La Grande Muraille
des années Mao :
le canal Hongqi

LOUISE CADIEUX

Le canal serpente dans les flancs des monts Taihang.

Dans la tradition des gigantesques ouvrages impériaux comme le Grand Canal et la Grande Muraille, la Chine des années 1960 a réalisé un ouvrage hydraulique spectaculaire : le canal Hongqi (du Drapeau rouge) qui serpente sur quelque 1 500 km. Il a nécessité les efforts quasi surhumains de 100 000 personnes pendant une décennie. Un site méconnu qui donne à réfléchir sur ce que la coopération permet de réaliser.

Au début des années 1960, la vie n’est pas toujours rose en Chine. Les experts russes viennent de plier bagage et le pays doit maintenant compter sur ses propres forces : plus moyen de profiter du savoir-faire et des capitaux russes. De plus, durant ces années, de grandes calamités naturelles frappent la Chine et la famine sévit un peu partout. L’économie du pays est exsangue. À Linxian (aujourd’hui Linzhou), province du Henan, la situation est encore pire : le district doit endurer une grave pénurie d’eau. Pendant neuf des dix dernières années, il n’y a eu aucune récolte, et chaque jour, plus de la moitié des habitants du district doivent franchir une montagne pour aller chercher de l’eau!

L’or bleu, aussi précieux que l’or noir

À l’époque, une histoire triste circule dans de nombreux foyers locaux. On dit qu’un homme qui avait peiné une journée entière pour aller chercher de l’eau a perdu sa précieuse cargaison en arrivant tout près de chez lui. En effet, épuisé, cet homme est tombé à genou et les seaux qu’il transportait à la palanche se sont renversés. En découvrant la situation, sa femme désespérée s’est suicidée. Dans un tel contexte d’adversités, on peut comprendre que la mobilisation populaire n’a pas été très difficile à organiser.

L’entrée du tunnel Qingnian portant l’inscription de l’écrivain Guo Moruo.

Pour remédier à la situation et amener l’eau dans le district, avec l’approbation du ministère des Eaux, les provinces du Henan et du Shanxi se sont concertées pour détourner l’eau de la rivière Zhuozhang, située dans le district de Pingshun de la province voisine du Shanxi, et pour cela, creuser un canal jusque dans le district de Linxian. La construction, qui a commencé le 11 février 1960, va mobiliser 100 000 personnes pendant une décennie et demander un investissement de plus de 6,8 millions de yuans. Près de 15 % de cet investissement a été fourni par l’État et le reste a été collecté peu à peu localement. Équipées de leurs seules pelles et pioches et motivées à la fois par la nécessité et par l’ardeur révolutionnaire qui avait cours à ce moment-là, ces gens vont ainsi changer leur district et leur vie.

Relever le défi des monts Taihang

La particularité de cet ouvrage, c’est non seulement qu’il a été construit par un grand nombre d’hommes et de femmes qui se sont portés volontaires et à peu près sans équipements mécaniques, mais aussi parce qu’en beaucoup d’endroits, il a été creusé dans les falaises des monts Taihang, des massifs rocheux particulièrement abrupts. De plus, tout a été fabriqué sur place, des outils rudimentaires jusqu’à la dynamite pour faire sauter des pans de montagne et à la chaux pour cimenter les rebords du canal.

Une véritable bénédiction pour les terres cultivées	Arrivé dans le district de Linzhou, le canal se sépare en trois tronçons. Aujourd’hui, un musée se dresse aussi à cet endroit, tout près du troisième tronçon.	Vue d’ensemble de l’étang Luosi

Le tunnel Qingnian (de la Jeunesse) est l’ouvrage principal du canal Hong-qi, car c’est grâce à lui que l’eau a pu arriver aux terres du district et les irriguer. Pour ce seul tunnel de 616 m de long, 6,2 m de large et 5 m de haut, 300 jeunes volontaires ont travaillé pendant un an et cinq mois en endurant des difficultés accrues par le manque de nourriture. Aujourd’hui, ce tunnel est le symbole du canal Hongqi et commémore la contribution des jeunes. C’est le célèbre écrivain Guo Moruo qui a écrit l’épigraphe qui en orne l’entrée.

Un site qui fait la fierté du district

En 1970, Zhou Enlai, alors Premier ministre, a déclaré à des visiteurs étrangers : « La Chine nouvelle a deux merveilles : dans le Sud, le grand pont sur le Yangtsé (à Nanjing), et dans le Nord, le canal Hongqi. » C’est dire à quel point les autorités tiraient fierté de l’exploit que venaient de réaliser les habitants de Linxian. Depuis lors, en plus d’apporter l’eau tant nécessaire, l’ouvrage attire également les touristes. Aujourd’hui, le site touristique du canal comprend également le tunnel Qingnian, l’étang Luosi et un musée, situé à l’endroit où, arrivé dans le district de Linzhou, le canal se divise en trois tronçons. Le site du canal Hongqi sert également de centre d’éducation pour les jeunes du Henan et est considéré comme une réserve naturelle d’échelon provincial. Découvrir ce canal, n’est-ce pas comprendre un peu mieux une phrase célèbre de Mao Zedong : « Le peuple, le peuple seul est la force motrice, le créateur de l’histoire universelle. »