OCTOBRE 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Un passionné du travail hôtelier

LOUISE CADIEUX ET HU CHUNHUA

M. Kamel Chaieb, directeur général du Novotel Peace de Beijing. Vue extérieur du Novotel Peace de Beijing.

Kamel Chaieb, un Français d’origine tunisienne, est le directeur général du Novotel Peace situé dans le secteur Wangfuging, une des zones en or de Beijing. Ce polyglotte, qui travaille pour le groupe Accor depuis plus de 30 ans et dont la carrière l’a amené à vivre dans une dizaine de pays, occupe ses fonctions actuelles depuis avril dernier. Il a bien voulu partager avec nous ses réflexions sur sa carrière et ses impressions sur la Chine.

C’est un homme volubile et avec beaucoup d’entregent qui nous accueille chaleureusement. Dès les premiers moments de l’entrevue, on le sent à l’aise dans son poste, et il laisse facilement percevoir la passion de son travail et tout l’investissement personnel qu’il y met.

Journalistes : M Chaieb, votre travail au Novotel de Beijing, est-ce votre premier contact avec la Chine?

Chaieb : Non. J’étais préalablement venu en Chine pour travailler à l’ouverture du Novotel Atlantis de Shanghai, ainsi que pour évaluer des établissements et des marchés. Par exemple, dans le cas du Sofitel de Chengdu qui a ouvert il y a un peu plus de six mois, j’ai fait un travail d’éclaireur, c’est-à-dire donner mon avis au groupe Accor sur la situation locale pour assurer le succès du projet. (Et pour nous permettre de bien comprendre son cheminement de carrière et son travail, M. Chaieb nous a parlé ici de ses nombreuses affectations dans le monde grâce auxquelles il a connu des environnements et des situations de toutes sortes et mis à l’épreuve son sens de l’adaptation.)

J. Dans ce type de travail, comment avez-vous fait pour surmonter la barrière linguistique que l’on trouve souvent en Chine et donner la vision la plus réaliste possible du marché à évaluer?

C. Dans ce travail, ma tâche, c’est d’évaluer la santé économique d’une ville, de voir les hôtels qui y existent et d’analyser la demande du marché; par exemple, y a-t-il trop d’hôtels ou pas assez? Ensuite, je dois évaluer le coût de la construction en matière de main-d’œuvre, de matériaux, le montage financier, recommander la bannière qui sera la plus appropriée (Sofitel, Novotel, Mercure, Ibis, etc.). Il y a tellement de choses à voir que la barrière linguistique n’est pas ce qui me préoccupe le plus. Par contre, c’est certain qu’elle nous fait perdre du temps, car il faut absolument trouver un interprète « à double culture » qui sait se mettre dans la peau d’un Français et qui comprend ce que l’on veut. Dans ce contexte, j’essaie de répéter le plus possible et d’être très clair pour que la personne comprenne bien. Ce n’est malheureusement pas toujours facile, car nous employons souvent des termes techniques.

J : Vous semblez toutefois vous adapter facilement…

C : Dans mon métier, l’adaptation, c’est la clé. Quand on travaille dans divers pays, on est amené à s’adapter à différentes choses nouvelles : langue, culture, environnement. Mais s’adapter,  moi je trouve cela passionnant. Pas toujours facile, mais une chance extraordinaire. Par exemple, quand on est en Chine, c’est sûr qu’on ne peut pas vivre à la française, mais cette expérience est positive. Ce que je cherche, c’est d’analyser la situation et de comprendre. Et Dieu sait que j’en ai connu de toutes sortes : l’instabilité politique en Russie, la guerre en Irak, la pauvreté insoutenable en Inde, mais il faut vivre avec la situation dans laquelle on est. Ainsi, quand j’ai été affecté en Corée du Sud, c’était ma première expérience avec l’Asie et ses valeurs. Ce fut une expérience importante, je dirais même inhabituelle, qui a exigé de l’adaptation de ma part. Mais en général, après trois mois, j’ai une opinion sur mon environnement et je sais ce à quoi je dois m’adapter. Le secret, c’est de faire table rase, de se mêler à la culture locale. Si on ne connaît pas les traditions, la cuisine d’un endroit, on passe à côté.

J. Comme vous ne pouvez pas être familier avec tous les pays, le groupe Accor vous donne-t-il une formation avant de vous affecter à un endroit?

C. Oui, mais une formation technique. Maintenant, les hôtels sont des lieux de loisirs, pas seulement des endroits pour dormir. Les clients veulent de plus en plus de services, et le groupe nous prépare en ce sens, c’est-à-dire à bien servir les besoins particuliers d’une clientèle donnée. Toutefois, lorsque j’arrive dans un endroit, j’essaie de passer du temps avec mes collaborateurs directs; c’est cela qui est important. Et en passant, vous savez, le groupe Accor a beaucoup d’ambition par rapport au marché chinois dont la croissance est fulgurante. Nous y avons déjà plus de 30 hôtels sous contrat de gestion ou en partenariat. En outre, après le premier hôtel portant l’enseigne Ibis à Tianjin, le groupe veut en ouvrir une vingtaine d’autres.  Cette enseigne est un hôtel milieu de gamme, et c’est ce dont le marché chinois a besoin. Le groupe va travailler avec des gestionnaires locaux et offrir un produit fort. Pour cela, l’important, c’est de bien comprendre le marché chinois, car il est porteur.

J. Justement, ce marché chinois, comment le qualifieriez-vous?

C. Comme tous les autres marchés, c’est un marché en changement, selon les exigences de la clientèle. Heureusement, le groupe peut offrir une bonne complémentarité avec ses différentes enseignes. Selon les endroits, la clientèle est différente. Par exemple, ici, à Beijing, la clientèle est à 60 % étrangère, alors qu’à Wuhan, elle à 80 % chinoise. Donc, l’approche est nécessairement différente. Le client chinois est prêt à dépenser, mais il veut qu’on justifie sa dépense.

J. Le groupe doit-il ajuster ses politiques pour satisfaire cette clientèle chinoise?

C. Alors qu’ailleurs dans le monde nos politiques sont relativement uniformisées, en Asie, le groupe fait preuve d’adaptabilité. La clientèle chinoise voyage de plus en plus à l’intérieur du pays et est exigeante. Il y a le client haut de gamme qui veut le top, et il y a le client d’échelon moyen qui veut un bon rapport qualité/prix. Par exemple, en Chine, la clientèle se voit offrir gracieusement les accessoires comme le rasoir jetable, le peignoir, la brosse à dents, alors qu’ailleurs, la tendance tend à ne plus offrir ces services gratuitement. Il faut aussi un endroit pour jouer au mah-jong,  un karaoké, un restaurant chinois et même trois ou quatre, un bagagiste, un portier, un voiturier, etc. En Asie, un hôtel Novotel est pratiquement un Sofitel, notre enseigne haut de gamme. En outre, le groupe voit à former des cadres chinois pour bien s’intégrer au milieu.

J. Qu’est-ce qui est facile et qu’est-ce qui l’est moins dans votre travail ici?

C. Le plus important, c’est de fidéliser la clientèle. Le fonds de commerce qui se crée avec le temps est un actif important. Mais il faut aussi constamment renouveler cette clientèle. Si on a toujours la même, un jour, la source va se tarir. Mais pour atteindre ces objectifs, ici, il faut surmonter certaines difficultés, et plus particulièrement sur le plan des communications linguistiques et des valeurs. Par exemple, quand le groupe signe un contrat de gestion avec un hôtel, il y a encore parfois d’anciennes mentalités qui subsistent. .Il faut faire comprendre qu’une carrière se gère, que le travail doit non seulement être fait, mais aussi bien fait, et concrétiser la notion de productivité. Il faut encore que le personnel atteigne une certaine polyvalence, soit plus mobile. Par ailleurs, à ce propos, la jeune génération est très prometteuse. Il y a des jeunes qui sont allés en Suisse, en Australie pour étudier en gestion hôtelière, et cela c’est bon. Sur le plan de l’approvisionnement, il n’y a pas de problème. En Chine, on a tout et même plus. En outre, les outils de marketing sont adaptables. En somme, le défi, c’est d’arriver à avoir un bon encadrement, et de ce côté,  il y a encore du travail à faire.

J. Votre personnel maîtrise-t-il bien les langues étrangères?

C. Un professeur d’anglais est à la disposition du personnel, mais la motivation n’est pas toujours là. On a donc décidé de verser une indemnité à ceux qui parlent anglais. Il est évident que l’argent est un important facteur de motivation. Aujourd’hui, il y a beaucoup de magasins un peu partout et les gens veulent avoir accès à tout ce qui est offert. Reste à comprendre que rien n’est acquis, qu’il faut travailler pour l’avoir…

J. Qu’aimez-vous surtout de la Chine?

C. La Chine est passionnante. J’aime le caractère des Chinois. Ils sont orientalistes, fatalistes, mais attachants. Ici, les gens font preuve d’un niveau d’amabilité que l’on trouve rarement ailleurs. Ils respectent l’étranger, ont la tradition de vivre et de communiquer ensemble. Je suis content que ma famille vive ici. Ma fille de huit ans peut apprendre facilement le chinois, en plus d’apprendre l’anglais et de parler le français et le russe à la maison, puisque sa mère est Russe.

J. Quelle est votre plus belle expérience en Chine?

C. Je suis ici pour créer quelque chose. Pour moi, le moment le plus fort, c’est lorsque j’ouvre un hôtel; dans ce sens, ma plus belle expérience en Chine, c’est l’ouverture de l’hôtel Novotel de Wuhan.  C’est l’aboutissement de deux années d’efforts. Ç’a été comme de lancer un bateau à la mer. C’est un hôtel complètement nouveau, très très beau qui mérite bien 5 étoiles.

J. Et vos loisirs?

C. Ils sont passablement limités. Comme tout le monde, j’aime visiter les sites en famille. L’histoire chinoise m’impressionne beaucoup, car elle a marqué profondément l’histoire du monde.

En raison de son métier, M. Chaieb sait qu’il est en Chine pour un temps limité, probablement trois ou quatre ans. Mais ce travailleur acharné a bien l’intention d’y laisser un « outil viable », comme il le dit; en somme, il y laissera un peu de lui, car il y aura beaucoup investi de son temps et de ses espoirs..