LISA EN CHINE
Apprendre
le chinois? C’est pas chinois!
À
partir de ce numéro, nous vous offrons cette nouvelle rubrique
qui traite de la vie en Chine d’une Québécoise et des impressions
qu’elle en tire. En 1991, Lisa Carducci
a choisi de vivre en Chine et travaille actuellement à la revue
Beijing Information. Auteur d’une vingtaine livres, elle a publié
maints articles et textes au Canada, en France, en Italie et en
Chine. Elle a tâté de nombreux genres littéraires, et une soixantaine
de prix littéraires ont couronné ses œuvres. --NDLR
1. Photo : Lisa Carducci
Caricature : Du Jinsu
Voici
quelques remarques sur la langue, des anecdotes, des mésaventures
vécues à cause d’un mot mal prononcé, des cocasseries linguistiques.
Par exemple, « yeux » et « lunettes »
sont des paronymes en chinois : yanjing pour les deux,
mais le ton change. « Acheter » et « vendre »
se prononcent tous deux mai, mais encore une fois, le ton
fait toute la différence.
Un robinet se dit shui long tou, littéralement
« tête de dragon ». N’est-ce pas une jolie image?
Tout le monde connaît les points cardinaux, mais en Chine,
il existe aussi des fruits cardinaux comme la pastèque qui est
un melon de l’ouest (xigua) tandis que la citrouille est
une nangua ou melon du sud. Quant à l’énumération des points
cardinaux, les Chinois suivent les aiguilles de l’horloge, soit
est, sud, ouest, nord… et centre!
Les Pékinois mettent des « r » partout. Ainsi
diront-ils gan huo’r pour travailler, suliao dai’r
pour sac de plastique, men’r pour porte. Et les étrangers
se ressentent de l’accent local quand ils apprennent le chinois.
Une formule syntaxique en chinois consiste à répéter
un verbe pour indiquer une action brève, par exemple, zuo yi
zuo pour « Asseyez-vous un moment », ou chang
yi chang pour « goûtez un peu ». On entend partout
les vendeurs inviter à kan yi kan, qu’ils traduisent pour
les étrangers, « look a look », ou, selon l’accent,
« look a lookke ».
Le mot jia désigne aussi bien les membres de la
famille que le logement familial. « Où se trouve votre ‘famille’? »
en chinois, peut signifier selon le contexte « Quelle est
votre adresse? » Aussi les Chinois disent-ils parfois, en
langue étrangère, que de nouveaux meubles ou une voiture sont
entrés dans leur « famille ». Comme le logement a été
jusqu’à tout récemment étroitement lié au poste de travail, les
Chinois ont l’habitude de dire : « J’habite dans
l’université », ou dans l’usine, ou dans l’hôpital.
Aussi est-il d’usage, quand on se présente, au téléphone ou en
personne, de faire précéder son nom de celui de son unité de travail.
L’unité nous identifie, puisqu’on lui appartient. Ce phénomène
aura sûrement disparu dans quelques années, une fois réformée
la structure des entreprises.
Les noms propres
Les Pékinois… Tiens, ici, je dois ouvrir une parenthèse.
Après la Libération (1949), les Chinois ont décidé de standardiser
les noms de leurs villes, que les étrangers avaient traduits chacun
dans sa langue. Ainsi Peking, Pechino et Pékin sont-ils devenus
uniformément Beijing. Hangchow et Canton s’appellent ─ il
serait bon de le respecter ─ Hangzhou et Guangzhou. Cependant,
les habitants de Beijing sont encore des Pékinois, les adjectifs
n’ayant pas de morphologie particulière en chinois.
 |
Mes
premiers étudiants chinois de français en 1991. |
La traduction des noms étrangers est loin de faire l’uniformité,
et cela cause de graves problèmes de compréhension. Reagan s’appelle
Ligen à Beijing et Le-a-gen à Taiwan. Quand la télévision
présente une interview de passants dans la rue, leurs paroles
sont sous-titrées, car les dialectes sont nombreux. Les spectacles
de Hongkong (en cantonais) seraient inaccessibles aux gens du
Nord, sans sous-titres. Si le putonghua (langue standard,
faussement appelée « mandarin ») et le cantonais sont
identiques à l’écrit, ils sont fort différents à l’oral. Ainsi
le chef de l’exécutif de la région administrative spéciale de
Hongkong, Tung Chee Hwa, s’appelle en cantonais Dung Qi Wa et
en putonghua Dong Jian Hua.
Quel spécificatif?
En chinois, entre le démonstratif et le substantif ou
entre un nombre et un nom, on doit intercaler un mot de liaison
qui varie selon la catégorie à laquelle appartient le substantif.
On ne dit pas « un chien » (yi gou) mais yi
tiao gou. Or, tiao (longueur) est le même spécificatif
qu’on emploie pour les jupes et les pantalons, sans oublier les
nouilles. Tiao précède-t-il le nom de tous les animaux?
Que non! Seulement ceux de forme allongée : le serpent, le
poisson et… le chien! Allez donc vous y retrouver!
Si la vache, le mouton et le porc, ainsi que le mulet
et l’âne demandent le même tou (tête), je conclus que les
animaux d’élevage ont en commun ce spécificatif. Non! Le cheval
ne partage pas la couche de son frère l’âne et veut un pi,
et le lion ainsi que l’éléphant entrent dans la même étable que
la vache. Voilà mon hypothèse à l’eau! Quant au porc, il est assez
cochon pour s’offrir le choix d’un second mot de liaison :
kou (bouche).
Le chat et le tigre sont des félins, et il est bien logique
qu’ils soient précédés du même zhi. Mais est-ce parce que
l’oiseau est leur proie qu’on l’a classé dans la même catégorie?
Et l’ours, alors?
C’est à s’en arracher les chevaux, pardon, les cheveux.
Il devait bien y avoir une logique à tout cela, il y a des siècles,
mais aujourd’hui, vaut mieux ne pas essayer de comprendre et tout
simplement apprendre par cœur.
L’anglais, langue des étrangers
L’anglais
est la langue commune des étrangers qui ne parlent pas chinois.
Il est réel, ne nous en déplaise, que l’anglais permette de survivre
n’importe où. C’est toujours l’anglais que sous-entendent les
Chinois quand ils disent « waiyu » (langue étrangère).
Aussi demandent-ils uniformément aux étrangers : « Quel
est votre nom anglais? » Pour les faire réfléchir, je réponds :
« Mais… je n’en ai pas; je suis Italienne », les laissant
perplexes.
Le long des rues, les commerçants autant que les passants
connaissent tous les mots « Hello! » et « O.K. »,
qu’ils utilisent comme porte de communication avec tout étranger
et dans n’importe quelle circonstance. « O.K. » veut
dire aussi bien « bonjour » que « Regardez ma marchandise »
ou « Voulez-vous acheter ceci? »
Aussi est-il amusant d’entendre les marchands attirer
les étrangers par un « Cheaper, cheaper ». Moins cher
que quoi, puisqu’ils n’ont pas encore annoncé leur prix?
Les traductions sont loin d’être toutes conformes à l’exactitude.
Dans le métro, par exemple, on lit : « Booking Office »
pour le guichet de vente des billets (réserve-t-on un billet de
métro?) et « Checking Office » (est-ce un bureau?) pour
le point où l’on déchire les billets.
Sur les cartes de souhaits, qu’il s’agisse de félicitations
ou d’anniversaire, certains éditeurs utilisent uniformément le
« Season’s Greetings » qui convient uniquement aux fêtes
de fin d’année. J’ai même vu sur une carte de Noël la reproduction
d’une nappe brodée à la main avec la mention « Instructions
on page 83 » qu’on avait négligé d’enlever, photo évidente
d’un magazine étatsunien.
Le mot Qing (demander,
prier, solliciter) commence la plupart des phrases par lesquelles
on invite quelqu’un à faire quelque chose. Il correspond à notre
« s’il vous plaît », « Veuillez vous asseoir »,
« Pourriez-vous remettre ce livre… », « Peux-tu
me dire… » Par conséquent, les hôtesses des restaurants invitent
souvent les étrangers, en anglais, à les suivre jusqu’à la table
assignée, ou à boire du thé, par le seul mot « Please ».
Lao
wai, un mot utile
Les langues étrangères parlées en Chine finissent par
se teinter des particularités lexicales du chinois. On entend
souvent dire « un demi-mois » au lieu de deux semaines
ou quinze jours. Le mot « étranger » est fort répandu
pour désigner toute personne qui n’est pas née en Chine. Aussi
avons-nous acquis l’habitude de nous appeler nous-mêmes wai
guo ren (gens d’autres pays), et les Chinois ont ce terme
si profondément ancré dans l’esprit que même en Italie, en France
ou au Canada, il leur arrive d’appeler les aborigènes lao wai.
Oui
ou non?
Les étrangers disent souvent
que les Chinois répondent non quand ils pensent oui, ou inversement.
Ou bien qu’en Chine, un oui équivaut à un non. Ou encore que les
Chinois ne sont pas francs.
Il serait temps que les Occidentaux
se défassent de leur schème de pensée quand ils abordent une autre
civilisation et cessent de se considérer comme « la norme ».
En ce monde, chacun est l’idiot d’un autre; qu’est-ce que l’extravagance,
sinon la fantaisie d’autrui?
Voici pourquoi les Chinois
confondent oui et non. Si vous demandez à quelqu’un : « Voulez-vous
du thé? » et qu’il réponde « oui », vous lui en
verserez. Maintenant, posez-lui la question : « Alors,
vous ne pourrez être des nôtres ce soir? » Le Français dira
« non », et vous ajouterez : « Je suis vraiment
désolé. » Mais si votre interlocuteur est chinois, il dira
« oui » s’il ne peut venir, et vous direz : « Je
suis enchanté! », tandis que lui, parfaitement impassible,
pensera qu’il a bien fait de refuser une invitation si peu cordiale.
Le soir venu, vous l’attendrez désespérément pour le présenter
à vos amis. Il ne viendra pas, et vos invités diront : « Vous
voyez, les Chinois, c’est comme ça. Ils disent qu’ils seront là
et ils ne viennent pas. »
Que s’est-il passé? Problème
linguistique. En chinois, si je pose une question négative comme
« Tu n’as pas chaud? », la réponse est « dui »,
ce qui signifie « exact » ou « c’est cela ».
Or, cet « exact » se rapporte à votre question, soit
à la phrase qui précède le « dui ».
C’est-à-dire « ce que vous avez dit est juste »;
en d’autres termes « Je n’ai pas chaud ». Si votre invité
chinois a traduit de sa langue plutôt que de penser en français,
il vous aura répondu « Oui ». Or, en français, le oui
ou le non qui commence une réponse réfèrent à ce qu’on va dire
par la suite, dans la réponse, et non à la question. « Oui »
= « J’ai chaud »; « Non » = « Je n’ai
pas chaud ». Donc, en bon francophone que vous êtes, vous
irez ouvrir la fenêtre, tandis que votre Chinois frissonnera davantage…
pour expier sa faute de syntaxe.
La
cassonade
Voici une autre de mes mésaventures de nouvelle venue.
Je voulais acheter de la cassonade; or, j’avais oublié de demander,
avant de sortir, comment le dire en chinois. Une fois au magasin
d’alimentation, je me dirige au comptoir de sucre. « Je voudrais
du sucre, mais pas blanc. Du sucre de couleur kafei (café
se dit « brun » en chinois). La vendeuse m’offre une boîte de
café, mais me dit qu’il n’est pas sucré. « Non, c’est du sucre
que je désire. » Alors, elle me montre des cubes: du sucre à café.
Au comptoir voisin, sa collègue qui a suivi la conversation, m’appelle
pour m’offrir des bonbons au café. Bonbon et sucre se traduisent
par le même mot, tang. Nous rions toutes les trois. Je
vais m’en retourner bredouille quand, tout à coup, le visage d’une
troisième s’éclaire. Elle brandit en l’air un sac de… cassonade.
Elle a deviné. De la cassonade en chinois, c’est du « sucre rouge
», tout simplement, comme ce que nous appelons thé noir en français
est du thé rouge pour les Chinois.
Cet
article est un extrait du
livre « La Chine, telle
que je la vis », publié conjointement par Humanitas Canada
et La littérature chinoise en 1996. 368p.