La
tradition musicale chinoise servie à la moderne
HUO JIANYING

Le
succès que connaît un orchestre de douze jeunes Chinoises qui se
passionnent pour la musique et les instruments traditionnels chinois
montre non seulement que le public chinois apprécie un retour aux
sources de sa culture, mais encore que bien d’autres spectateurs
sont prêts à la découvrir.

«les représentations en concert de douze jeunes musiciennes chinoises
ont réussi au-delà de nos prévisions. Étant donné ces circonstances
favorables, on a procédé à une nouvelle révision de la procédure
administrative d’import-export de la Chine. Cette situation a entraîné
une nouvelle demande, et dorénavant, chaque personne n'aura droit
que sortir que deux erhu (instrument de musique à deux cordes) à sa sortie du territoire
de Chine, plutôt qu’à cinq comme auparavant. »
Bien
sûr, ce nouveau règlement douanier ne vise pas ces douze jeunes
filles. Après avoir monté leur orchestre, les douze jeunes musiciennes
chinoises lui ont donné un nom ravissant : Nüzi Shi'er Yuefang
(Orchestre des douze jeunes filles). L’année dernière, les représentations
au Japon de cet orchestre ont fait fureur partout et ont déclenché
un élan de « ferveur pour les concerts d’instruments traditionnels
chinois » dans ce pays. Par l'entremise de ces douze jeunes
filles, cet instrument traditionnel de musique, typiquement chinois,
a soulevé les passions. Sous leurs doigts, les douze erhu
ont laissé dévoiler leur mystère. Avec ces petits instruments à
deux cordes, ces filles non seulement ont joué de belles musiques
populaires chinoises et d’agréables classiques européens de Bach,
mais encore des musiques latines au rythme enlevant. Depuis
lors, les Japonais se passionnent pour le erhu. Récemment,
avec la multiplication des touristes japonais en Chine, le erhu
se vend comme des petits pains chauds. Or, cet instrument de
musique contient de la peau de boa. Ainsi, pour protéger les animaux
rares, le Bureau d’administration de l’import-export des animaux
rares de Chine s’est vu dans l’obligation de décréter que toute
personne n'a droit de sortir que deux erhu à sa sortie de
la Chine.
Une évocation des écoles de musique classique
Fondé
au début de ce siècle, le Nüzi Shi'er Yuefang est désormais
un orchestre dont la réputation grandit. Ce nom chinois classique
évoque le nom jiaofang. En effet, à l’époque de la dynastie
des Tang (618-907), une école de musique et de danse avait été établie
pour les jeunes filles dans le but de fournir des divertissements
à la cour impériale. En tant qu’établissement spécial, cette sorte
d’école nommée jiaofang relevait du ministère de la Culture,
le taichangsi.
Au cours de l’histoire, les Tang ont établi deux écoles :
une école de danse (dans la ville de Chang’an, alors nommée capitale
de l'Ouest) et une école de musique (à Luoyang, à ce moment-là Capitale
de l'Est). Toutefois, en plus de leur enseigner leur spécialité
respective, les deux écoles demandaient aux jeunes élèves de maîtriser
l’exécution des instruments de musique suivants : le pipa,
un type de guitare chinoise à quatre cordes, le konghou,
une cithare chinoise à cinq ou à vingt-cinq cordes, et le sanxian,
un instrument à trois cordes pincées.
Les
élèves étant pensionnaires de ces deux écoles, ces dernières demandaient
beaucoup de ces jeunes filles qui devaient toujours y demeurer tout
au long de leurs études. Les parents pouvaient rendre visite à
leur fille seulement durant les vingt premiers jours du mois, et
ce n’est qu’à l’école qu’ils pouvaient présenter leurs vœux d’anniversaire
à leur fille. Les meilleures élèves pouvaient se voir accorder
des récompenses par la cour impériale. Cette dernière permettait
aux dix meilleures de vivre, en célibataire, dans une chambre particulière.
D’après les registres du Jiaofang Ji , le répertoire
des jeunes filles pouvait atteindre plus de 300 numéros. Ainsi,
leur représentation à demande était toujours un assemblage de danses,
accompagnées de belles musiques.
Les règlements sévères de ces écoles pour jeunes filles établies sous
les Tang ont formé quantité de compositrices de paroles et musique,
de musiciennes de concert, de cantatrices et de danseuses remarquables.
Xu
Hezi était une cantatrice renommée de la Cour impériale des Tang.
Née dans le district de Yongxin, province du Jiangxi, Xu Hezi a
commencé à apprendre la musique auprès de son père. Dès son enfance,
alors qu'elle recevait l’éducation familiale, elle se passionnait
surtout pour le chant. Grâce à sa belle voix, elle a été choisie
pour le concert de la cour impériale et son nom d'artiste était
celui de son pays natal, « Yongxin ». On disait alors
que sa voix forte, aiguë et sonore pouvait retentir dans neuf rues.
En harmonisant intelligemment des chansons populaires du sud du
Yangtsé, elle avait transformé plusieurs chansons banales en chansons
tout à fait captivantes pour la cour impériale. Son timbre de voix
propre, sans compter son talent de création et son charme irrésistible,
a édifié son grand succès. Admirant beaucoup la beauté, la sagesse,
le talent et la vertu de Xu Hezi, l’empereur Xuanzong des Tang a
fait à maintes reprises l’éloge de cette jeune fille en disant :
« Le chant de Xu Hezi ne peut s’acheter, même avec de l’argent. »
Un
jour, l’empereur Xuanzong donna un banquet en l’honneur de ses fonctionnaires.
Pour mettre de l’ambiance, il avait ordonné un rassemblement d’urgence
de ses concertistes et de sa troupe d’acrobates. Cette nouvelle
fit accourir non seulement des membres de la famille impériale et
des fonctionnaires, mais aussi des milliers de gens ordinaires.
La musique était donc couverte par le murmure constant des voix.
Voyant que les fonctionnaires avaient de la difficulté à maintenir
l'ordre, l’empereur Xuanzong des Tang paraissait tout contrarié
et voulait quitter le banquet. C'est à ce moment critique que Gao
Lishi, l'un de ses eunuques, lui dit: « Laissez d'abord « Yongxin »
entonner une belle chanson. Je crois que sa belle voix tranquillisera
la foule. » Sous l’ordre de l’empereur, Xu Hezi monta sur scène
et commença à chanter. Ses manières distinguées et sa belle voix
harmonieuse causèrent une grande surprise. Un silence absolu régna
soudain sur la place. Après une prestation de chansons émouvantes,
les applaudissements couvrirent la voix de la cantatrice. Ainsi,
la place avait été remise dans un ordre parfait. Dès lors, Xu Hezi
a joui d'une grande réputation tant à la Cour que dans les campagnes.
Pour commémorer cette cantatrice renommée, on a composé un recueil
de chansons nationales intitulé La femme Yongxin.
La
dynastie des Tang a été l’apogée du développement de la musique
et de la danse. Ce développement a profité non seulement de la
puissance, de la prospérité et de la vie assurée des habitants de
cette dynastie, mais encore du concours de la politique éclairée
appliquée par l’empereur.
Au début des Tang, on disait que la vie de luxe menée dans l’ancienne
cour impériale pouvait mener le pays à la ruine. Mais l’empereur
Li Shimin estimait que ce n’est qu'en se mêlant aux musiques populaires
traditionnelles chinoises que l’on peut bien connaître les pensées
et les sentiments du peuple. La musique et la danse ne sont que
des arts. Ils ne correspondent pas à la conception confucianiste
voulant que mener une vie dévergondée conduise le pays à la ruine.
L’empereur Li Shimin était un homme politique éminent. La mise
en œuvre d'une politique éclairée a révélé son assurance, ses vastes
connaissances et son esprit d’une grande hauteur de vues.
Le répertoire et les instruments de l’orchestre
Alors,
quelle est la véritable essence de Nüzi Shi'er Yuefang ?
Les douze membres de l’orchestre ont unanimement répondu :
« La musique chinoise. » Cet orchestre de douze Chinoises
a réalisé mille créations sur la base des musiques populaires traditionnelles
chinoises. Mais Nüzi Shi'er Yuefang a toujours pour objectif
de composer et de jouer de plus en plus de musiques populaires.
Selon un proverbe chinois : « Malgré mille changements
apparents, la nature reste toujours la même. » Sans exception,
cet orchestre de douze filles ne joue que des instruments de musique
traditionnels chinois et des musiques folkloriques. Parfois, pour
leurs concerts d’instruments traditionnels chinois, elles s'accompagnent
d’un orgue électronique pour rehausser davantage l’ambiance musicale.
Mais quels sont les instruments principaux de cet orchestre?
Instruments
à cordes. Le qin, le se, le zheng
et le pipa sont des instruments à cordes pincées, tandis
que le huqin et ses variantes sont les seuls instruments
à archet. Le qin, un luth à sept cordes, est l'un des instruments
les plus anciens. Il se présente sous la forme d’une boîte en bois,
plate et étroite, longue d’environ 1,25 m, laquée noir et munie
de sept cordes en soie. Le se et le zheng sont des
variantes du qin. Le nombre de leurs cordes a varié suivant
les époques. Le se compte 16 à 50 cordes, et le zheng,
de 13 à 16. Un petit chevalet mobile est placé sous chaque corde
pour régler le son. Le zheng est actuellement d’usage populaire.
Le pipa, d’origine étrangère, était en usage dès l’époque
des Qin. Fabriqué en bois, il mesure environ 1 m de long, et
ressemble assez à la guitare. Le huqin est plus connu sous
le nom de violon chinois. On distingue le erhu (à 2 cordes),
le sihu (à 4 cordes), le banhu et le jinghu,
petit violon criard destiné spécialement au théâtre de Pékin.
Instruments à vent. Quatre instruments
sont faits en bambou le chi, le di, le xiao
et le sheng. La flûte traversière à cinq trous d’autrefois
est appelée chi. La flûte droite, le xiao, a une
sonorité beaucoup plus douce. Le sheng, ou orgue à bouche,
est un instrument composé de 13 ou de 17 petits tuyaux en bambou,
munis d’une anche à leur extrémité inférieure, et plantés dans une
sorte de bol fait en calebasse ou en bois; il est muni d’une embouchure
par laquelle on souffle, tandis que les doigts des deux mains ouvrent
ou ferment les trous percés dans les tuyaux.
Le solo de pipa Shimian Maifu (embuscades dressées dans
dix directions) est une musique classique chinoise très renommée.
Shimian Maifu baptisée aussi « Bataille décisive de
Gaixia » raconte un événement historique que les Chinois connaissent
bien. À la fin de la dynastie des Qin (221-206 av. J.-C.), deux
armées de soulèvement paysan s’enlisaient dans un combat d’usure.
Pour disputer le pouvoir, elles lancèrent une bataille décisive
à Gaixia, au sud-est du district de Lingbi, dans la province de
l’Anhui. Shimian Maifu est un stratagème destiné à vaincre
Xiang Yu (233-202 av. J.-C.), général de la fin des Qin, qui se
souleva contre ces derniers et les vainquit, avant de se proclamer
roi. Il entra en conflit avec Liu Bang, fondateur de la dynastie
des Han de l’Ouest (206 av. J.-C.-25 apr. J.-C.), fut battu et
se suicida.
Un peu comme un roman et ses chapitres, le solo de pipa Shimian
Maifu est divisé en treize couplets qui permettent de révéler
la vie intérieure d’un personnage et le déroulement de cette histoire
émouvante. Le joueur de pipa peut avoir recours à différentes
techniques pour imiter le battement des tambours, les appels des
cors et le bruit des armes, de même qu’utiliser des rythmes impétueux
pour illustrer ce combat acharné.
En plus de Shimian Maifu, Pingsha
Luoyan (D’innombrables oies couvrent la plage) et Yu Qiao
Wenda (Dialogue entre poisson et bûcheron) sont des morceaux
de musique d’une grande élégance et d’une haute tenue ; Gaoshan
Liushui (Haute montagne et cours d’eau) révèle les paysages
pittoresques de la grande nature et les sentiments des lettrés ;
finalement, Meihua Sannong (Ode aux fleurs de prunier
en trois couplets) déploie sa musique cristalline sous les touches
d’un instrument de musique à cordes.
Par ailleurs, un des dix morceaux de musique classique, le Guanglingsan,
attire immédiatement l’attention sur son auteur, Ji Kang, écrivain,
musicien et penseur de l’époque des Trois Royaumes (220-280). Il
y a plus de 1 700 ans, cet homme de talent était considéré comme
une épine au pied et a été emprisonné par les familles Sima qui
exerçaient le pouvoir. Plus de 3 000 jeunes ont cherché à délivrer
ce savant de prison, mais leur tentative a échoué.
Au terrain d’exécution, Ji était parfaitement calme. À sa demande,
il a profité de ses derniers moments pour jouer le Guanglingsan
au public. Ce morceau de musique émouvant est divisé en cinq
grandes parties et comprend 45 couplets. Après la mort de Ji Kang,
ce morceau de musique émouvant a disparu, mais sous les titres de
Shenqi Mipu (Musique mystérieuse) et Nie Zheng Ci Hanwang
Qu (Musique de Nie Zheng qui tenta d’assassiner le roi Han)
il est réapparu 937 ans plus tard. Actuellement il a été gravé
sur CD, mais la ressemblance est telle qu’on n’arrive pas à distinguer
la copie de l’original.
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