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Au début des années 1980, la Chine a publié une série de 16 timbres à la mémoire de lartiste Qi Baishi (1863-1957). Chaque timbre comportait une uvre du grand maître du lavis à lencre de Chine. Limage sur le timbre no 5 avait été créée en 1957, inspirée par le vers dun poème de lépoque des Qing (1644-1911) : « On entend des grenouilles à des kilomètres dans un ruisseau de montagne. » Lhistoire sur la façon dont cette uvre a été produite révèle beaucoup sur la philosophie sous-jacente à la peinture traditionnelle chinoise.
Les thèmes poétiques des maîtres du xieyi
Un jour de 1957, le célèbre auteur Lao She, ami de Qi Baishi, se présenta chez ce dernier. En parcourant une pile de livres qui se trouvaient sur un bureau, il demanda soudainement à Qi Baishi sil pouvait faire une peinture dépeignant ce vers de lépoque des Qing.
Lartiste releva avec vif intérêt ce défi de peindre une chose quil était possible dentendre, bien quelle soit invisible. Trois jours plus tard, Qi dévoila luvre que Lao She avait demandée. Cétait un rouleau vertical. Les montagnes se profilaient indistinctement dans larrière-plan, alors que lavant-plan comportait des précipices vertigineux. Un ruisseau frayait sa voie vers le fond de la vallée rocailleuse et six têtards nageaient allègrement dans les rapides. On ne distinguait aucune grenouille, mais les spectateurs pouvaient facilement associer ces têtards coquins à leur mère qui devait se trouver en amont. Dès la dynastie des Song, il y a 1 000 ans (960-1279), la représentation de thèmes poétiques était pratique courante parmi les lettrés, et la peinture chinoise traditionnelle était à son apogée. À cette époque, lempereur Huizong a établi une académie des arts à Bianliang (aujourdhui Kaifeng), et celle-ci sélectionnait les artistes doués venus de tout le pays. Le plus souvent, les tests de sélection consistaient en un thème basé sur un vers dune poésie antique. Par exemple, une année, le thème pouvait être : « Les chevaux reviennent des champs en fleurs, leurs sabots encore imprégnés du parfum de ces fleurs. » La plupart des candidats présentaient le thème en peignant des chevaux qui galopaient parmi les fleurs, des papillons virevoltant tout autour. Quand il voyait de telles compositions, Zhao Ji (lempereur Huizong) hochait invariablement la tête. Finalement, il sourit à la vue dune uvre ne contenant aucune fleur.
Cet exemple est typique du xieyi (peinture à grands traits, au style elliptique impromptu), un style dans lequel les artistes expriment leurs émotions et leurs pensées par des images expressives et souvent exagérées, exécutées par des traits succincts. La peinture xieyi met laccent sur des humeurs particulières (plutôt que sur le réalisme de la forme dune image) et plus particulièrement sur lhabileté de lartiste à évoquer le non-dit. Pour réaliser un tel effet, les artistes vont au-delà des frontières du temps et de lespace et harmonisent les éléments naturels avec leurs états émotifs et leur condition sociale. Cette approche donne libre cours à limagination des artistes et des spectateurs.
Certains grands maîtres du genre
Au XVIIe siècle, la fin des Ming et le début des Qing ont connu un certain nombre de peintres passés maîtres dans le xieyi. Parmi les plus exceptionnels, il faut mentionner Zhu Da (Badashanren, de son pseudonyme) et huit autres quon a nommés les « Huit Excentriques de Yangzhou », dont Shi Tao est le représentant. Zhu Da et Shi Tao sont des maîtres ayant fait époque dans lhistoire de lart chinois. Leur style et leurs réalisations artistiques sont étroitement liés à leur contexte familial et aux changements historiques quils ont vécus. Zhu Da excellait dans la peinture de paysages, de fleurs et doiseaux. Il a poursuivi le travail de ses principaux prédécesseurs et a développé un style qui lui est propre, plus particulièrement un expressionnisme osé utilisant des éclaboussures dencre. Il dessinait le moins de traits possible, de sorte que les gens ont par la suite fait référence à son style comme celui des « traits simplifiés ». Il a également eu recours à lexagération. Pour des centaines dannées, il est resté inégalé dans le genre quil avait créé, aucun artiste nétant parvenu à le surpasser. Zhu Da était passé maître dans lart dexprimer son état dâme par des images. Ses paysages se composent toujours de fragments de montagnes et de cours deau, de vieux arbres, de branches sèches et de fleurs défraîchies. Ce type de composition reflète sa profonde amertume concernant leffondrement de la dynastie des Ming (1368-1644). Ses oiseaux ont toujours la tête bien haute et le ventre gonflé à la fois fiers et indignés, comme lartiste lui-même. Au sol, ils se tiennent toujours sur une patte, ce qui indique le refus de lartiste de se soumettre au régime mandchou. Ses poissons sont toujours peints avec des yeux bien ronds, comme sils regardaient le ciel dun il froid. Shi Tao (1636-1707) a étudié la poésie, les classiques chinois, la peinture et la calligraphie. Il sest également beaucoup déplacé et a tiré son inspiration des beaux paysages dun peu partout au pays. Un jour, il a même déclaré que les montagnes et les cours deau linvitaient à être leur porte-parole, et que ses paysages étaient le résultat de sa rencontre avec ces formations naturelles dans le monde spirituel.
Leurs disciples des Temps modernes
Zhu Da et Shi Tao ont exercé une influence sur le cheminement de célèbres artistes des Temps modernes en peinture traditionnelle. Mentionnons, entre autres, Qi Baishi, Zhang Daqian, Liu Haisu, Li Kuchan et Pan Tianshou. Plus particulièrement, Qi Baishi considérait ces deux artistes du XVIIe siècle avec vénération. À un moment donné, il a dit quil aurait aimé naître 300 ans plus tôt parce quainsi, il aurait pu polir le bâton dencre et placer le papier chez ces deux maîtres. Il a même déclaré quil se serait contenté de pouvoir simplement se tenir debout à lextérieur de leur porte. Zhang Daqian (1899-1983) a également été un grand maître contemporain de la peinture traditionnelle chinoise et il est renommé tant en Chine quà létranger. Qi Baishi et lui sont célébrés comme des figures importantes de lhistoire récente de lart chinois. Zhang représente lécole du Sud et Qi, celle du Nord. Zhang était un fervent admirateur de Shi Tao et a étudié très attentivement sa peinture quand il était jeune. Il la fait à un point tel quil pouvait exécuter des reproductions des uvres de Shi Tao qui échappent même à lexamen minutieux des principaux connaisseurs dart. Au départ, on peut dire que Zhang Daqian a copié Shi Tao, mais cétait pour létudier. Des années plus tard, après quil ait établi sa renommée dans le monde artistique, un collectionneur a sollicité sa signature sur lune de ses reproductions de Shi Tao. Zhang a un jour écrit : « À ce moment-là, jétais désireux dy entrer, maintenant je désire en sortir. » Par « entrer », Zhang signifiait quil avait cherché à acquérir la technique de Shi Tao pour traiter la forme de limage. Par « sortir », il voulait dire quil savait quil devait maîtriser sa propre technique pour communiquer des images, comme Shi Tao le faisait. Comme la poésie, la musique, la calligraphie et dautres formes dart, la peinture traditionnelle chinoise est une activité et un produit imprégnés de spiritualité. Elle exige dabord des artistes de « combiner » la spiritualité avec les objets quils vont peindre. Lefficacité de la communication tient alors à la façon dont lartiste traite les relations entre la forme et lessence des choses. Selon les mots de Shi Tao, la forme et lesprit devraient avoir une « similitude différente ». Qi Baishi a interprété cette phrase comme un équilibre entre la « similitude et la dissimilitude » des choses entre elles. Au cours des siècles, ces concepts ont éclairé le travail de nombreux artistes chinois. |
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