MARS 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Zhongdian : un goût de revenez-y

LOUISE CADIEUX

Terrasse près du toit du monastère.

Il y a des endroits qu’on quitte sans trop de regrets parce qu’on a l’impression d’avoir été au bout de ce qu’ils ont à offrir, mais pour moi,

Zhongdian ne fut pas de ceux-là.  Quand j’ai quitté cette ville, chef-lieu de la préfecture tibétaine autonome de Dêqên du Yunnan, aux portes du Tibet, mes yeux n’avaient pas fini de s’émerveiller des vastes espaces et des monts enneigés de la région; ma curiosité n’avait pas fini de découvrir la vie typique de ce lieu où vivent treize ethnies minoritaires, dont majoritairement des Tibétains;  mes pas n’avaient que trop rapidement foulé les dédales de son immense monastère. Heureusement que mon  goût insatiable du voyage me fait espérer d’y retourner bientôt.

Des surnoms au gré des imaginations

Avant même de mettre le cap vers Zhongdian, c’est la réputation de la région et de la ville qui intrigue. James Hilton n’a-t-il pas qualifié cet endroit de Shangri-la dans son livre Lost Horizon? Les Tibétains, eux, donnent à Zhongdian le nom évocateur de «Dukezong », qui signifie château sur des montagnes de pierre. Pour ma part, Zhongdian m’est surtout apparue comme un concentré unique de paysages de haut plateau et de vie à la tibétaine.

Située à quelque 700 km au nord de Kunming et à moins de 200 km de Lijiang, la ville de Zhongdian, érigée à  3 300 mètres d’altitude, se laisse découvrir après un trajet qui, au départ de Lijiang, sinue d’abord en bordure de montagnes, de gorges et de cours d’eau impétueux. Puis, juste avant l’arrivée, s’ouvre une vaste prairie entourée de montagnes et arrosée par les rivières Longtan et Naizi. Des maisons à la tibétaine se concentrent çà et là,  l’orge tibétain est suspendu sur d’immenses séchoirs en bordure de la route et des yaks paissent tranquillement.

La ville de Zhongdian proprement dite semble vivre au rythme de la modernisation : on pave les quelques rues secondaires, on installe des infrastructures urbaines, on construit des nouveaux bâtiments fonctionnels qui tentent de s’intégrer tant bien que mal  au style local, des hôtels fraîchement construits attendent que des touristes y viennent en plus grand nombre. Dans la rue principale, les minibus assurent un service fréquent. Au grand marché,  les commerçants s’affairent à la négociation dès les premières heures du jour : viande de yak, céréales, fruits et légumes locaux, huile à lampe, couteaux, bijoux, vêtements et bottes à la tibétaine se transigent tantôt en chinois tantôt en tibétain.

La route de Lijiang à Zhongdian  sinue le long d’un cours d’eau impétueux.

Quand vient l’heure du repas, c’est l’embarras du choix des petits restaurants, fréquemment tenus par des Sichuanais. On y sert une cuisine qui combine à la fois le piquant propre à cette province et les ingrédients locaux. La viande de yak séchée sautée en est l’exemple parfait : savoureuse et relevée à souhait, elle vient à point pour réchauffer ceux qui pourraient trouver l’air de Zhongdian un peu frisquet!

Songzanlin, le pouls de la ville

Bien que situé à quelque cinq kilomètres du centre de Zhongdian, l’immense monastère Songzanlin imprime toute son importance à la vie quotidienne de la ville. Adossées à l’un des versants des monts Wufeng, les constructions à la tibétaine de ce monastère épousent les contours montagneux, et à leurs pieds, un lac aux eaux limpides reflète les couleurs vives de ces bâtiments imposants. Ce monastère occupe plus de 500 mu (1mu = 1/15 d’hectare); ses murs brun rouge et ses toits aux tuiles recouvertes de bronze se démarquent très facilement du paysage ambiant. Les monastères Zhacang et Jikang constituent les points les plus élevés du complexe. Ressemblant tous les deux à des tours de guet à la tibétaine, ces monastères sont entourés de huit autres de moindre importance et des dortoirs des moines.

En fait, le complexe ressemble à un château qui veillerait sur les faits et gestes de la ville et de ses habitants. Les visiteurs et les pèlerins y affluent, la vie monastique y est vivante. Au moment de notre passage, le grand lama  du monastère attendait même les croyants qui pouvaient se faire bénir moyennant une aumône.

La salle principale, au centre du complexe, comporte 108 colonnes géantes et elle est illuminée par quantité de lampes au beurre. Plus de 1 600 moines peuvent y prendre place pour psalmodier les écritures bouddhiques. Lors de notre passage, la salle semblait immense avec sa vingtaine de moines absorbés dans leur méditation malgré le va-et-vient des visiteurs.

L’auteur en compagnie de pèlerins tibétains.

Ce monastère existe depuis longtemps. L’on dit qu’au temps du cinquième dalaï-lama, la région fut frappée par de nombreuses calamités naturelles. Pendant sept années d’affilée, il n’y eut pas de récoltes et la population vivait dans la misère. D’après une divination, le cinquième dalaï-lama décida donc de bâtir treize monastères dans la région tibétaine pour prévenir les désastres, et ce monastère fut l’un de ceux-là. Achevé en 1681, le monastère fut baptisé par le dalaï-lama lui-même du nom officiel de  Godan Songzanlin. À la deuxième année du règne de l’empereur Yongzheng (1724) des Qing, la région passa sous la juridiction de la province du Yunnan et le monastère fut alors renommé lamaserie Guihua (conversion au bouddhisme). Les Qing y firent aussi des agrandissements. Le nombre des moines passa de 300 à plus de 1 200. À son apogée, il y en avait plus de 3 000 qui étaient tous entretenus par la cour. Aujourd’hui, la grande majorité des quelque 800 moines du monastère sont entretenus par leurs familles qui croient que la vie monastique est un choix de vie éminemment sacré.

Pour ajouter à la prospérité de ce monastère, au début de la dynastie des Qing, les dirigeants de Lijiang, la famille Mu, auraient offert des douzaines de sculptures en bronze et des Écritures transcrites à la main avec de l’or liquide, des écritures exécutées sur des feuilles de pattra, des lampes en or et plusieurs encensoirs recouverts d’argent.

Aujourd’hui encore, ce monastère recèle de nombreux trésors. Les huit sculptures recouvertes d’or de Sakyamuni, exécutées durant la période s’échelonnant du cinquième au septième dalaï-lama, constituent l’un de ces trésors.

Revenir à Zhongdian? Fort certainement. Je pourrai alors le faire en profitant du nouvel aéroport de la ville, visiter, dans la grande région environnante, Baishuitai, un plateau de calcaire qu’on dit resplendissant au soleil, et partir à la découverte des monts Meili avec leur pic de 6 740 m, et jeter  encore un coup d’œil à la ville pour voir comment le modernisme l’aura transformée….