Un
passionné du travail hôtelier
LOUISE CADIEUX ET HU CHUNHUA
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M.
Kamel Chaieb, directeur général du Novotel Peace de Beijing. |
Vue extérieur du Novotel Peace de Beijing. |
Kamel
Chaieb, un Français d’origine tunisienne, est le directeur général
du Novotel Peace situé dans le secteur Wangfuging, une des zones
en or de Beijing. Ce polyglotte, qui travaille pour le groupe Accor
depuis plus de 30 ans et dont la carrière l’a amené à vivre dans
une dizaine de pays, occupe ses fonctions actuelles depuis avril
dernier. Il a bien voulu partager avec nous ses réflexions sur sa
carrière et ses impressions sur la Chine.
C’est un homme volubile et
avec beaucoup d’entregent qui nous accueille chaleureusement. Dès
les premiers moments de l’entrevue, on le sent à l’aise dans son
poste, et il laisse facilement percevoir la passion de son travail
et tout l’investissement personnel qu’il y met.
Journalistes : M Chaieb, votre travail au Novotel de Beijing, est-ce votre
premier contact avec la Chine?
Chaieb : Non. J’étais préalablement venu en Chine pour travailler à l’ouverture
du Novotel Atlantis de Shanghai, ainsi que pour évaluer des établissements
et des marchés. Par exemple, dans le cas du Sofitel de Chengdu qui
a ouvert il y a un peu plus de six mois, j’ai fait un travail d’éclaireur,
c’est-à-dire donner mon avis au groupe Accor sur la situation locale
pour assurer le succès du projet. (Et pour nous permettre de
bien comprendre son cheminement de carrière et son travail, M. Chaieb
nous a parlé ici de ses nombreuses affectations dans le monde grâce
auxquelles il a connu des environnements et des situations de toutes
sortes et mis à l’épreuve son sens de l’adaptation.)
J. Dans ce type de travail, comment avez-vous fait pour surmonter
la barrière linguistique que l’on trouve souvent en Chine et donner
la vision la plus réaliste possible du marché à évaluer?
C. Dans ce travail,
ma tâche, c’est d’évaluer la santé économique d’une ville, de voir
les hôtels qui y existent et d’analyser la demande du marché; par
exemple, y a-t-il trop d’hôtels ou pas assez? Ensuite, je dois évaluer
le coût de la construction en matière de main-d’œuvre, de matériaux,
le montage financier, recommander la bannière qui sera la plus appropriée
(Sofitel, Novotel, Mercure, Ibis, etc.). Il y a tellement
de choses à voir que la barrière linguistique n’est pas ce qui me
préoccupe le plus. Par contre, c’est certain qu’elle nous fait perdre
du temps, car il faut absolument trouver un interprète « à
double culture » qui sait se mettre dans la peau d’un Français
et qui comprend ce que l’on veut. Dans ce contexte, j’essaie de
répéter le plus possible et d’être très clair pour que la personne
comprenne bien. Ce n’est malheureusement pas toujours facile, car
nous employons souvent des termes techniques.
J : Vous semblez toutefois vous adapter
facilement…
C : Dans mon métier, l’adaptation,
c’est la clé. Quand on travaille dans divers pays, on est amené
à s’adapter à différentes choses nouvelles : langue, culture,
environnement. Mais s’adapter, moi je trouve cela passionnant.
Pas toujours facile, mais une chance extraordinaire. Par exemple,
quand on est en Chine, c’est sûr qu’on ne peut pas vivre à la française,
mais cette expérience est positive. Ce que je cherche, c’est d’analyser
la situation et de comprendre. Et Dieu sait que j’en ai connu de
toutes sortes : l’instabilité politique en Russie, la guerre
en Irak, la pauvreté insoutenable en Inde, mais il faut vivre avec
la situation dans laquelle on est. Ainsi, quand j’ai été affecté
en Corée du Sud, c’était ma première expérience avec l’Asie et ses
valeurs. Ce fut une expérience importante, je dirais même inhabituelle,
qui a exigé de l’adaptation de ma part. Mais en général, après trois
mois, j’ai une opinion sur mon environnement et je sais ce à quoi
je dois m’adapter. Le secret, c’est de faire table rase, de se mêler
à la culture locale. Si on ne connaît pas les traditions, la cuisine
d’un endroit, on passe à côté.
J. Comme vous ne pouvez pas
être familier avec tous les pays, le groupe Accor vous donne-t-il
une formation avant de vous affecter à un endroit?
C. Oui, mais une formation technique.
Maintenant, les hôtels sont des lieux de loisirs, pas seulement
des endroits pour dormir. Les clients veulent de plus en plus de
services, et le groupe nous prépare en ce sens, c’est-à-dire à bien
servir les besoins particuliers d’une clientèle donnée. Toutefois,
lorsque j’arrive dans un endroit, j’essaie de passer du temps avec
mes collaborateurs directs; c’est cela qui est important. Et en
passant, vous savez, le groupe Accor a beaucoup d’ambition par rapport
au marché chinois dont la croissance est fulgurante. Nous y avons
déjà plus de 30 hôtels sous contrat de gestion ou en partenariat.
En outre, après le premier hôtel portant l’enseigne Ibis
à Tianjin, le groupe veut en ouvrir une vingtaine d’autres. Cette
enseigne est un hôtel milieu de gamme, et c’est ce dont le marché
chinois a besoin. Le groupe va travailler avec des gestionnaires
locaux et offrir un produit fort. Pour cela, l’important, c’est
de bien comprendre le marché chinois, car il est porteur.
J. Justement, ce marché chinois, comment le
qualifieriez-vous?
C. Comme tous les
autres marchés, c’est un marché en changement, selon les exigences
de la clientèle. Heureusement, le groupe peut offrir une bonne complémentarité
avec ses différentes enseignes. Selon les endroits, la clientèle
est différente. Par exemple, ici, à Beijing, la clientèle est à
60 % étrangère, alors qu’à Wuhan, elle à 80 % chinoise. Donc, l’approche
est nécessairement différente. Le client chinois est prêt à dépenser,
mais il veut qu’on justifie sa dépense.
J. Le groupe doit-il ajuster ses politiques
pour satisfaire cette clientèle chinoise?
C. Alors qu’ailleurs dans le monde
nos politiques sont relativement uniformisées, en Asie, le groupe
fait preuve d’adaptabilité. La clientèle chinoise voyage de plus
en plus à l’intérieur du pays et est exigeante. Il y a le client
haut de gamme qui veut le top, et il y a le client d’échelon moyen
qui veut un bon rapport qualité/prix. Par exemple, en Chine, la
clientèle se voit offrir gracieusement les accessoires comme le
rasoir jetable, le peignoir, la brosse à dents, alors qu’ailleurs,
la tendance tend à ne plus offrir ces services gratuitement. Il
faut aussi un endroit pour jouer au mah-jong, un karaoké, un restaurant
chinois et même trois ou quatre, un bagagiste, un portier, un voiturier,
etc. En Asie, un hôtel Novotel est pratiquement un Sofitel, notre
enseigne haut de gamme. En outre, le groupe voit à former des cadres
chinois pour bien s’intégrer au milieu.
J. Qu’est-ce qui est facile et qu’est-ce qui
l’est moins dans votre travail ici?
C. Le plus important, c’est de fidéliser
la clientèle. Le fonds de commerce qui se crée avec le temps est
un actif important. Mais il faut aussi constamment renouveler cette
clientèle. Si on a toujours la même, un jour, la source va se tarir.
Mais pour atteindre ces objectifs, ici, il faut surmonter certaines
difficultés, et plus particulièrement sur le plan des communications
linguistiques et des valeurs. Par exemple, quand le groupe signe
un contrat de gestion avec un hôtel, il y a encore parfois d’anciennes
mentalités qui subsistent. .Il faut faire comprendre qu’une carrière
se gère, que le travail doit non seulement être fait, mais aussi
bien fait, et concrétiser la notion de productivité. Il faut encore
que le personnel atteigne une certaine polyvalence, soit plus mobile.
Par ailleurs, à ce propos, la jeune génération est très prometteuse.
Il y a des jeunes qui sont allés en Suisse, en Australie pour étudier
en gestion hôtelière, et cela c’est bon. Sur le plan de l’approvisionnement,
il n’y a pas de problème. En Chine, on a tout et même plus. En outre,
les outils de marketing sont adaptables. En somme, le défi, c’est
d’arriver à avoir un bon encadrement, et de ce côté, il y a encore
du travail à faire.
J. Votre personnel maîtrise-t-il bien les langues
étrangères?
C. Un professeur
d’anglais est à la disposition du personnel, mais la motivation
n’est pas toujours là. On a donc décidé de verser une indemnité
à ceux qui parlent anglais. Il est évident que l’argent est un important
facteur de motivation. Aujourd’hui, il y a beaucoup de magasins
un peu partout et les gens veulent avoir accès à tout ce qui est
offert. Reste à comprendre que rien n’est acquis, qu’il faut travailler
pour l’avoir…
J. Qu’aimez-vous surtout de la Chine?
C. La Chine est
passionnante. J’aime le caractère des Chinois. Ils sont orientalistes,
fatalistes, mais attachants. Ici, les gens font preuve d’un niveau
d’amabilité que l’on trouve rarement ailleurs. Ils respectent l’étranger,
ont la tradition de vivre et de communiquer ensemble. Je suis content
que ma famille vive ici. Ma fille de huit ans peut apprendre facilement
le chinois, en plus d’apprendre l’anglais et de parler le français
et le russe à la maison, puisque sa mère est Russe.
J. Quelle est votre plus belle expérience en
Chine?
C. Je suis ici pour créer quelque
chose. Pour moi, le moment le plus fort, c’est lorsque j’ouvre un
hôtel; dans ce sens, ma plus belle expérience en Chine, c’est l’ouverture
de l’hôtel Novotel de Wuhan. C’est l’aboutissement de deux années
d’efforts. Ç’a été comme de lancer un bateau à la mer. C’est un
hôtel complètement nouveau, très très beau qui mérite bien 5 étoiles.
J. Et vos loisirs?
C. Ils sont passablement
limités. Comme tout le monde, j’aime visiter les sites en famille.
L’histoire chinoise m’impressionne beaucoup, car elle a marqué profondément
l’histoire du monde.
En raison de son métier, M. Chaieb sait qu’il
est en Chine pour un temps limité, probablement trois ou quatre
ans. Mais ce travailleur acharné a bien l’intention d’y laisser
un « outil viable », comme il le dit; en somme, il y laissera
un peu de lui, car il y aura beaucoup investi de son temps et de
ses espoirs..
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