OCTOBRE 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Le Xinjiang pluriel

C’est un kaléidoscope de couleurs et de saveurs ethniques qui vous attend au Xinjiang. En faisant un détour par le passé, notre article vous convie à découvrir un aperçu de cette région aujourd’hui.

LI XIA

La région autonome ouïgoure du Xinjiang est la plus vaste région de Chine, car elle couvre une superficie de plus de 1,6 million de km2. Contiguë à huit pays, elle a une frontière qui s’étend sur 5 600 km. Les outils de pierre et de poterie excavés témoignent que des ancêtres des humains y auraient vécu aux alentours du néolithique. Déjà il y a 2 000 ans, la route de la Soie traversait cette contrée. Se trouvant à un point clé de passage, le Xinjiang a connu de fréquents échanges interethniques, ce qui a produit des relations parentales et ethniques très disparates. Treize ethnies vivent actuellement sur ce territoire. La diversité culturelle, naturelle et historique a fait de ce lieu un terreau de la diversité.

Les Contrées occidentales

Le Xinjiang s’appelait autrefois Contrées occidentales. Ce nom est apparu dans les archives historiques sous la dynastie des Han (206 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.). C'est lorsque la région a été unifiée sous les Qing (1644-1911) qu'elle a adopté son nom actuel de Xinjiang.

La dynastie des Han a été l’une des plus prospères de l’histoire de Chine. Le prestige  de ce puissant pays d’Orient était alors comparable à celui de l’empire romain. Les Contrées occidentales comptaient des petites principautés et, parmi celles-ci, les contrées septentrionales étaient entre les mains des Xiongnu, une ethnie nomade puissante vivant dans les prairies du Nord, sous les Qin (221 – 206 av.J.-C.) et les Han. Wudi Liuche, l’empereur des Han qui a le mieux réussi, a régné pendant 54 ans. Il figure parmi les empereurs dont le règne a été le plus long. La puissance et la richesse du pays l’ont incité à conquérir de nouveaux territoires. Les Han sont descendus au sud jusqu’au Yunnan d’aujourd’hui, et vers l’est, ils sont allés jusqu’en Corée. Toutefois, la résistance des Xiongnu au nord-ouest était tenace; une bataille a même fait de très nombreux morts couvrant des kilomètres de route.

En 138 av. J.-C., ce même Wudi Liuche avait envoyé un dénommé Zhang Qian dans les Contrées occidentales afin qu'il contacte Rou Zhi pour qu'il se rallie au combat contre les Xiongnu. Cela lui a pris 13 ans et il a été détenu à deux reprises par les Xiongnu. Cette mission avait mobilisé une centaine de personnes; au retour toutefois, Zhang n’avait plus qu’un seul compagnon.

En 119 av. J.-C., Zhang s'est de nouveau rendu dans les Contrées occidentales et y a rendu visite à plusieurs principautés. En contrepartie, ces dernières envoyaient leurs ambassadeurs au Centre, ce qui encourageaient les échanges économiques et culturels entre les Han et les Contrées occidentales. Des articles comme la soie, les instruments en fer et en laque étaient, à l’époque, transportés de la lointaine plaine du Centre vers les Contrées occidentales; en échange, les habitants des oasis fournissaient jade, fourrure et chevaux. Des marchands encore plus courageux transportaient leurs marchandises jusqu’en Asie centrale, voire en Méditerranée. Cette voie commerciale qui traversait les Contrées occidentales était justement la route de la Soie.

Les Xiongnu constituaient une menace. À ses débuts, la dynastie des Han étant incapable de les égaler en force, elle a opté pour l’« union matrimoniale », c’est-à-dire qu'une princesse han épousait le roi des tribus xiongnu. Pour garantir la sécurité de la route, le gouvernement han y envoyait ses armées. Celles-ci y cultivaient la terre pour l’approvisionnement alimentaire des troupes. Leurs premiers champs se trouvaient dans l’actuel district de Luntai.

Aujourd’hui, c’est la mi- juin et la canicule commence déjà à planer sur le Xinjiang. De Korla, chef-lieu du canton Bayinguole, nous partons pour le district de Luntai. C’est quand on s’approche des vestiges de terrasses que l’on retrouve le sentiment d’être dans la zone frontalière des Han. Les terrasses d’alerte sont méconnaissables après 2 000 ans d’érosion. Elles avaient quelques dizaines de mètres de hauteur et leurs fumées servaient alors de signaux d’alerte.

Les gens de l’endroit nous racontent qu’il y 2 000 ans, lorsque les Han y avaient installé leurs troupes, c’était le district de Luntai qu’ils visaient, car celui-ci représentait en quelque sorte toute la région des Contrées occidentales. C'est très différent aujourd’hui. Le projet de gazoduc Ouest-Est, l’un des plus importants ouvrages en cours en Chine, inclut à part entière cette contrée : le district produit du pétrole et du gaz et on œuvre à y explorer plus de gaz pour le transférer à Shanghai.

Non seulement Zhang Qian, mais aussi Ban Chao figurent parmi les gens qui ont contribué à la paix dans les Contrées occidentales. Ban Chao était un Han de l’Est. Les historiens appellent Han de l’Ouest ceux des Han qui avaient Chang’an pour capitale. À la fin des Han de l’Ouest, à cause des luttes intestines au sein de la cour, Wang Mang, une personne d’une autre famille, a accaparé le pouvoir et a fondé une « nouvelle » dynastie. Celle-ci n’a pas duré longtemps; les Liao ont profité des révoltes populaires pour remonter sur le trône. Ils ont installé leur capitale à Luoyang, dans le Henan. Les historiens appellent Han de l’Est cette période de la dynastie des Han. Au début des Han de l’Est, les Xiongnu ont reconquis les territoires des Contrées occidentales. Ban Chao, aux compétences politiques et militaires exceptionnelles, s’est vu confier la mission de reprendre en main les terres perdues. Il n’a pas déçu les attentes de l’empereur. Il est parvenu à stabiliser la situation politique des Contrées occidentales. En l’an 97, il a envoyé des ambassadeurs dans l’empire romain, ce qui a promu les communications entre l’Occident et l’Orient.

Après quelques dynasties de bouleversements et d’intégrations ethniques, ces Contrées ont finalement été réunies avec la Chine par la dynastie des Tang. En 1759, soit des centaines d’années plus tard, les Qing ont donné le nom de Xinjiang à ces Contrées occidentales. Ils y ont alors implanté des préfectures. Le système politique et militaire était à peu près identique à celui de la plaine du Centre; l’unification s’en est trouvée renforcée.

Le lieu des fusions ethniques

Wumai’er Abudureyimu a 65 ans et il habite dans le district de Kuqa, dans la région d'Aksu. Sa maison est pleine de décorations de style ouïgour. Les pièces au nord s’ouvrant au sud servent de salon, de chambre à coucher et de cuisine. Le sol de la galerie attenante est couvert d’un tapis ouïgour. Une grosse corde pend de la tonnelle. Le petit-fils de Wumai’er n'a que deux ans et il grimpe et se balance déjà à cette corde. C'est un jouet que son grand-père lui a offert. Cette famille reçoit souvent des touristes curieux de découvrir la vie ouïgoure. L’enfant semble habitué à la fréquentation des visiteurs et il pose pour eux sans aucune gêne.

On pénètre ensuite dans le jardin du vieil homme; des mûriers, des cerisiers, des figuiers, des grenadiers et des pieds de vigne y sont plantés. Wumai’er vit avec son fils. Cette famille compte cinq personnes. On y élève des bovins, des moutons et des coqs, en plus de cultiver des arbres fruitiers. Ils ont une charrette et un âne, de même qu'une moto. Ce grand-père me dit que la famille dispose d'un revenu annuel d’environ 40 000 yuans, et qu’un tel revenu n’est pas rare dans leur village. Le vieillard et son épouse ne parlent pas mandarin; ils connaissent pourtant la stratégie de mise en valeur de l’Ouest du gouvernement central. Ici, sera bientôt construite la cité du pétrole. Ainsi, quand on aura aménagé les routes, les produits de la région pourront être transportés ailleurs. La bru est une jeune ouïgoure douce et aimable; elle parle peu. Wumai’er nous confie que c’est à partir de 1985 que leur vie s’est améliorée. Depuis cette année-là, ils peuvent eux-mêmes planter des arbres fruitiers et élever des bestiaux.

Depuis l’Antiquité, le Xinjiang a été un lieu de rassemblement de diverses tribus. Des changements s’y produisent depuis des milliers d’années. L’amalgame des 13 ethnies vivant à cet endroit est le fruit d’évolutions complexes, de divisions et d’intégrations. Les découvertes archéologiques et les recherches anthropologiques prouvent que les anciennes populations du Xinjiang étaient composées de Sai (Sak), des blancs indo-européens, et de Qiang, des jaunes mongols, ainsi que de métis de ces deux ethnies. On retrouve des images de blancs indo-européens sur des tissus de soie et sur des fresques.

Les ethnies du Xinjiang peuvent se diviser en deux catégories, selon la langue qu’elles utilisent : celles qui parlent le tujue et celles qui ne le parlent pas. Leurs croyances religieuses se différencient également : les Ouïgours, les Kazakhs, les Tadjiks et les Hui sont musulmans; les autres ethnies ne le sont pas. Les ethnies ne résident pas non plus au même endroit : les Ouïgours demeurent au sud des monts Tianshan; les Kirghiz, dans le sud-ouest; les Tadjiks, sur le plateau Pamir; et les Mongols et Kazakhs, au nord. Les Ouïgours représentent la majeure partie de la population du Xinjiang. Selon un recensement de 1998, ils sont 8 139 400, soit 47,8 % de la population du Xinjiang.

Dans ce Xinjiang où les fidèles de l’islam sont nombreux, la mosquée de Kuqa est très connue. Elle se trouve au nord du district du même nom. Sous le soleil de l’été, le bâtiment Xuanli de couleur beige brille dans toute sa majesté. Les édifices de ce temple sont de style ouïgour.

On y a rencontré Dawuti Maihesuti, le « dernier prince de Kuqa ». Né en 1927 dans une famille ordinaire, il a été choisi par le treizième prince de Kuqa sans héritier qui l’a reçu dans son palais et désigné comme héritier. En 1941, pour des raisons politiques, Dawuti, alors âgé de 14 ans, a été proclamé roi de Kuqa par les seigneurs de guerre qui ont envahi Kuqa. Déjà en 1937, le treizième prince avait été secrètement arrêté par Sheng Shicai, et depuis lors, on n’avait plus eu de ses nouvelles.

La République populaire de Chine a été fondée en 1949. En raison de son statut de propriétaire, Dawuti a été condamné à sept ans de prison en 1952. Bien qu’on l’appelle roi de Kuqa, en réalité, cet homme a vécu les mêmes vicissitudes que les Chinois ordinaires, et même, à cause de son titre, il a dû endurer plus de souffrances que les autres. Il a travaillé comme ouvrier dans le bâtiment et comme paysan. Il a repris une vie normale à la fin de la révolution culturelle en 1978. En 1980, on l’a élu vice-président de la Conférence consultative politique du district de Kuqa.

Dans la mosquée de cette ville, à l’ombre des colonnades rouges, Dawuti nous raconte ces anciennes histoires. Ce septuagénaire est en train de rédiger ses mémoires en langue ouïgoure. Il a un sourire d’enfant quand il nous parle de sa résidence « princière » qui sera prochainement achevée et dont la construction a été prise en charge par le gouvernement.

Les empreintes de la tradition dans une ville moderne

En tant que chef-lieu de la région autonome du Xinjiang, Urumqi est non seulement riche en couleurs ethniques, mais aussi une ville moderne. Les panneaux publicitaires affichent les visages des vedettes nationales et internationales, tout comme les grandes marques de téléphone mobile ou de vêtements. Des deux côtés de l’autoroute de l’aéroport sont alignés des immeubles indifférenciés, pareils à ceux d’autres villes chinoises. Ils manifestent le style des constructions urbaines des années 1970.

Puis, soudainement, surgit un complexe architectural islamique qui respire l’exotisme et qu’il fait bon découvrir. Les habitants nous disent que c’est le bazar international très connu. Les marchandises qu’on y trouve sont non seulement des spécialités du Xinjiang, mais aussi de l’Asie centrale, de l’Inde, du Pakistan, voire de l’Europe.

Les gens de l’endroit considèrent ce complexe comme le plus grand bazar du monde et le nomment « fenêtre de l’Asie centrale ». La surface bâtie couvre 100 000 m2. On y trouve aussi des salles de banquet et des restaurants. Lu Mei est l’assistante du directeur du Centre de promotion du tourisme, c’est elle qui reçoit les officiels, les visiteurs ou les reporters. Cette belle fille han connaît tous les marchands du quartier et peut vous dire lesquels vendent des produits beaux, bons et pas chers.
Dans la rue, rares sont les gens qui s’habillent à la ouïgoure, mais au bazar, les vendeurs portent tous leurs habits traditionnels, comme si ce grand marché était le seul lieu de réunion des Ouïgours. Ces hommes et ces femmes sont affables et ont le sourire facile. Différents des marchands de l’intérieur du pays, ils ne semblent pas être animés par la ruse, le désir de duper les clients, et il est facile de négocier avec eux. Un ami qui a vécu longtemps dans le Xinjiang nous confie que les Han ont beaucoup à apprendre des ethnies minoritaires simples et honnêtes. Les châles que vend Aili attirent notre attention ; ils sont offerts dans une large gamme de couleurs, et le couple est vraiment gentil. L’un et l’autre acceptent à chaque fois notre demande de baisser le prix, si bien que nous sommes passés trois fois chez eux en deux jours. Le jeune Ouïgour semble redouter un peu sa femme, tout comme les Han, et il lui jette un coup d’œil chaque fois qu’on propose une réduction de prix, comme pour lui demander la permission. « Faites venir vos amis de Beijing », dit-il, quand il a appris que nous étions de là, tout en nous remettant une carte de visite. C’est une bonne tête marchande, il nous fait plaisir, ne triche pas, un charme, quoi!
Les Rues des charmes ethniques forment un autre endroit typique. L’une d’elles rassemble les paysages en miniature des 36 principautés des antiques Contrées occidentales pour illustrer les histoires de la route de la Soie. Une autre est une rue gastronomique, la troisième, une rue commerciale ; dans cette dernière, on vend beaucoup d’objets artisanaux fabriqués sur place, allant des instruments en cuivre aux tissus en soie. Malgré l’excellence de ces produits, les touristes préfèrent faire leurs courses au bazar international où les marchandises sont moins chères. Dans ces rues, on peut assister également à des spectacles de danses et de chants. Le gouvernement a investi plus de 200 millions de yuans dans leur aménagement. Ce projet a été classé parmi les travaux-clés du XVe Plan quinquennal du pays. Il est maintenant une base d’éducation patriotique.
Toutefois, le nombre de paysages modernes d’Urumqi dépasse de beaucoup ceux ayant trait à des sites traditionnels artificiels. Grâce à sa localisation et à ses conditions géographiques, ainsi qu’à la fluidité de la circulation des personnes, le Xinjiang est plus ouvert et plus riche que d’autres provinces comme le Gansu, le Qinghai ou la région autonome hui du Ningxia. Nous y avons même vu de grandes affiches publicitaires et des critiques dans les journaux sur le film « Troies » projeté en ce moment dans les salles d’Urumqi comme partout ailleurs dans le monde. On peut y goûter les produits de la mer transportés du sud. Les habitants du Xinjiang sont fiers que leur région se développe au même rythme que le reste du pays. Mais après avoir admiré les beaux paysages de Huoshan, l’aspect rudimentaire des WC nous rappelle qu’Urumqi est une ville qui a encore beaucoup à faire…