MARS 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

LISA EN CHINE

Apprendre le chinois? C’est pas chinois!

À partir de ce numéro, nous vous offrons cette nouvelle rubrique qui traite de la vie en Chine d’une Québécoise et des impressions qu’elle en tire. En 1991, Lisa Carducci a choisi de vivre en Chine et travaille actuellement à la revue Beijing Information. Auteur d’une vingtaine livres, elle a publié maints articles et textes au Canada, en France, en Italie et en Chine. Elle a tâté de nombreux genres littéraires, et une soixantaine de prix littéraires ont couronné ses œuvres. --NDLR

1. Photo : Lisa Carducci

Caricature : Du Jinsu

Voici quelques remarques sur la langue, des anecdotes, des mésaventures vécues à cause d’un mot mal prononcé, des cocasseries linguistiques.

Par exemple, « yeux » et « lunettes » sont des paronymes en chinois : yanjing pour les deux, mais le ton change. « Acheter » et « vendre » se prononcent tous deux mai, mais encore une fois, le ton fait toute la différence.

Un robinet se dit shui long tou, littéralement « tête de dragon ». N’est-ce pas une jolie image?

Tout le monde connaît les points cardinaux, mais en Chine, il existe aussi des fruits cardinaux comme la pastèque qui est un melon de l’ouest (xigua) tandis que la citrouille est une nangua ou melon du sud. Quant à l’énumération des points cardinaux, les Chinois suivent les aiguilles de l’horloge, soit est, sud, ouest, nord… et centre!

Les Pékinois mettent des « r » partout. Ainsi diront-ils gan huo’r pour travailler, suliao dai’r pour sac de plastique, men’r pour porte. Et les étrangers se ressentent de l’accent local quand ils apprennent le chinois.

Une formule syntaxique en chinois consiste à répéter un verbe pour indiquer une action brève, par exemple, zuo yi zuo pour « Asseyez-vous un moment », ou chang yi chang pour « goûtez un peu ». On entend partout les vendeurs inviter à kan yi kan, qu’ils traduisent pour les étrangers, « look a look », ou, selon l’accent, « look a lookke ».

Le mot jia désigne aussi bien les membres de la famille que le logement familial. « Où se trouve votre ‘famille’? » en chinois, peut signifier selon le contexte « Quelle est votre adresse? » Aussi les Chinois disent-ils parfois, en langue étrangère, que de nouveaux meubles ou une voiture sont entrés dans leur « famille ». Comme le logement a été jusqu’à tout récemment étroitement lié au poste de travail, les Chinois ont l’habitude de dire : « J’habite dans l’université », ou dans l’usine, ou dans l’hôpital. Aussi est-il d’usage, quand on se présente, au téléphone ou en personne, de faire précéder son nom de celui de son unité de travail. L’unité nous identifie, puisqu’on lui appartient. Ce phénomène aura sûrement disparu dans quelques années, une fois réformée la structure des entreprises.

Les noms propres

Les Pékinois… Tiens, ici, je dois ouvrir une parenthèse. Après la Libération (1949), les Chinois ont décidé de standardiser les noms de leurs villes, que les étrangers avaient traduits chacun dans sa langue. Ainsi Peking, Pechino et Pékin sont-ils devenus uniformément Beijing. Hangchow et Canton s’appellent ─ il serait bon de le respecter ─ Hangzhou et Guangzhou. Cependant, les habitants de Beijing sont encore des Pékinois, les adjectifs n’ayant pas de morphologie particulière en chinois.

Mes premiers étudiants chinois de français en 1991.

La traduction des noms étrangers est loin de faire l’uniformité, et cela cause de graves problèmes de compréhension. Reagan s’appelle Ligen à Beijing et Le-a-gen à Taiwan. Quand la télévision présente une interview de passants dans la rue, leurs paroles sont sous-titrées, car les dialectes sont nombreux. Les spectacles de Hongkong (en cantonais) seraient inaccessibles aux gens du Nord, sans sous-titres. Si le putonghua (langue standard, faussement appelée « mandarin ») et le cantonais sont identiques à l’écrit, ils sont fort différents à l’oral. Ainsi le chef de l’exécutif de la région administrative spéciale de Hongkong, Tung Chee Hwa, s’appelle en cantonais Dung Qi Wa et en putonghua Dong Jian Hua.

 Quel spécificatif?

 En chinois, entre le démonstratif et le substantif ou entre un nombre et un nom, on doit intercaler un mot de liaison qui varie selon la catégorie à laquelle appartient le substantif. On ne dit pas « un chien » (yi gou) mais yi tiao gou. Or, tiao (longueur) est le même spécificatif qu’on emploie pour les jupes et les pantalons, sans oublier les nouilles. Tiao précède-t-il le nom de tous les animaux? Que non! Seulement ceux de forme allongée : le serpent, le poisson et… le chien! Allez donc vous y retrouver!

Si la vache, le mouton et le porc, ainsi que le mulet et l’âne demandent le même tou (tête), je conclus que les animaux d’élevage ont en commun ce spécificatif. Non! Le cheval ne partage pas la couche de son frère l’âne et veut un pi, et le lion ainsi que l’éléphant entrent dans la même étable que la vache. Voilà mon hypothèse à l’eau! Quant au porc, il est assez cochon pour s’offrir le choix d’un second mot de liaison : kou (bouche).

Le chat et le tigre sont des félins, et il est bien logique qu’ils soient précédés du même zhi. Mais est-ce parce que l’oiseau est leur proie qu’on l’a classé dans la même catégorie? Et l’ours, alors?

C’est à s’en arracher les chevaux, pardon, les cheveux. Il devait bien y avoir une logique à tout cela, il y a des siècles, mais aujourd’hui, vaut mieux ne pas essayer de comprendre et tout simplement apprendre par cœur.

L’anglais, langue des étrangers      

L’anglais est la langue commune des étrangers qui ne parlent pas chinois. Il est réel, ne nous en déplaise, que l’anglais permette de survivre n’importe où. C’est toujours l’anglais que sous-entendent les Chinois quand ils disent « waiyu » (langue étrangère). Aussi demandent-ils uniformément aux étrangers : « Quel est votre nom anglais? » Pour les faire réfléchir, je réponds : « Mais… je n’en ai pas; je suis Italienne », les laissant perplexes.

Le long des rues, les commerçants autant que les passants connaissent tous les mots « Hello! » et « O.K. », qu’ils utilisent comme porte de communication avec tout étranger et dans n’importe quelle circonstance. « O.K. » veut dire aussi bien « bonjour » que « Regardez ma marchandise » ou « Voulez-vous acheter ceci? »

Aussi est-il amusant d’entendre les marchands attirer les étrangers par un « Cheaper, cheaper ». Moins cher que quoi, puisqu’ils n’ont pas encore annoncé leur prix?

Les traductions sont loin d’être toutes conformes à l’exactitude. Dans le métro, par exemple, on lit : « Booking Office » pour le guichet de vente des billets (réserve-t-on un billet de métro?) et « Checking Office » (est-ce un bureau?) pour le point où l’on déchire les billets.

Sur les cartes de souhaits, qu’il s’agisse de félicitations ou d’anniversaire, certains éditeurs utilisent uniformément le « Season’s Greetings » qui convient uniquement aux fêtes de fin d’année. J’ai même vu sur une carte de Noël la reproduction d’une nappe brodée à la main avec la mention « Instructions on page 83 » qu’on avait négligé d’enlever, photo évidente d’un magazine étatsunien.

Le mot Qing (demander, prier, solliciter) commence la plupart des phrases par lesquelles on invite quelqu’un à faire quelque chose. Il correspond à notre « s’il vous plaît », « Veuillez vous asseoir », « Pourriez-vous remettre ce livre… », « Peux-tu me dire… » Par conséquent, les hôtesses des restaurants invitent souvent les étrangers, en anglais, à les suivre jusqu’à la table assignée, ou à boire du thé, par le seul mot « Please ».      

Lao wai, un mot utile

Les langues étrangères parlées en Chine finissent par se teinter des particularités lexicales du chinois. On entend souvent dire « un demi-mois » au lieu de deux semaines ou quinze jours. Le mot « étranger » est fort répandu pour désigner toute personne qui n’est pas née en Chine. Aussi avons-nous acquis l’habitude de nous appeler nous-mêmes wai guo ren (gens d’autres pays), et les Chinois ont ce terme si profondément ancré dans l’esprit que même en Italie, en France ou au Canada, il leur arrive d’appeler les aborigènes lao wai.

Oui ou non?

Les étrangers disent souvent que les Chinois répondent non quand ils pensent oui, ou inversement. Ou bien qu’en Chine, un oui équivaut à un non. Ou encore que les Chinois ne sont pas francs.

Il serait temps que les Occidentaux se défassent de leur schème de pensée quand ils abordent une autre civilisation et cessent de se considérer comme « la norme ». En ce monde, chacun est l’idiot d’un autre; qu’est-ce que l’extravagance, sinon la fantaisie d’autrui?

Voici pourquoi les Chinois confondent oui et non. Si vous demandez à quelqu’un : « Voulez-vous du thé? » et qu’il réponde « oui », vous lui en verserez. Maintenant, posez-lui la question : « Alors, vous ne pourrez être des nôtres ce soir? » Le Français dira « non », et vous ajouterez : « Je suis vraiment désolé. » Mais si votre interlocuteur est chinois, il dira « oui » s’il ne peut venir, et vous direz : « Je suis enchanté! », tandis que lui, parfaitement impassible, pensera qu’il a bien fait de refuser une invitation si peu cordiale. Le soir venu, vous l’attendrez désespérément pour le présenter à vos amis. Il ne viendra pas, et vos invités diront : « Vous voyez, les Chinois, c’est comme ça. Ils disent qu’ils seront là et ils ne viennent pas. »

Que s’est-il passé? Problème linguistique. En chinois, si je pose une question négative comme « Tu n’as pas chaud? », la réponse est « dui », ce qui signifie « exact » ou « c’est cela ». Or, cet « exact » se rapporte à votre question, soit à la phrase qui précède le « dui ». C’est-à-dire « ce que vous avez dit est juste »; en d’autres termes « Je n’ai pas chaud ». Si votre invité chinois a traduit de sa langue plutôt que de penser en français, il vous aura répondu « Oui ». Or, en français, le oui ou le non qui commence une réponse réfèrent à ce qu’on va dire par la suite, dans la réponse, et non à la question. « Oui » = « J’ai chaud »; « Non » = « Je n’ai pas chaud ». Donc, en bon francophone que vous êtes, vous irez ouvrir la fenêtre, tandis que votre Chinois frissonnera davantage… pour expier sa faute de syntaxe.        

La cassonade

Voici une autre de mes mésaventures de nouvelle venue. Je voulais acheter de la cassonade; or, j’avais oublié de demander, avant de sortir, comment le dire en chinois. Une fois au magasin d’alimentation, je me dirige au comptoir de sucre. « Je voudrais du sucre, mais pas blanc. Du sucre de couleur kafei (café se dit « brun » en chinois). La vendeuse m’offre une boîte de café, mais me dit qu’il n’est pas sucré. « Non, c’est du sucre que je désire. » Alors, elle me montre des cubes: du sucre à café. Au comptoir voisin, sa collègue qui a suivi la conversation, m’appelle pour m’offrir des bonbons au café. Bonbon et sucre se traduisent par le même mot, tang. Nous rions toutes les trois. Je vais m’en retourner bredouille quand, tout à coup, le visage d’une troisième s’éclaire. Elle brandit en l’air un sac de… cassonade. Elle a deviné. De la cassonade en chinois, c’est du « sucre rouge », tout simplement, comme ce que nous appelons thé noir en français est du thé rouge pour les Chinois.

Cet article est un extrait  du livre « La Chine, telle que je la vis », publié conjointement par Humanitas Canada et La littérature chinoise en 1996. 368p.