Les meubles, témoins
de 60 années de vie
TANG YUANKAI
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En 2009, au Musée de
la Capitale, lexposition Mémoire de la ville,
intérieurs populaires a attiré beaucoup de
visiteurs. On y montre des scènes de toutes les époques
au sein de foyers de Beijing. CNSPHOTO |
Lappartement
sur plan acheté par M. Han Ping sera bientôt terminé.
À 58 ans, il voudrait habiter avec ses vieux parents. Il
envisage dacheter de nouveaux meubles mais il hésite
à abandonner les vieux. Vétustes et passés
de mode, ces meubles, qui comprennent même quelques caisses
en bois, ne sharmonisent pas avec lensemble. Pourtant,
ses parents âgés ont une affection spéciale
pour ces vieux meubles et les apprécient beaucoup.
Années 1950 : lentreprise
fournit les meubles
Les parents de Han Ping viennent de la province du Shanxi. «
Avec lArmée populaire de libération, nous
sommes arrivés à la capitale. En 1950, nous nous sommes
mariés. Le logement et les meubles nous ont été
attribués par létablissement où nous
travaillions. Nous mangions à la cantine, nous navions
donc pas beaucoup de vaisselle. Nous navions que deux valises
», se rappelle M. Han Ke, le père de Han Ping. Han
Ping se souvient encore que, quand il était petit, il y avait
des étiquettes en fer clouées sur les meubles, sur
lesquelles on lisait le nom de létablissement où
son père travaillait. « Ces meubles appartenaient à
lÉtat, ils nous étaient loués. Chaque
mois on devait payer quelques jiao (1 jiao = 1/10 yuan)
pour les frais dutilisation. »
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Dans les années 1950
et 1960, presque tous les meubles des foyers urbains étaient
fournis par lentreprise. CNSPHOTO |
« Quand jétais petit, mon lit était
composé de deux caisses en bois », révèle
Han Ping. Certes, ce nétait pas le cas de toutes les
familles, mais dans la plupart des foyers, il y avait peu de meubles
et ils étaient simples. Beaucoup de familles ne possédaient
que les meubles indispensables comme les lits, tables, chaises,
valises et armoires, qui étaient soit abandonnés par
les établissements publiques, soit hérités
des générations antérieures.
Ensuite, avec lagrandissement de sa famille et lamélioration
de la vie, M. Han Ke a dépensé quelques yuans pour
acheter un lit et une étagère à livres en fer.
Il a aussi fait faire un bureau et une armoire à cinq tiroirs.
Ces fournitures navaient aucune valeur esthétique,
le principal étant quils soient fonctionnels.
En 1958, répondant à lappel du gouvernement,
Han Ke a fait don de ses quelques meubles en fer, car lÉtat
mobilisait toute la population pour produire plus dacier dans
le but daccélérer lindustrialisation.
Cétait à lépoque du « Grand
Bond en avant ».
Années1970 : on
fabrique ses meubles soi-même
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En 1979, une famille de Shanghai
vient dacheter un canapé. XINHUA |
En 1977, Han Ping sest marié. À cette époque-là,
la Chine nétait pas encore entrée dans la période
de la réforme et louverture. Les meubles étaient
chers par rapport aux revenus. Même si on avait de largent,
on narrivait pas forcément à en acheter. On
pratiquait encore le rationnement : il fallait des tickets pour
acheter des meubles. On devait faire la queue toute la nuit. Cette
expérience est inoubliable pour beaucoup de gens qui ont
connu cet épisode. « Jai fait la queue pendant
plusieurs heures pour acheter mon armoire à linge en utilisant
les tickets », se souvient Han Ping.
En ce temps, pour avoir de nouveaux meubles, il fallait compter
sur ses propres forces : cétait très populaire
de construire ses propres meubles. Comme beaucoup dautres,
Han Ping et son frère ont fait eux-mêmes des canapés
et des fauteuils pour leurs parents et leurs familles; par exemple,
un fauteuil simple avec deux accoudoirs et quatre pieds, avec des
ressorts dans les coussins. Les canapés nexistaient
que dans les films, et étaient considérés comme
un luxe de la classe bourgeoise. Plus tard, dans une société
un peu plus ouverte, le canapé est vite devenu un meuble
à la mode.
Années 1980 : on
compte le nombre de pieds
Avec la réforme et louverture, la pénurie des
produits sest atténuée. Les tickets et les coupons
ont été supprimés. Les Chinois ont disposé
de plus de moyens pour gagner de largent, la vie sest
améliorée. Débarrassés des préoccupations
politiques, ils ont commencé à réfléchir
à leur vie et à construire leur maison.
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La vie des années 1980
était encore difficile, car on manquait parfois despace.
CNSPHOTO |
Larmoire à deux portes et la table ronde pliante,
très à la mode pendant les années 1970, ont
été remplacées par des meubles plus variés.
Pour les Chinois, désirer une vie plus confortable et de
jolis meubles nétait plus une ambition démesurée
mais un besoin normal. Les meubles assortis ont fait leur apparition.
Pour qualifier les différentes séries de meubles,
on comptait les pieds : larmoire, le lit double, le bureau
ont tous quatre pieds, il existait donc des séries «
36 pieds » ou « 48 pieds ». Plus un foyer avait
de « pieds », plus il était considéré
comme riche. Certaines jeunes filles allaient jusquà
demander à la famille du fiancé dacheter «
48 pieds » pour le nouveau ménage.
Pourtant, pour la plupart des familles, les conditions dhabitation
étaient encore médiocres, létroitesse
de lespace empêchait les gens davoir beaucoup
de meubles. Cest pourquoi, vers le milieu et la fin des années
1980, un nouveau meuble est apparu, composé de trois à
six armoires empilées contre un mur, atteignant une hauteur
proche du plafond. Ce meuble remplissait diverses fonctions; on
pouvait y mettre des vêtements, des couvertures, il y avait
des tiroirs, des étagères pour les livres, une armoire
à vin et un support pour le téléviseur. Pourtant,
très en vogue pendant un temps, ce meuble a rapidement perdu
sa popularité. Très vite, on a découvert quil
nétait pas commode : il ne pouvait ni être déplacé,
ni démonté, et sa forme invariable empêchait
toute originalité.
Années 1990 : on
privilégie la spécificité et lécologie
À partir du milieu des années 1990, les conditions
dhébergement des Chinois saméliorent grâce
à la réforme du système traditionnel du logement
en Chine. Concernant la décoration de leur nouvel appartement,
les Chinois prêtent davantage attention à la mode,
à la couleur des meubles et à luniformisation
de ces derniers avec les autres éléments, au lieu
de ne prendre en compte que la solidité, comme auparavant.
La personnalité joue un rôle primordial dans la façon
daménager son intérieur; les meubles constituent
non seulement des objets indispensables à la vie quotidienne,
mais aussi le reflet du goût de ceux qui les possèdent.
Sun He, employé dans une société de publicité,
a renouvelé tous ses meubles à loccasion de
la nouvelle décoration de son logement en 1995. Les nouveaux
meubles, sélectionnés en fonction de la superficie
et de la structure de son logement, sont une combinaison de différentes
marques et de différents styles, mais selon M. Sun, «
ils créent une ambiance délicate dans lappartement,
avec un style uniformisé dans lensemble mais des spécificités
individuelles. »
En raison de la demande croissante en meubles personnalisés,
lindustrie du meuble en Chine est en plein essor depuis ces
dernières décennies. Les magasins de meubles de marque
et les marchés du meuble de grande superficie sont omniprésents
dans les villes. On y trouve un grand choix, susceptible de satisfaire
tous les consommateurs : meubles de différents styles, de
différentes ethnies et cultures, en matériaux différents
comme le bois, le bois cintré, le verre, ou le métal.
En outre, avec la constante amélioration des conditions
économiques, la fréquence de renouvellement des meubles
des Chinois est plus rapide. De plus, ils prêtent davantage
attention aux matériaux de fabrication, qui doivent être
écologiques et non polluants, à leffet rendu
par les meubles dans lensemble de leur intérieur, et
au service après-vente fiable et efficace.
Nouveau siècle : un mélange de modernité
et de classicisme
En ce début de XXIe siècle, les meubles étrangers
arrivent de plus en plus sur le marché chinois : classicité
européenne, simplicité nordique, post-modernisme italien
ou rusticité américaine, on trouve facilement tous
les styles de meuble en Chine. Depuis le 1er janvier 2005 surtout,
date à laquelle la Chine a supprimé les droits de
douane sur les meubles étrangers à limportation,
beaucoup de professionnels du meuble ont investi le marché
chinois.
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IKEA, très
apprécié des consommateurs chinois CNSPHOTO |
De nombreux Chinois préfèrent les magasins de fournitures
étrangers, comme IKEA, très apprécié
des consommateurs. Beaucoup de personnes y vont chercher de linspiration
en admirant les subtilités des intérieurs exposés
et le design des meubles.
Ces meubles étrangers plaisent aux Chinois par leur nouveauté
en matière de mode et de matériau, mais surtout par
lattention et la sollicitude pour le consommateur manifestées
dans leur conception. Le design ergonomique des canapés et
des chaises, la forme agréable de la poignée dun
tiroir, ou linstallation dun éclairage dans une
commode sont dune grande inspiration pour les Chinois.
Cependant, les meubles anciens intéressent aussi beaucoup
les Chinois. De nombreux meubles anciens que personne ne regardait
il y a 30 ans sont devenus un symbole de mode et de goût.
Sun He envisage dacheter quelques meubles classiques de style
chinois : « Cela fera très chic de mettre une petite
table à thé à la mode des Ming ou des Qing
au milieu de meubles de style européen. Mais si tous les
meubles étaient de style classique, je trouverais ça
trop rigide. »
« Avant, les clients achetaient plutôt des meubles
classiques pour enrichir leur collection, mais depuis ces dernières
années, de plus en plus de gens ordinaires en font lacquisition
», explique Zhao Xiaobei, directeur général
de Luban, un magasin de meubles classiques de style Ming et Qing.
Avant 1995, beaucoup de ses clients étaient étrangers,
mais ensuite, les Chinois ont été chaque jour plus
nombreux. Dans le bourg de Gaobeidian à lest de Beijing,
une rue commerciale de meubles classiques, qui jouit actuellement
dune réputation célèbre à Beijing,
est apparue spontanément.
Yao Chungen fait des affaires dans cette rue. Il est arrivé
à Beijing en 1997 pour vendre des meubles classiques, et
depuis ces dernières années, ses affaires prospèrent,
car le prix des meubles classiques a grandement augmenté.
Pour satisfaire le besoin des gens ordinaires en meubles classiques,
beaucoup de commerçants, dont M. Yao, ont commencé
à vendre des imitations. « Au début, on faisait
des imitations de portes, fenêtres, tables et chaises classiques
en bois pour des hôtels et des maisons de thé, mais
maintenant, beaucoup de particuliers aiment non seulement les meubles
classiques mais aussi les ornements classiques. Nos affaires de
meubles en bois marchent très bien. »
La fille de Zhao Xiaobei a aussi ouvert un magasin dimitation
de meubles classiques dans cette rue. Dans sa boutique, les reproductions
de meubles classiques sont exposées dans des chambres avec
des ornements modernes, ce qui présente un charme particulier.
« Nous assurons nous-mêmes le design et la fabrication
de tous ces meubles », révèle Zhao Xiaobei.
Conformément à la demande actuelle dun style
moderne, ils ont aussi effectué des modifications : par exemple,
ils ont transformé des tables traditionnelles carrées
ou rondes en rectangulaires de style Ming ou Qing, et les ont équipées
de six chaises de style européen; cest aussi élégant
que confortable. « Dans notre cabinet à la mode
des Ming et des Qing, on trouve des cases rhombiques pour entreposer
les bouteilles de vin rouge. Cela traduit bien la philosophie de
vie actuelle : lharmonie parfaite entre le charme classique
et la beauté moderne. »
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