Le
Xinjiang pluriel
C’est
un kaléidoscope de couleurs et de saveurs ethniques qui vous attend
au Xinjiang. En faisant un détour par le passé, notre article
vous convie à découvrir un aperçu de cette région aujourd’hui.
LI
XIA
La région autonome ouïgoure
du Xinjiang est la plus vaste région de Chine, car elle couvre
une superficie de plus de 1,6 million de km2. Contiguë
à huit pays, elle a une frontière qui s’étend sur 5 600 km.
Les outils de pierre et de poterie excavés témoignent que des
ancêtres des humains y auraient vécu aux alentours du néolithique.
Déjà il y a 2 000 ans, la route de la Soie traversait cette
contrée. Se trouvant à un point clé de passage, le Xinjiang a
connu de fréquents échanges interethniques, ce qui a produit des
relations parentales et ethniques très disparates. Treize ethnies
vivent actuellement sur ce territoire. La diversité culturelle,
naturelle et historique a fait de ce lieu un terreau de la diversité.
Les Contrées occidentales
Le Xinjiang s’appelait
autrefois Contrées occidentales. Ce nom est apparu dans
les archives historiques sous la dynastie des Han (206 av.
J.-C. – 220 apr. J.-C.). C'est lorsque la région a été unifiée
sous les Qing (1644-1911) qu'elle a adopté son nom actuel de Xinjiang.
La dynastie des Han a été l’une des
plus prospères de l’histoire de Chine. Le prestige de ce puissant
pays d’Orient était alors comparable à celui de l’empire romain.
Les Contrées occidentales comptaient des petites principautés
et, parmi celles-ci, les contrées septentrionales étaient entre
les mains des Xiongnu, une ethnie nomade puissante vivant dans
les prairies du Nord, sous les Qin (221 – 206 av.J.-C.) et
les Han. Wudi Liuche, l’empereur des Han qui a le mieux réussi,
a régné pendant 54 ans. Il figure parmi les empereurs dont le
règne a été le plus long. La puissance et la richesse du pays
l’ont incité à conquérir de nouveaux territoires. Les Han sont
descendus au sud jusqu’au Yunnan d’aujourd’hui, et vers l’est,
ils sont allés jusqu’en Corée. Toutefois, la résistance des Xiongnu
au nord-ouest était tenace; une bataille a même fait de très nombreux
morts couvrant des kilomètres de route.
En 138 av. J.-C.,
ce même Wudi Liuche avait envoyé un dénommé Zhang Qian dans les
Contrées occidentales afin qu'il contacte Rou Zhi pour qu'il se
rallie au combat contre les Xiongnu. Cela lui a pris 13 ans et
il a été détenu à deux reprises par les Xiongnu. Cette mission
avait mobilisé une centaine de personnes; au retour toutefois,
Zhang n’avait plus qu’un seul compagnon.
En 119 av. J.-C.,
Zhang s'est de nouveau rendu dans les Contrées occidentales et
y a rendu visite à plusieurs principautés. En contrepartie, ces
dernières envoyaient leurs ambassadeurs au Centre, ce qui encourageaient
les échanges économiques et culturels entre les Han et les Contrées
occidentales. Des articles comme la soie, les instruments en fer
et en laque étaient, à l’époque, transportés de la lointaine plaine
du Centre vers les Contrées occidentales; en échange, les habitants
des oasis fournissaient jade, fourrure et chevaux. Des marchands
encore plus courageux transportaient leurs marchandises jusqu’en
Asie centrale, voire en Méditerranée. Cette voie commerciale qui
traversait les Contrées occidentales était justement la route
de la Soie.
Les Xiongnu constituaient
une menace. À ses débuts, la dynastie des Han étant incapable
de les égaler en force, elle a opté pour l’« union matrimoniale »,
c’est-à-dire qu'une princesse han épousait le roi des tribus xiongnu.
Pour garantir la sécurité de la route, le gouvernement han y envoyait
ses armées. Celles-ci y cultivaient la terre pour l’approvisionnement
alimentaire des troupes. Leurs premiers champs se trouvaient dans
l’actuel district de Luntai.
Aujourd’hui, c’est la
mi- juin et la canicule commence déjà à planer sur le Xinjiang.
De Korla, chef-lieu du canton Bayinguole, nous partons pour le
district de Luntai. C’est quand on s’approche des vestiges de
terrasses que l’on retrouve le sentiment d’être dans la zone frontalière
des Han. Les terrasses d’alerte sont méconnaissables après 2 000
ans d’érosion. Elles avaient quelques dizaines de mètres de hauteur
et leurs fumées servaient alors de signaux d’alerte.
Les gens de l’endroit
nous racontent qu’il y 2 000 ans, lorsque les Han y avaient
installé leurs troupes, c’était le district de Luntai qu’ils visaient,
car celui-ci représentait en quelque sorte toute la région des
Contrées occidentales. C'est très différent aujourd’hui.
Le projet de gazoduc Ouest-Est, l’un des plus importants ouvrages
en cours en Chine, inclut à part entière cette contrée :
le district produit du pétrole et du gaz et on œuvre à y explorer
plus de gaz pour le transférer à Shanghai.
Non seulement Zhang Qian,
mais aussi Ban Chao figurent parmi les gens qui ont contribué
à la paix dans les Contrées occidentales. Ban Chao était un Han
de l’Est. Les historiens appellent Han de l’Ouest ceux des Han
qui avaient Chang’an pour capitale. À la fin des Han de l’Ouest,
à cause des luttes intestines au sein de la cour, Wang Mang, une
personne d’une autre famille, a accaparé le pouvoir et a fondé
une « nouvelle » dynastie. Celle-ci n’a pas duré longtemps;
les Liao ont profité des révoltes populaires pour remonter sur
le trône. Ils ont installé leur capitale à Luoyang, dans le Henan.
Les historiens appellent Han de l’Est cette période de la dynastie
des Han. Au début des Han de l’Est, les Xiongnu ont reconquis
les territoires des Contrées occidentales. Ban Chao, aux compétences
politiques et militaires exceptionnelles, s’est vu confier la
mission de reprendre en main les terres perdues. Il n’a pas déçu
les attentes de l’empereur. Il est parvenu à stabiliser la situation
politique des Contrées occidentales. En l’an 97, il a envoyé des
ambassadeurs dans l’empire romain, ce qui a promu les communications
entre l’Occident et l’Orient.
Après quelques dynasties
de bouleversements et d’intégrations ethniques, ces Contrées ont
finalement été réunies avec la Chine par la dynastie des Tang.
En 1759, soit des centaines d’années plus tard, les Qing ont donné
le nom de Xinjiang à ces Contrées occidentales. Ils y ont alors
implanté des préfectures. Le système politique et militaire était
à peu près identique à celui de la plaine du Centre; l’unification
s’en est trouvée renforcée.
Le lieu des fusions
ethniques
Wumai’er Abudureyimu a
65 ans et il habite dans le district de Kuqa, dans la région d'Aksu.
Sa maison est pleine de décorations de style ouïgour. Les pièces
au nord s’ouvrant au sud servent de salon, de chambre à coucher
et de cuisine. Le sol de la galerie attenante est couvert d’un
tapis ouïgour. Une grosse corde pend de la tonnelle. Le petit-fils
de Wumai’er n'a que deux ans et il grimpe et se balance déjà à
cette corde. C'est un jouet que son grand-père lui a offert. Cette
famille reçoit souvent des touristes curieux de découvrir la vie
ouïgoure. L’enfant semble habitué à la fréquentation des visiteurs
et il pose pour eux sans aucune gêne.
On pénètre ensuite dans
le jardin du vieil homme; des mûriers, des cerisiers, des figuiers,
des grenadiers et des pieds de vigne y sont plantés. Wumai’er
vit avec son fils. Cette famille compte cinq personnes. On y élève
des bovins, des moutons et des coqs, en plus de cultiver des arbres
fruitiers. Ils ont une charrette et un âne, de même qu'une
moto. Ce grand-père me dit que la famille dispose d'un revenu
annuel d’environ 40 000 yuans, et qu’un tel revenu n’est
pas rare dans leur village. Le vieillard et son épouse ne parlent
pas mandarin; ils connaissent pourtant la stratégie de mise en
valeur de l’Ouest du gouvernement central. Ici, sera bientôt construite
la cité du pétrole. Ainsi, quand on aura aménagé les routes, les
produits de la région pourront être transportés ailleurs.
La bru est une jeune ouïgoure douce et aimable; elle parle peu.
Wumai’er nous confie que c’est à partir de 1985 que leur vie s’est
améliorée. Depuis cette année-là, ils peuvent eux-mêmes planter
des arbres fruitiers et élever des bestiaux.
Depuis l’Antiquité, le
Xinjiang a été un lieu de rassemblement de diverses tribus. Des
changements s’y produisent depuis des milliers d’années. L’amalgame
des 13 ethnies vivant à cet endroit est le fruit d’évolutions
complexes, de divisions et d’intégrations. Les découvertes archéologiques
et les recherches anthropologiques prouvent que les anciennes
populations du Xinjiang étaient composées de Sai (Sak), des blancs
indo-européens, et de Qiang, des jaunes mongols, ainsi que de
métis de ces deux ethnies. On retrouve des images de blancs indo-européens
sur des tissus de soie et sur des fresques.
Les ethnies du Xinjiang
peuvent se diviser en deux catégories, selon la langue qu’elles
utilisent : celles qui parlent le tujue et celles
qui ne le parlent pas. Leurs croyances religieuses se différencient
également : les Ouïgours, les Kazakhs, les Tadjiks et les
Hui sont musulmans; les autres ethnies ne le sont pas. Les ethnies
ne résident pas non plus au même endroit : les Ouïgours demeurent
au sud des monts Tianshan; les Kirghiz, dans le sud-ouest; les
Tadjiks, sur le plateau Pamir; et les Mongols et Kazakhs, au nord.
Les Ouïgours représentent la majeure partie de la population du
Xinjiang. Selon un recensement de 1998, ils sont 8 139 400,
soit 47,8 % de la population du Xinjiang.
Dans ce Xinjiang où les
fidèles de l’islam sont nombreux, la mosquée de Kuqa est très
connue. Elle se trouve au nord du district du même nom. Sous le
soleil de l’été, le bâtiment Xuanli de couleur beige brille dans
toute sa majesté. Les édifices de ce temple sont de style ouïgour.
On y a rencontré Dawuti
Maihesuti, le « dernier prince de Kuqa ». Né en
1927 dans une famille ordinaire, il a été choisi par le treizième
prince de Kuqa sans héritier qui l’a reçu dans son palais et désigné
comme héritier. En 1941, pour des raisons politiques, Dawuti,
alors âgé de 14 ans, a été proclamé roi de Kuqa par les seigneurs
de guerre qui ont envahi Kuqa. Déjà en 1937, le treizième prince
avait été secrètement arrêté par Sheng Shicai, et depuis lors,
on n’avait plus eu de ses nouvelles.
La République populaire
de Chine a été fondée en 1949. En raison de son statut de propriétaire,
Dawuti a été condamné à sept ans de prison en 1952. Bien qu’on
l’appelle roi de Kuqa, en réalité, cet homme a vécu les mêmes
vicissitudes que les Chinois ordinaires, et même, à cause de son
titre, il a dû endurer plus de souffrances que les autres. Il
a travaillé comme ouvrier dans le bâtiment et comme paysan. Il
a repris une vie normale à la fin de la révolution culturelle
en 1978. En 1980, on l’a élu vice-président de la Conférence consultative
politique du district de Kuqa.
Dans la mosquée de cette
ville, à l’ombre des colonnades rouges, Dawuti nous raconte ces
anciennes histoires. Ce septuagénaire est en train de rédiger
ses mémoires en langue ouïgoure. Il a un sourire d’enfant quand
il nous parle de sa résidence « princière » qui sera
prochainement achevée et dont la construction a été prise en charge
par le gouvernement.
Les empreintes de la
tradition dans une ville moderne
En tant que chef-lieu
de la région autonome du Xinjiang, Urumqi est non seulement riche
en couleurs ethniques, mais aussi une ville moderne. Les panneaux
publicitaires affichent les visages des vedettes nationales et
internationales, tout comme les grandes marques de téléphone mobile
ou de vêtements. Des deux côtés de l’autoroute de l’aéroport sont
alignés des immeubles indifférenciés, pareils à ceux d’autres
villes chinoises. Ils manifestent le style des constructions urbaines
des années 1970.
Puis, soudainement, surgit un complexe architectural islamique
qui respire l’exotisme et qu’il fait bon découvrir. Les habitants
nous disent que c’est le bazar international très connu. Les marchandises
qu’on y trouve sont non seulement des spécialités du Xinjiang,
mais aussi de l’Asie centrale, de l’Inde, du Pakistan, voire de
l’Europe.
Les gens de l’endroit considèrent ce complexe comme le plus grand
bazar du monde et le nomment « fenêtre de l’Asie centrale ».
La surface bâtie couvre 100 000 m2. On y
trouve aussi des salles de banquet et des restaurants. Lu Mei
est l’assistante du directeur du Centre de promotion du tourisme,
c’est elle qui reçoit les officiels, les visiteurs ou les reporters.
Cette belle fille han connaît tous les marchands du quartier et
peut vous dire lesquels vendent des produits beaux, bons et pas
chers.
Dans la rue, rares sont les gens qui s’habillent à la ouïgoure,
mais au bazar, les vendeurs portent tous leurs habits traditionnels,
comme si ce grand marché était le seul lieu de réunion des Ouïgours.
Ces hommes et ces femmes sont affables et ont le sourire facile.
Différents des marchands de l’intérieur du pays, ils ne semblent
pas être animés par la ruse, le désir de duper les clients, et
il est facile de négocier avec eux. Un ami qui a vécu longtemps
dans le Xinjiang nous confie que les Han ont beaucoup à apprendre
des ethnies minoritaires simples et honnêtes. Les châles que vend
Aili attirent notre attention ; ils sont offerts dans une
large gamme de couleurs, et le couple est vraiment gentil. L’un
et l’autre acceptent à chaque fois notre demande de baisser le
prix, si bien que nous sommes passés trois fois chez eux en deux
jours. Le jeune Ouïgour semble redouter un peu sa femme, tout
comme les Han, et il lui jette un coup d’œil chaque fois qu’on
propose une réduction de prix, comme pour lui demander la permission.
« Faites venir vos amis de Beijing », dit-il, quand
il a appris que nous étions de là, tout en nous remettant une
carte de visite. C’est une bonne tête marchande, il nous fait
plaisir, ne triche pas, un charme, quoi!
Les Rues des charmes ethniques forment un autre endroit typique.
L’une d’elles rassemble les paysages en miniature des 36 principautés
des antiques Contrées occidentales pour illustrer les histoires
de la route de la Soie. Une autre est une rue gastronomique, la
troisième, une rue commerciale ; dans cette dernière, on
vend beaucoup d’objets artisanaux fabriqués sur place, allant
des instruments en cuivre aux tissus en soie. Malgré l’excellence
de ces produits, les touristes préfèrent faire leurs courses au
bazar international où les marchandises sont moins chères. Dans
ces rues, on peut assister également à des spectacles de danses
et de chants. Le gouvernement a investi plus de 200 millions de
yuans dans leur aménagement. Ce projet a été classé parmi les
travaux-clés du XVe Plan quinquennal du pays. Il est
maintenant une base d’éducation patriotique.
Toutefois, le nombre de paysages modernes d’Urumqi dépasse de
beaucoup ceux ayant trait à des sites traditionnels artificiels.
Grâce à sa localisation et à ses conditions géographiques, ainsi
qu’à la fluidité de la circulation des personnes, le Xinjiang
est plus ouvert et plus riche que d’autres provinces comme le
Gansu, le Qinghai ou la région autonome hui du Ningxia. Nous y
avons même vu de grandes affiches publicitaires et des critiques
dans les journaux sur le film « Troies » projeté en ce moment
dans les salles d’Urumqi comme partout ailleurs dans le monde.
On peut y goûter les produits de la mer transportés du sud. Les
habitants du Xinjiang sont fiers que leur région se développe
au même rythme que le reste du pays. Mais après avoir admiré les
beaux paysages de Huoshan, l’aspect rudimentaire des WC nous rappelle
qu’Urumqi est une ville qui a encore beaucoup à faire…