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Des portails et leur histoire

HUO JIANYING

Qui n’a pas remarqué ces constructions uniques du paysage chinois? Découvrez maintenant quelques histoires à leur sujet.

Le portail en pierre dédié aux frères Zu, à Xingcheng (province du Liaoning)

PORTAIL en pierre ou en bois, le paifang est un élément unique de l’architecture chinoise ancienne. À l’époque féodale, on l’érigeait comme monument en l’honneur de quiconque – vivant ou mort – avait rendu de grands services ou mené une vie incarnant les vertus qu’on exaltait. En règle générale, ces personnes étaient des généraux accomplis, des lettrés ou des administrateurs, et même des veuves qui étaient restées célibataires pour honorer la mémoire de leur mari décédé. On construisait également un paifang à l’entrée de la voie sacrée menant à un lieu de culte, notamment les temples et les mausolées. Finalement, lorsqu’il dominait l’entrée d’un voisinage, le portail servait aussi à des fins plus humbles, indiquer le nom d’une rue ou d’une zone par exemple.

Le pailou est à peu près semblable au paifang, sauf pour certains détails architecturaux. Un paifang comprend habituellement une seule rangée de piliers qui soutiennent des poutres transversales, et il peut avoir ou non un panneau au-dessus d’une ou de plusieurs arches. Comme son nom le suggère, le pailou (lou signifie tour) donne un sens de grandeur. Il est habituellement plus large et plus haut que le paifang et comporte des toits avec dougong (un système unique de supports en bois encastrés).

Les portails militaires

Deux paifang en pierre sculptée de la dynastie des Ming (1368-1644) se dressent toujours à Xing-cheng (autrefois Ningyuan), dans la province du Liaoning. Ils ont été érigés par Chongzhen, dernier empereur des Ming, en l’honneur des généraux Zu Dashou et Zu Dale (deux frères), pour leurs exploits militaires lors des combats contre les envahisseurs mandchous. Les portails sont des témoignages des réalisations en maçonnerie du XVIIe siècle, ainsi que d’une ère de changements de dynasties.

Chacun de ces deux paifang a quatre piliers, formant trois arches surmontées de cinq toits en pente. Ils ont 11 m de haut et sont à 85 m de distance, à chacune des deux extrémités d’une rue. En plus des inscriptions, celui du sud, consacré à Zu Dashou, est gravé de scènes de combat, alors que celui du nord, consacré à son frère, est gravé de motifs de fleurs et d’animaux de bon augure.

Zu Dashou appartenait à une famille dynastique d’officiers militaires de Xingcheng, et ses services militaires exceptionnels lui ont permis d’être élevé au rang de commandant en chef de l’avant-garde des troupes stationnées dans l’est du Liaoning. Il était le général le plus compétent de Yuan Chonghuan, commandant en chef de la fin des Ming, lors de la campagne contre l’invasion mandchoue. Plus tard, Zu Dashou a suivi le commandant Yuan pour aller protéger l’empereur effrayé qui se trouvait dans la capitale. Malheureusement, Yuan y a été arrêté et jeté en prison sous des accusations de « trahison et de conspiration avec l’ennemi ». Indigné, Zu a alors conduit ses troupes hors de la capitale et est retourné vers sa région natale en passant par le col de Shanhaiguan. De sa prison, Yuan Chonghuan lui a écrit pour essayer de le convaincre de revenir à sa tâche. Sa mère lui a également écrit, lui demandant de combattre les envahisseurs, et si possible, de sauver son commandant en chef. Zu a répondu à leurs appels et est revenu. Malgré cela, Yuan a quand même été tué par l’empereur. Plus tard, Zu a dirigé les troupes de l’ex-commandant en chef Yuan Chonghuan – la force de combat la plus compétente de la dynastie des Ming – pour protéger Ningyuan, Jinzhou et Dalinghe (villes situées sur la frontière septentrionale du pays d’alors) contre l’invasion des troupes des Qing.

Quelques-uns des sept portails du village de Tangyue, district de Shexian (province de l’Anhui)

En 1631, l’armée des Qing a assiégé Zu et ses troupes pendant trois mois dans la ville de Dalinghe. Après que le commandant Huangtaiji des Qing eut juré qu’il ne tuerait aucun soldat, officier ou civil qui se rendrait, Zu Dashou a, sans aide, ouvert les portes de la ville. Puis, étant donné que sa femme et sa famille étaient toujours à Jinzhou, Zu a proposé à Huangtaiji de conduire dans la ville quelques soldats portant l’uniforme des Ming, pour aider les soldats des Qing à attaquer et à capturer la ville de l’intérieur. Huangtaiji a consenti et a donné 5 000 soldats à Zu. Sur son chemin, profitant de la brume épaisse, Zu s’est échappé des soldats des Qing. Il s’est rendu seul à Jinzhou, où il a dirigé les soldats des Ming dans leur résistance continue contre les envahisseurs Qing. L’empereur Chongzhen a alors ordonné la construction d’un paifang pour consoler le combattant loyal et le gardien fidèle de sa dynastie à l’agonie. Zu a gardé la frontière de la dynastie des Ming pendant une autre décennie, jusqu’à sa chute en 1644.

Monuments à la chasteté

Shexian (province de l’Anhui) est connue comme la « ville natale des paifang ». Selon les registres, après le VIIe siècle, il y avait plus de 400 paifang dans ce district. Plus de 100 s’y dressent encore aujourd’hui. Les plus connus sont les sept du village de Tangyue, bâtis durant les dynasties des Ming et des Qing, à l’intention des membres distingués d’une famille locale, les Bao. Deux d’entre eux font l’éloge de la chasteté.

Le portail de la chasteté et de la piété filiale de Mme Wu a été érigé au XVIIIe siècle pour honorer cette deuxième femme de Bao Wenyuan de la famille Wu (autrefois, les femmes n’étaient connues que par leur nom de famille, puis après leur mariage, par le nom de famille de leur mari). Elle a été mariée à Bao à l’âge de 22 ans, est devenue veuve à 29 ans et est restée célibataire jusqu’à sa mort, plus de trois décennies plus tard. Durant son veuvage, cette dame Wu s’est occupée d’élever seule les enfants que son mari avait eus avec sa première femme. Elle a en plus réparé les tombeaux de neuf générations de la famille Bao. Ému par sa vertu, le clan Bao a érigé un portail en son honneur.

Un portail avec tuiles vernissées Un portail peint, dans le parc Beihai (ancien jardin impérial)

L’autre de ces deux portails qui louent la chasteté a été construit pour la veuve de Bao Wenling de la famille Wang. Veuve à 25 ans, elle a continué son veuvage pendant deux décennies jusqu’à sa mort. Selon les registres du début du XXe siècle pour le district de Shexian, pendant les dynasties des Ming et des Qing, le clan Bao du village de Tangyue a glorifié 59 femmes chastes.

Dans l’Antiquité, des portails de chasteté étaient érigés pour faire l’éloge des femmes qui avaient poursuivi leur veuvage ou qui s’étaient donné la mort afin d’accompagner leur mari dans l’au-delà. Cependant, les choses étaient différentes pendant les dynasties des Han (206 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.) et des Tang (618-907), alors que la Chine a connu une grande prospérité économique, culturelle et sociale et a profité d’une grande liberté. Les femmes de la dynastie des Tang avaient la permission de divorcer et de se remarier, comme le démontre un accord de « libération de l’épouse » qui a été déterré d’une grotte de Mogao, à Dunhuang. L’accord indique que le mari et l’épouse avaient été unis par prédestination, mais que malheureusement, leurs cœurs étaient restés trop détachés l’un de l’autre pour ne faire qu’un. Ainsi, le mari avait convenu de divorcer comme solution à leurs ressentiments et à leur amertume. Des accords de divorce de ce type, signés durant la dynastie des Tang, ont également été trouvés dans d’autres endroits. Selon les registres, 23 princesses des Tang ont divorcé et se sont remariées.

Malheureusement, les femmes ont été opprimées sous la plupart des dynasties chinoises. Leur mari pouvait divorcer, mais pas l’inverse. À partir du milieu de la dynastie des Song (960-1279), et pendant les dynasties des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911), on a imposé aux femmes des règles plus strictes concernant l’obéissance et la chasteté. En 1368, le nouvel empereur Zhu Yuanzhang des Ming a même décrété que les femmes devaient obéir et être chastes. Selon les registres, la dynastie des Tang a compté 51 femmes chastes, celle des Song, 267, et celle des Ming, 36 000. Il y en a eu encore plus durant la dynastie des Qing. Sur l’un des portails de la chasteté et de la piété filiale de la ville de Shexian, on trouve les noms de 65 078 femmes de vertu.

Le chef-d’œuvre aux « huit pieds »

Parmi les paifang, le portail en pierre de Xu Guo, qui se trouve dans le chef-lieu du district de Shexian, est un chef-d’œuvre incomparable. Ses piliers, poutres, enseignes et supports en pierre sont gravés de motifs exquis, dont un dragon et un phénix symbolisant la faveur impériale particulière. Il porte également des images de bon augure telles qu’un qilin, un lion, une grue, un cerf, un nuage et une pivoine. Les inscriptions de ce portail ont été exécutées par le célèbre calligraphe Dong Qichang de la dynastie des Ming. La structure de cette construction est également unique. Un paifang ordinaire a quatre piliers, formant une structure à trois arches et à deux côtés. En contraste, le portail de Xu Guo se compose de deux paifang à quatre piliers et trois étages disposés en tandem, leurs deux extrémités étant reliées par des poutres horizontales formant une arche unique sur l’un et l’autre côté. Les gens de l’endroit l’appellent le « paifang aux huit pieds ». C’est le seul portail à huit piliers en Chine, et il a été inscrit sur la liste des reliques culturelles sous protection nationale.

Originaire de Shexian, Xu Guo (1527-1596) est un officiel qui a servi sous trois empereurs de la dynastie des Ming. L’empereur Wanli, le dernier des trois, en a fait un ministre du conseil, et plus tard, précepteur du prince héritier. Le dernier poste de Xu était juste inférieur au rang de premier ministre de la cour impériale. En 1584, étant donné les « sages conseils » qu’il avait prodigués à l’empereur Wanli, ce dernier lui a offert un congé de quatre mois pour établir un paifang dans sa ville natale.

Portail commémoratif marquant l’endroit où Zhuge Liang, célèbre stratège de la période des Trois Royaumes (220-280), a mené une vie de reclus. La porte Lingxing, devant le temple de Confucius, à Qufu (province du Shandong)

Il n’y a aucun registre officiel indiquant pourquoi Xu Guo a été en mesure d’établir un paifang à huit piliers, alors qu’on sait que, dans les temps anciens, la transgression du système hiérarchique impérial était un crime grave. Une anecdote locale fournit l’explication suivante : puisque Shexian avait trop de portails à quatre piliers pour les dignitaires et les femmes de vertu, Xu aurait voulu quelque chose de différent. Il a pris son temps et n’est revenu dans la capitale que presque huit mois plus tard. L’empereur s’est montré mécontent du retour tardif de Xu, et l’a manifesté quand Xu s’est agenouillé à son arrivée, sans donner aucune explication. Il l’a grondé en disant : « Pourquoi vous a-t-il fallu un si long moment pour construire un paifang? Huit mois sont suffisants pour en bâtir un à huit pieds. » Xu Guo répliqua immédiatement : « Mille mercis à Votre Majesté pour sa permission. C’est un tel paifang que j’ai construit. » Selon certains historiens, il est peu probable qu’un officiel, prestigieux ou pas, ait enfreint le système hiérarchique sans avoir obtenu préalablement une permission impériale. En raison des services méritoires que Xu avait rendus à trois empereurs et de la valeur qu’il représentait pour Wanli, il est possible que l’empereur ait fait une exception pour lui.

Portails de passage

Un type de paifang appelé « porte de Lingxing » est une forme évoluée des anciennes portes d’entrée à deux piliers surmontés d’une poutre transversale. Dans le folklore chinois, la porte de Lingxing est l’entrée au Ciel. Elle est donc utilisée comme portail de haut niveau et on la trouve souvent dans des sites religieux et des tombeaux impériaux.

Les temples de Confucius qui ont été bâtis dans diverses parties de la Chine présentent habituellement une porte de Lingxing menant à une série de structures disposées le long d’un axe central. Lingxing est l’une des 28 constellations qui sont responsables des affaires intellectuelles et culturelles dans l’astrologie chinoise antique. La porte de Lingxing, en face du temple de Confucius à Qufu, a d’abord été construite en bois, durant la dynastie des Ming, et reconstruite en pierre pendant la dynastie des Qing, en 1754. L’inscription est de la main de l’empereur Qianlong.

En fait, quand les paifang sont apparus pour la première fois, ils servaient de portes. Pendant la dynastie des Tang, la ville était divisée en blocs carrés (fang) séparés par des routes et des rues. Des murs étaient érigés pour délimiter les blocs, et une porte, appelée fangmen (porte de fang) était érigée au centre de chaque mur pour permettre le passage. Plus tard, ces portes ont peu à peu perdu leur fonction et ont servi de panneaux indicateurs de rue.

Beaucoup de villes chinoises ont encore de ces portails. Il y en a un qui a été construit récemment sur le site original de la porte Qianmen, à Beijing. Au cours des siècles, cet élément unique de l’architecture chinoise antique a acquis de riches connotations sociales et culturelles.

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