Le Kunqu
un patrimoine culturel commun de l'humanité
Le
théâtre Zhalou, lieu de représentation du Kunqu
pendant son âge d'or au XVIIIe siècle, aujourd'hui,
le théâtre Guanghe de Beijing.
Illustration du livret original de La Chambre de l'Ouest. Cui Yingying
(à gauche) se cache derrière un paravent pour lire
une lettre d'amour; Hongniang (à droite), une jeune servante.
Wang Chuansong (à gauche), acteur célèbre des
rôles chou enseigne son art à un jeune acteur.
Photo de scène d'Ivresse de Taibai, incarnée par Yu
Zhenfei, l'artiste le plus célèbre du Kunqu.
En mai dernier, l'Unesco a annoncé que
dix-neuf activités et formes culturelles orales feraient
partie du premier groupe à recevoir le titre de " Chef-d'uvre
du patrimoine oral et intangible de l'humanité " . Parmi
celles-ci, l'opéra chinois Kunqu a reçu cet
honneur. Cet art antique a été classé parmi
les héritages culturels communs de l'humanité.
Ce titre a pour but de protéger davantage le patrimoine culturel
mondial. Les héritages oraux et intangibles comprennent la
langue, les récits, la musique, les jeux, les danses, les
us et coutumes et les formes de représentation de divers
arts.
Selon l'Unesco, bon nombre d'héritages culturels mondiaux
intangibles des quatre coins du monde risquent de disparaître,
et l'octroi de ce titre a pour but d'encourager les gouvernements
de chaque pays, les organisations non gouvernementales et les groupes
locaux à distinguer, à protéger et à
utiliser ces héritages, et de garantir l'existence des particularités
et de la diversité de la culture de divers pays dans la vague
de la mondialisation.
Origine et évolution
Le
Kunqu est l'un des opéras les plus anciens parmi les
formes traditionnelles du théâtre chinois, et il pourrait
remonter à 600 ans. Son genre tire son origine de l'air de
Kunshan du Jiangsu. Après de longues années de recherche
et de transformation, cette forme artistique est devenu le Kunqu
d'aujourd'hui.
Avant le milieu de la dynastie des Ming (1368-1644), l'air de Kunshan
était encore une école secondaire parmi tous les airs
du Sud, il était populaire seulement dans les milieux du
Jiangsu. Après le milieu de la dynastie des Ming, un artiste
de l'air du Nord, du nom de Wei Liangfu, arriva à Kunshan,
avec quelques artistes locaux de l'air du Sud nourris du même
idéal, et il réforma en profondeur l'air de Kunshan.
En se basant sur l'air de Kunshan et en assimilant les supériorités
des chants de Haijian et de Yuyao, voire même les airs du
Nord, Wei en créa un nouveau. Pour les accorder à
cet air nouveau, avec l'aide du célèbre musicien de
l'air du Nord, Zhang Yetang, Wei Liangfu modifia certains instruments
de musique. C'est ainsi qu'un nouvel air combina les airs du Sud
et du Nord le Kunqu était né.
Le Kunqu de cette époque était une représentation
ne faisant appel ni au costume ni à la scène. C'est
un dramaturge de théâtre de Kunshan, du nom de Liang
Chenyu (1519-1591), qui, pour la première fois, fit une adaptation
théâtrale du Kunqu. Il adapta pour la scène
sa première pièce de théâtre de Kunqu
" Laver la gaze de soie ", et il remporta un grand succès.
C'était une uvre collective de plusieurs grands maîtres
de musique. Rapidement, des dramaturges des régions au sud
du fleuve Yangtsé et des uvres surgirent en grand nombre.
Au début du règne de Wanli (1573-1620) de la dynastie
des Ming, le Kunqu se diffusa très rapidement dans
les provinces du Jiangsu et du Zhejiang, devint le genre principal
et bénéficia d'une supériorité écrasante
par rapport aux autres airs du Sud. Par la suite, le Kunqu
fut diffusé dans la capitale par des bureaucrates et des
lettrés, et il fut nommé théâtre de la
cour impériale et " air officiel ". Très
rapidement, il fit fureur dans tout le pays. En même temps,
bon nombre de pièces et d'acteurs excellents firent leur
apparition. En plus des hommes de lettres et des nobles, le Kunqu
avait beaucoup d'amateurs ordinaires, surtout dans les régions
du Jiangsu et du Zhejiang, et même des villageois pouvaient
fredonner quelques phrases. Cette époque correspond à
l'apogée du Kunqu qui régna en maître
dans le milieu du théâtre chinois pendant deux cents
ans, et elle écrivit une page brillante dans l'histoire de
l'évolution de ce théâtre.
Trop élitiste
pour être populaire
Au fur et à mesure des époques, le Kunqu connut
inévitablement un déclin progressif. Bien sûr,
il y eut des facteurs externes, tels que les changements sociaux
et de dynastie, les périodes de croissance et de récession
économique, mais les facteurs internes ne furent pas négligeables.
Dès la fin de la dynastie des Ming, le Kunqu, servit
principalement les nobles et la cour impériale, s'éloigna
des masses populaires et de la vraie vie, la tendance formaliste
s'aggrava de jour en jour. Au milieu de la dynastie des Qing (1644-1911),
le Kunqu commença son déclin.
Comme
les paroles du Kunqu étaient raffinées et distinguées,
les générations suivantes eurent de la difficulté
à les comprendre, en dépit de l'air mélodieux
et doux. Toutefois, comme le rythme du Kunqu devint de plus
en plus lent et profond et son air, trop soigneux, sauf les amateurs,
la plupart des spectateurs avaient de la difficulté à
l'admirer. En outre, ses pièces étaient trop longues,
une pièce comprenant en général au moins 20
scènes choisies, voire même plus de 50. Par exemple,
la pièce Le Pavillon des Pivoines comprenait 55 scènes
choisies, ce qui nécessitait une dizaine ou une vingtaine
d'heures de représentation. Ces facteurs limitèrent
le développement et la généralisation du Kunqu,
et ce dernier perdit un grand nombre de spectateurs. À la
fin du XVIIIe siècle, apparut le Huabu, grand rival
du Yabu, ou de l'opéra de Kunshan en somme du Kunqu.
Cette rivalité accéléra le déclin de
ce dernier.
Le
Huabu fait référence aux opéras locaux
qui apparurent au début de la dynastie des Qing, tels que
les opéras de Beijing, de Qin, Bangzi, Erhuangdiao,
etc. Le Huabu était issu du peuple, et ses spectateurs se
recrutaient aussi parmi les masses. Ses chants étaient retentissants
et ses paroles, naïves, la musique possédait une forte
couleur folklorique, le contenu était vivifiant et naturel
; le Huabu était proche de la vie du peuple et bien apprécié
par les masses populaires.
L'entrée des troupes d'opéra de l'Anhui à Beijing
en 1790 marqua la victoire du Huabu, et le Yabu connut
l'échec.
On peut dire que cette concurrence a accéléré
le développement du théâtre chinois. Ces deux
écoles se sont influencées et se sont complétées
l'une l'autre. Au point de vue artistique, la rivalité entre
le Huabu et le Yabu était en réalité
un processus d'intégration, de complémentarité
et de développement mutuel. C'est en se basant sur le style
du Huabu et du Yabu, et tout en assimilant certains aspects d'autres
opéras locaux traditionnels, que l'opéra de Pékin
se forma peu à peu.
Transformation
et évolution du Kunqu
Bien que les airs de l'opéra de Pékin eussent assimilé
principalement les airs de l'opéra de l'Anhui et ceux du
Hubei, les airs du Kunqu constituèrent également
une partie importante de l'opéra de Pékin. Ce sont
surtout la représentation et le répertoire qui permettent
de dire que l'opéra de Pékin est issu du Kunqu.
Aujourd'hui, l'opéra de Pékin a conservé une
grande partie des scènes choisies de l'opéra Kunqu.
En fait, la même pièce prend un nom différent
selon ceux qui la jouent: jouée par des acteurs de Kunqu,
la pièce s'appelle Kunqu; jouée par des acteurs
de l'opéra de Pékin, elle s'appelle opéra de
Pékin (en fait, c'est du Kunqu légèrement
transformé). Pendant longtemps, lors de leur apprentissage,
les acteurs de l'opéra de Pékin durent apprendre d'abord
le Kunqu. Un acteur de l'opéra de Pékin non
seulement devait maîtriser l'art du chant, mais aussi des
arts martiaux. Tan Xinpei et Mei Lanfang, deux grands maîtres
de l'opéra chinois, atteignirent cet idéal. Aujourd'hui,
il existe encore un répertoire dans lequel coexistent l'opéra
de Pékin et le Kunqu, par exemple, Attaquer le
village de la famille Zhu à trois reprises.
Le
Kunqu a toujours la réputation de " maître
de différents théâtres ". Après
1949, pour protéger et développer l'art du Kunqu
, le gouvernement central a déployé beaucoup d'efforts.
Depuis les années 50, le gouvernement a rassemblé
des artistes de Kunqu qui étaient dispersés
aux quatre coins du pays et dans toutes sortes de troupes artistiques.
En 1956, la troupe théâtrale de Guofeng du Jiangsu
a mis en scène la pièce Quinze colliers de sapèques
à Beijing. C'était une ancienne pièce adaptée.
Cette pièce gagna des spectateurs et fit rapidement sensation
dans la capitale. Certains déclarèrent alors qu' "
une pièce avait sauvé un opéra ". Depuis
lors, le Kunqu ne cessa de se développer. En 1957,
le théâtre Kunqu du Nord fut fondé officiellement,
et en 1960, la troupe Jingkun de la Jeunesse de Shanghai fut établie;
par la suite, des troupes d'opéra Kunqu furent fondées
à tour de rôle au Jiangsu et au Hunan. Une nouvelle
promotion d'acteurs de l'opéra Kunqu surgit dans les
milieux théâtraux, tels que Hua Wenyi, Yue Meiti de
Shanghai, Hou Shaokui, Hong Xuefei de Beijing, et Zhang Jiqing du
Jiangsu, etc.
Le répertoire
de l'opéra Kunqu, un trésor du théâtre
et de la littérature
Pendant
les quelques centenaires de son évolution, le Kunqu
a accumulé un répertoire imposant qui comprend plus
de 400 pièces choisies dont le niveau artistique est très
élevé. Bon nombre de chefs-d'uvre sont dus à
la plume de célèbres dramaturges des époques
passées, tels que l'Injustice de Dou E et Aller à
la rencontre avec un seul sabre, écrits par le grand
écrivain Guan Hanqing; sa vie durant, cet homme a écrit
plus d'une soixantaine de pièces, dont 18 sont conservées
aujourd'hui. La plupart des pièces ont été
conservées dans le répertoire du Kunqu. Ses
uvres pourront passer à la postérité.
En plus, La Chambre de l'Ouest de Wang Shifu, Le Pavillon
des pivoines de Tang Xianzu, La Salle de la Longévité
de Hong Sheng, L'Éventail aux fleurs de pêcher
de Kong Shangren sont tous des chefs-d'uvre immortels.
La Chambre de l'Ouest fait l'éloge de l'amour libre
des jeunes à l'époque de la société
féodale. Ce récit s'est largement répandu parmi
les masses depuis un millénaire. Adaptée par Wang
Shifu, cette pièce atteint un niveau artistique tellement
élevé aux plans des paroles, de la musique, du récit
et du spectacle qu'elle est devenue un classique du théâtre
chinois sur le thème de l'amour.
Un modèle
de spectacle artistique théâtral
Au plan du spectacle, le Kunqu possède
deux caractéristiques: il est raffiné et strict.
Un livret régulier de Kunqu est fort complexe: en
plus des paroles et du nom de l'air, les rôles, les décors,
les costumes, les accessoires, voire même la disposition scénique
sont nettement décrits, on doit observer strictement les
règles, sinon cela pourrait avoir une influence sur les autres
rôles, et même sur la représentation de toute
la scène.
La division des rôles du Kunqu est très marquée;
celle-ci comprend sept rôles: les sheng, dan,
jing, mo, chou, wai, tie (l'opéra
de Pékin, en a quatre). Chaque rôle se subdivise: par
exemple, le rôle sheng se subdivise en types comme
lao sheng, wu sheng et xiao sheng, et chaque type
se subdivise également en quelques sortes d'après
le statut et la position sociale du personnage. Par exemple, le
rôle de xiao sheng se subdivise en cinq: grand guansheng,
petit guansheng, jinsheng, qiongsheng, zhiweisheng.
Le rôle de dan se subdivise en six (les rôles dans l'opéra
de Pékin se sont simplifiés).
Les
visages peints du Kunqu sont utilisés principalement
dans les rôles de jing et de chou, certains
rôles de sheng et de dan utilisent aussi les
visages peints. Différentes couleurs symbolisent différents
personnages: le rouge représente la loyauté et la
justice, le noir, la droiture, le blanc, la perfidie, le jaune,
la férocité. Les dessins et les types de visage peint
de l'opéra de Pékin sont des évolutions ou
des imitations de l'opéra Kunqu.
Le spectacle de Kunqu se caractérise par la profondeur
de sa mélodie et sa chorégraphie de danse. Dans les
opéras chinois, le jeu et le spectacle inclutent des éléments
de la danse, on ajoute spécialement la danse dans certains
répertoires. Le Kunqu a formé sa propre formule
de chants et de danses complète et rigoureuse.
Le grand maître de l'opéra de Pékin, Mei Lanfang,
a appris à la fois l'opéra de Pékin et l'opéra
Kunqu. Il a déclaré: " Dans les pièces
d'opéra de Pékin, sauf quelques arts martiaux, il
n'existe pas une formule complète de jeu. Mais dans le Kunqu,
c'est tout à fait différent. Tous les jeux sont introduits
par les chants, ce qu'on chante doit être incarné par
le geste. On peut dire que le Kunqu est vraiment un opéra
qui attache autant d'importance au chant qu'à la danse. Le
chant ainsi que la déclamation sont présents dans
tous les jeux, les acteurs ne peuvent se reposer un instant. C'est
vraiment fatigant."
Un redressement
Depuis
des centenaires, le Kunqu a connu prospérité
et déclin sur la scène, mais sa position supérieure
n'a jamais été ébranlée. Il a joué
un rôle très important pour la formation et l'évolution
des airs, du spectacle, des répertoires et même des
types d'opéras chinois. Pendant longtemps, les amateurs ont
vécu un engouement pour l'opéra Kunqu . Il
a enrichi la vie spirituelle des gens. Ses livrets faisaient l'éloge
de la moralité sociale, de la loyauté, de la piété
filiale, de la recherche d'une vie libre et d'un amour inébranlable,
ce qui a joué un rôle important dans la formation du
caractère des lettrés chinois de l'époque féodale.
Depuis des années, avec les changements rapides dans la vie
et les mentalités et le choc des modes culturelles, les conditions
d'existence de l'art du Kunqu sont devenues de plus en plus
dures. Il a défendu sa position avec ténacité
dans un environnement défavorable. Aujourd'hui, sa valeur
a été enfin reconnue par le public, ce qui est fort
propice à sa préservation, à son redressement,
à son exploitation et à son développement.
En juin dernier, à l'occasion de la célébration
du 44e anniversaire de la fondation du théâtre Kunqu
du Nord, les personnes des milieux du Kunqu ont été
bien émues à l'annonce de la nouvelle que le Kunqu
était classé au patrimoine mondial. Le 9 juin, le
ministère de la Culture de Chine a officiellement annoncé
que le Kunqu est un art sous protection d'échelon
national et qu'on avait établi huit mesures détaillées
à cet égard.
À présent, les Chinois sont conscients que les responsabilités
pour protéger l'opéra Kunqu sont de plus en
plus lourdes.
HUO JIANYING
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