Bilan
et perspectives des relations sino-françaises ( I )
CAI FANGBO
Pour
souligner le 40e anniversaire de l’établissement des
relations diplomatiques entre la Chine et la France, nous vous présentons
un article en deux volets qui fait état des hauts et des bas de
ces relations au fil du temps.
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L’auteur. |
Après
avoir décoré l’auteur de la médaille de grand officier de
la Légion d’honneur, le président Chirac pose avec lui et
son épouse. |
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M.
Jacques Chirac, alors maire de Paris, à la réception donnée
lors d’une célèbration de la fête nationale à l’ambassade
de Chine en France. |
L’auteur
et son épouse se pose avec l’ancien premier ministre Édouard
Balladur. |
Le 27 janvier 1964, une
déclaration commune comptant seulement deux phrases était publiée
par la Chine et la France. Dans celle-ci, on déclarait l’établissement
de relations diplomatiques à l’échelon des ambassadeurs. L’Occident
et même le monde entier ont été frappés par cette nouvelle. La plupart
des pays montrèrent leur accord et leur soutien, tandis que certains
autres restèrent réservés ou s’opposèrent carrément. Les États-Unis
logèrent une protestation auprès du gouvernement français. Néanmoins,
ayant résisté aux épreuves du temps, la portée de l’établissement de ces relations sino-françaises
ne se limite pas aux champs des liens bilatéraux. En effet, cet événement a exercé un impact profond et durable sur l'évolution
des relations internationales et de l'échiquier mondial. Le temps file comme une flèche, le partenariat sino-français
a maintenant atteint l’âge de la maturité. Puisque la plus grande
partie de ma carrière diplomatique a été liée aux rapports sino-français,
à l’occasion du 40e anniversaire de l’établissement des
relations diplomatiques entre la France et la Chine, j’estime important
de présenter brièvement leur bilan et leurs perspectives afin de
célébrer le futur éclatant des relations de partenariat entre nos
deux pays.
La longue histoire des
relations sino-françaises
Les échanges populaires
entre les deux pays remontent à loin. Au milieu du XIIIe
siècle, la France a envoyé un émissaire en Chine. Pendant le XVIIe
et XVIIIe siècles, la théorie confucianiste, les pensées philosophiques,
des objets d’art et d’horticulture ont été rapportés en France par
des missionnaires français. Tout cela a impressionné vivement la
couche supérieure de la société et les intellectuels français.
La Révolution française,
les savants de l’époque des Lumières et la Commune de Paris ont
fortement influencé les intellectuels et les révolutionnaires chinois.
Les anciens révolutionnaires comme Zhou Enlai et Deng Xiaoping se
sont consacrés à la cause révolutionnaire pendant leurs études en
France. En outre, presque toutes les œuvres connues sur les plans
de la philosophie, des sciences sociales et de la littérature ont
été traduites en chinois. La victoire de la révolution chinoise
de 1949 n’a pas diminué l’intérêt des Français des divers milieux
envers la Chine.. Cependant, à cause de la guerre froide, il n’y
avait pas de relations diplomatiques ni de contacts officiels entre
les deux pays. Il y avait peu d’échanges commerciaux, culturels
et populaires.
En 1964, l’établissement
officiel des relations diplomatiques a ouvert ainsi une nouvelle
page dans les rapports d’amitié sino-français. Ainsi, la France
est devenue le premier grand pays occidental à avoir établi des
relations diplomatiques avec la Chine. En 1963, l’ancien premier
ministre Edgar Faure, en tant qu'envoyé spécial du général de Gaulle,
est venu en Chine pour discuter de l'établissement de relations
diplomatiques avec les dirigeants chinois. À l’invitation de Zhang
Ruoxi, président de l’Institut de diplomatie populaire de la Chine,
Faure est arrivé à Beijing le 22 avril. Le président Mao Zedong
et Liu Shaoqi l’ont reçu à tour de rôle. Le premier ministre Zhou
Enlai et le vice-ministre Chen Yi ont discuté avec lui à Beijing
et à Shanghai. À l'issue de plusieurs négociations, les deux parties
sont arrivées à trois ententes suivantes : 1) que la République
française reconnaisse que la République populaire de Chine est le
seul gouvernement légitime du peuple chinois; 2) que la République
française soutienne les droits légitimes de la Chine aux Nations
Unies et ne reconnaisse plus la représentation du groupe de Tchiang
Kai-chek ; 3) après l’établissement des relations sino-françaises,
à la suite du retrait des représentants et des délégations du groupe
de Tchiang Kai-chek, la France devra rappeler ses représentants
et y fermer ses représentations à Taïwan.
Le 12 décembre 1963, M.
Jacques de Beaumarchais, directeur du département d’Europe du ministère
des Affaires étrangères et envoyé du gouvernement français, s’est
rendu à Berne, capitale de la Suisse, pour y tenir, avec Li Qingquan,
ambassadeur de Chine en Suisse, une discussion approfondie relative
à cet établissement. Le 9 janvier 1964, les deux parties ont abouti
à un consensus sur le choix des termes de la déclaration commune :
la République populaire de Chine et la République française décident
toutes les deux d’établir des relations diplomatiques, et chacun
des gouvernements décide d’envoyer son ambassadeur dans un délai
de trois mois. Nous avions alors déjà fait savoir au gouvernement
français que la Chine donnerait une explication publique à la suite
de la publication de la déclaration commune. Le communiqué étant
daté du 27 janvier 1964, le lendemain le porte-parole du ministère
chinois des Affaires étrangères a fait la déclaration solennelle
suivante :
En tant que seul gouvernement
légitime, la République populaire de Chine a négocié avec le gouvernement
français et a conclu un accord. Selon les usages internationaux,
reconnaître le nouveau gouvernement d’une nation, c’est par le fait
même ne plus reconnaître l’ancien groupe dirigeant renversé par
le peuple. Par conséquent, le représentant de l’ancien gouvernement
ne sert plus celui de ce pays et ne peut plus coexister dans les mêmes nations ou organisations internationales.
C’est dans ce contexte, que le gouvernement chinois a donné son
accord sur l’établissement des relations diplomatiques et l’échange
d’ambassadeurs avec le gouvernement français. L’administration chinoise
pense qu’il est nécessaire de réaffirmer le fait que le Taiwan fait
partie intégrante de la Chine. Le gouvernement et le peuple chinois
s’opposent à toute initiative pouvant mener à l’indépendance de
Taiwan ou à la situation de « deux Chine ».
Le 31 janvier, le président
de Gaulle a tenu une conférence de presse et a proclamé officiellement
la reconnaissance de la République populaire de Chine et l’établissement
des relations diplomatiques à l’échelon des ambassadeurs. Le 10
février, le gouvernement français a informé les autorités de Taiwan
en leur disant que la délégation de Taiwan devait quitter la France
dès que les représentants de Beijing arriveraient à Paris. Le même
jour, les autorités de Taiwan ont annoncé la rupture des relations
diplomatiques avec la France et a rappelé ses représentants. La
partie française a fait de même.
Le 27 mai, le premier ambassadeur
de France en Chine, M. Lucien Payer, est arrivé à Beijing ;
le 2 juin, l’ambassadeur de Chine en France, M. Huang Zhen, est
arrivé à Paris. Ainsi, l’établissement des relations diplomatiques
sino-françaises s’est effectué avec succès.
Les trois étapes du
développement des relations sino-françaises
Pendant ces 40 années,
bien que marqué par une progression en dents de scie, notre partenariat s’est renforcé. On peut en distinguer trois étapes :
De 1964 à 1989, la période d’heureux développement des relations
sino-françaises. Au début, les relations politiques, économiques et culturelles se sont développées
rapidement entre les deux pays. Le dialogue politique de haut
niveau a été fructueux. Le 19 juillet 1965, André Malraux, ministre
de la Culture, a visité la Chine. Les deux parties ont échangé leurs
vues sur les relations bilatérales et les affaires internationales.
Elles ont nourri les mêmes concepts contre l’hégémonisme des États-Unis
et de l’URSS. Cette année-là, les deux parties ont signé un protocole
d’accord sur les échanges culturelles, et le nombre d’échanges d’étudiants
a augmenté. Les délégations culturelles et scientifiques sont devenues
de plus en plus nombreuses. Le volume du commerce bilatéral a enregistré
des avancées notoires. Le 16 mai 1966, le président de Gaulle a
reçu l’ambassadeur Huang dans son bureau de la présidence et a invité
le premier ministre Zhou Enlai à visiter la France. Il voulait ainsi
réaliser un dialogue direct entre les chefs d’État en vue de renforcer
les relations sino-françaises. Il a ainsi bien préparé la voie à
sa visite officielle en Chine. En raison de la conjoncture internationale
et de la situation politique intérieure, cette visite n’a pas eu
lieu. Le 28 avril 1969, défait au référendum, de Gaulle a quitté
son poste et il n’a pas pu réaliser son souhait de visiter la Chine.
Même après sa disparition de la scène politique, de Gaulle a maintenu
cet espoir. La partie chinoise voulait également le recevoir. Malheureusement,
son décès, survenu le 9 novembre 1970, a mis un point final à cet
espoir. Après 1966, bien qu'affectés pendant un temps par la Révolution culturelle en
Chine et les turbulences de mai 1968 en France, les rapports bilatéraux
ont connu, dans l'ensemble, un essor relativement stable. Les deux pays ont décidé de normaliser leurs relations bilatérales en 1969.
Par la suite, à la faveur de la politique d'ouverture, les relations
sino-françaises ont emprunté une bonne voie.
Premièrement, les échanges
de vues politiques entre nos deux pays sont denses et de bonne qualité,
et ils sont nourris par des rencontres fréquentes entre les dirigeants
des deux parties. Le président Pompidou a effectué une visite en
Chine du 11 au 17 septembre 1973 et il a été le premier chef d’État
français à le faire. Cette visite
a dissipé le regret de Gaulle et de Mao Zedong de ne pas de se rencontrer.
Par la suite, le vice-premier ministre Deng Xiaoping a visité la
France le 12 mai 1975, et il a été reçu chaleureusement par Jacques
Chirac, alors premier ministre. Le 19 janvier 1978, le premier ministre
Raymond Barre
est venu en visite en Chine. Le président Valéry Giscard d'Estaing,
le président Mitterrand et d’autres dirigeants français ont visité
aussi la Chine ; le premier ministre Hua Guofeng, le président
Li Xiannian et d’autres dirigeants chinois ont visité la France.
Deuxièmement, nos deux
pays ont connu une progression importante des échanges commerciaux.
La Chine
et la France ont conclu une série d'accords portant respectivement
sur le transport maritime, le transport aérien, la coopération économique
à long terme, l'exemption de la double imposition et la protection
des investissements. De 1969 à 1989, le volume des importations et des
exportations entre les deux pays est passé de 129 million à
1,948 milliards de dollars. D’avril 1985 à avril 1989, la France
a accordé des prêts de 8,544 milliards de Francs français à termes
favorables et la coopération bilatérale sur le plan économique et technique a été ainsi renforcée. Pendant cette période, nos deux pays ont réalisé plusieurs projets d’importance,
dont la réalisation d'ambitieux programmes d'équipement, à commencer
par ceux des centrales nucléaires de Daya Bay.
Troisièmement, les échanges
culturels, éducatifs et scientifiques se sont élargis. Par exemple,
en 1988, lors de la 4e commission mixte technico-scientifique, 125 projets de coopération, soit 50 % de plus,
ont été décidés. La Chine a envoyé de nombreux étudiants en France ;
les deux pays ont connu un développement spectaculaire de leurs
relations, ainsi qu’en témoigne l'intensité des échanges culturels.
Cai
Fangbo, ancien ambassadeur chinois
en France et vice-président de la Commission des Affaires étrangères
de l'Assemblée populaire nationale de la 9e législature
de Chine
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