Retour

Partage de Midi :
Claudel de retour en Chine

CÉLINE PERRAUD

Le metteur en scène Jean-Christophe Blondel

Dans le cadre du IVe festival culturel sino-français Croisements, qui se tient dans toute la Chine jusqu’au 24 juin 2009, Jean-Christophe Blondel met en scène une pièce dense, Partage de Midi, de Paul Claudel. Une occasion d’apprécier l’importance de ces échanges culturels et de voir que les relations entre la Chine et la France ont de beaux jours devant elles.

LE choix d’une pièce de Paul Claudel pour ce festival n’est pas un hasard. Consul en Chine, à Fuzhou puis à Tianjin, entre 1895 et 1909, Claudel y a écrit son Partage de Midi en 1906. Le récit s’inspire directement d’un épisode malheureux de sa vie en Asie, sa passion partagée pour une femme mariée, qui s’est soldée par un échec. Plus d’un siècle après, le metteur en scène français Jean-Christophe Blondel remet Claudel au goût du jour. Même si le texte présente une vision occidentale dépassée de la Chine, la force narrative y est restée intacte.

Une femme et trois hommes, sur un bateau, en route pour la Chine; les hommes sont guidés par l’appât du gain ou de la gloire, vers cette Asie pleine de promesses, tandis que la femme accompagne son conjoint.

Dans ce huis clos étouffant, sous un soleil aveuglant, se jouent les avenirs et les vies. La belle Ysé, courtisée par les trois hommes, ne sait qui suivre : son mari depuis dix ans, De Ciz, également père de ses enfants; son ancien amant Amalric, qui la poursuit et la désire encore; ou encore le mystique Mesa, homme croyant et vierge qui tombe malgré lui éperdument amoureux d’elle. À la fin du premier acte, Ysé et Mesa, après avoir lutté contre leur passion réciproque, se déclarent leur amour.

Ils parviennent à se débarrasser du mari gênant en le persuadant de partir pour des affaires quelque peu dangereuses, espérant qu’il n’en revienne pas, et pendant une année vivent amoureux à Hong Kong; de leur adultère naîtra un enfant. Cependant, en l’absence de Mesa, l’ancien amant Amalric réapparaît pour venir chercher Ysé; la jeune femme s’enfuit avec lui.

Marc Arnaud (De Ciz), éléonore Simon (Ysé), Cédric Michel (Mesa)

Un jour, Amalric annonce à son amante que, pour ne pas tomber aux mains des insurgés, ils devront mourir ensemble, avec le bébé, en faisant sauter leur maison minée. Le même jour, Mesa refait surface, provoque Amalric et se bat avec lui, mais ce dernier l’emporte. Le couple abandonne Mesa mourant; il se confesse avant de quitter ce monde, implore le pardon de son dieu et réclame la mort. Contre toute attente, Ysé revient alors à ses côtés, lui apprend le décès de son mari De Ciz et de leur bébé; ils peuvent donc se marier, juste avant que les bombes n’explosent, unissant leurs destins pour l’éternité.

Un choix audacieux et pertinent

Truffée d’allusions aux mythologies chrétienne, grecque et babylonienne, la pièce n’en est pas moins actuelle. Le projet du metteur en scène consiste à « révéler la dimension universelle de ce tableau intime, son actualité planétaire, son humour, sa violence, sa rugosité. Et le donner à voir à des publics si éloignés de nous, géographiquement et culturellement, que seule cette universalité pourra nous relier ».

Nicolas Vial (Amalric), éléonore Simon

Jean-Christophe Blondel aime Claudel depuis ses débuts en tant qu’acteur, et se dit ravi d’avoir pu monter cette pièce et de pouvoir la présenter en Chine. En effet, il y voit un clin d’œil intéressant à la situation contemporaine : il y a un peu plus d’un siècle, dans sa pièce, Claudel parlait de la Chine comme d’une nation à conquérir; ironie du sort, c’est aujourd’hui la Chine qui conquiert le monde, économiquement, et même culturellement. Le metteur en scène explique : « La pièce confronte deux appréhensions de la condition humaine. La philosophie, la spiritualité occidentale est celle de l’avoir, de l’action, de la conquête, et nous représenterons ces quatre conquistadors comme le pendant moderne de ces hommes qui, sur des bateaux ou des radeaux, ont conquis l’Amérique, ou se sont perdus sur ses fleuves, rencontrant des civilisations de l’être. Il y a un siècle, Claudel a compris l’importance de ce trou formé par Suez, par lequel s’écoulera en Asie le capitalisme global… Aujourd’hui, c’est l’Asie qui irrigue le Monde. »

Ne pas simplifier, mais expliquer et ressentir

Jean-Christophe Blondel éprouve un grand intérêt pour la culture orientale et pour ce projet d’échanges culturels. Dans Partage de Midi, il collabore avec le chorégraphe Sylvain Groud, le scénographe Tormod Lindgren et la musicienne de guqin (instrument chinois très ancien à sept cordes pincées) Wu Na.

La pièce présentée ne diffère en rien de celle créée pour les spectateurs français : les acteurs, engagés physiquement et émotionnellement, se déplacent dans une mise en scène minimale; c’est bien le texte de Claudel qui est à l’honneur et qui emplit tout l’espace. L’auteur s’interroge, entre autres, à l’aide d’un récit en vers libres, sur la vie et la mort, le mariage et l’adultère, l’amour et la passion, la culpabilité et la morale, le bien et le mal.

Le metteur en scène est conscient que la pièce, qui véhicule des idées et des points de vue plutôt occidentaux, risque d’être peu ou mal comprise de la majorité du public en Chine. C’est pourquoi il met tout en œuvre pour aider les spectateurs.

« Chercher à simplifier est une mauvaise démarche, puisque Claudel cherche à décrire la complexité du monde », explique Jean-Christophe Blondel. Il faut simplement donner aux spectateurs un maximum d’outils.

Un résumé de l’intrigue, rédigé en chinois, est distribué avant le début, et la pièce bénéficie d’un surtitrage en chinois. Même si ces précautions ne suffisent pas à rendre la pièce limpide pour les spectateurs chinois, Jean-Christophe Blondel est confiant. Selon ses termes : « Paul Claudel nous emporte au sommet de l’Everest ». C’est un véritable travail intellectuel, même pour un spectateur francophone, que de suivre attentivement toute la pièce et de la comprendre (après de longs mois passés à l’étudier, le metteur en scène avoue y découvrir lui-même encore aujourd’hui des idées nouvelles).

Il insiste, comme Claudel, sur le fait qu’il n’est pas nécessaire de tout saisir; au contraire, c’est ce qui nous échappe qui est le plus intéressant, et le ressenti est aussi important que la compréhension intellectuelle. « Dans une bonne pièce, il faut des secrets, pour que le spectateur puisse penser », résume-t-il.

Jeune metteur en scène curieux et enthousiaste

Parallèlement aux représentations, Jean-Christophe Blondel participe à des colloques sur Claudel et anime des ateliers de théâtre, au sein d’universités ou d’entreprises. C’est l’occasion pour lui de croiser les spectateurs, de répondre à leurs questions et de les initier aux techniques de l’acteur, en leur montrant combien elles sont importantes dans la vie quotidienne ou professionnelle. Il confie qu’il apprécie beaucoup ces moments d’échange, au cours desquels il lui arrive d’entamer des débats sur l’amour et la condition de la femme, d’expliquer l’importance des silences dans la communication, ou encore d’encourager les spectateurs à explorer leurs sentiments et à ne pas en avoir peur; ces instants privilégiés lui permettent de mieux appréhender la culture et le public chinois.

L’expérience asiatique est provisoirement terminée pour Jean-Christophe Blondel, mais il espère revenir prochainement; au cours de sa tournée chinoise (Beijing, Wuhan, Nanjing, Shanghai, Guangzhou), il a noué des liens et certains projets de collaboration ont été lancés. Il affirme être optimiste sur les rapports culturels sino-français à venir, et a apprécié la curiosité du public chinois pour le théâtre français et le dynamisme des échanges; lui-même a commencé à aller voir de l’opéra et du théâtre chinois.

Rédaction : 24, rue Baiwanzhuang, Beijing 100037, Chine
Téléphone : 86-10-6899 6384 ou 6378
Télécopieur : 86-10-6832 8338
Site Web : http://www.chinatoday.com.cn
Courriel : lachine@chinatoday.com.cn
Éditeur : Éditions La Chine au présent
Copyright © 2008 La Chine au présent. Tous droits réservés.