à plus de 1 200. À son apogée, il y en avait plus de 3
000 qui étaient tous entretenus par la cour. Aujourd’hui, la grande
majorité des quelque 800 moines du monastère sont entretenus par
leurs familles qui croient que la vie monastique est un choix
de vie éminemment sacré.
Pour ajouter à la prospérité de ce monastère,
au début de la dynastie des Qing, les dirigeants de Lijiang, la
famille Mu, auraient offert des douzaines de sculptures en bronze
et des Écritures transcrites à la main avec de l’or liquide, des
écritures exécutées sur des feuilles de pattra, des lampes
en or et plusieurs encensoirs recouverts d’argent.
Aujourd’hui encore, ce monastère recèle de nombreux
trésors. Les huit sculptures recouvertes d’or de Sakyamuni, exécutées
durant la période s’échelonnant du cinquième au septième dalaï-lama,
constituent l’un de ces trésors.
Revenir à Zhongdian? Fort certainement. Je pourrai
alors le faire en profitant du nouvel aéroport de la ville, visiter,
dans la grande région environnante, Baishuitai, un plateau de
calcaire qu’on dit resplendissant au soleil, et partir à la découverte
des monts Meili avec leur pic de 6 740 m, et jeter
encore un coup d’œil à la ville pour voir comment le modernisme
l’aura transformée….