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Le problème des déchets électroniques

LU RUCAI

Des piles de déchets électroniques collectés dans une rue de Beijing

La Chine est l’un des pays du monde qui fabriquent le plus de produits de TI, et elle affronte, elle aussi, le problème du recyclage et du traitement des déchets électroniques.

AVANT de vendre son vieil ordinateur personnel à un récupérateur ambulant, Xu Feng a appelé la ligne directe des services de recyclage de Dell. Effectivement, depuis la fin de 2006, cette société offre un service de recyclage aux utilisateurs de matériel informatique, que ce soit des entreprises ou des individus. Quand on lui a dit que Dell pouvait ramasser son ordinateur dans un délai d’une semaine, mais sans lui verser de compensation, M. Xu a décidé de le vendre à un récupérateur ambulant pour 200 yuans.

Cette histoire fait ressortir un problème fondamental de l’industrie chinoise du recyclage des déchets électroniques. Bien que la Chine produise une quantité énorme de ces déchets, les entreprises « officielles » de recyclage ne reçoivent tout simplement pas suffisamment de matériel pour avoir des opérations rentables. Au lieu de cela, 90 % des déchets électroniques de la Chine sont dirigés vers des ateliers familiaux dont les pratiques manuelles de démontage produisent une pollution secondaire hautement toxique.

Le raccourcissement constant du cycle de vie d’un produit technologique aggrave encore le problème des déchets. D’après la plus récente enquête de CBC Market Research sur le marché urbain chinois des téléphones portables, plus de 60 % de la légion d’utilisateurs chinois de téléphones portables ont déjà changé leur téléphone au moins une fois. La fréquence de remplacement la plus élevée est à Guangzhou (province du Guangdong), où les usagers ont possédé en moyenne trois téléphones chacun. Des données de Searchina Co. Ltd démontrent que, dans les villes chinoises, les téléphones cellulaires sont maintenant remplacés en moyenne tous les deux à trois ans. Il n’est pas rare que quelques « mordus de la mode » gardent leur téléphone moins de 12 mois.

Ce cycle rapide de consommation génère des quantités astronomiques de déchets électroniques. Selon les statistiques de l’Administration nationale de l’environnement de Chine, chaque année, le pays met au rebut 30 millions de téléphones cellulaires, un chiffre astronomique. À cela, il faut ajouter 4 millions de réfrigérateurs et 5 millions de chacun des articles suivants : téléviseurs, machines à laver et ordinateurs personnels. Chaque jour en Chine, le total de ce type de déchets représente environ 3 000 tonnes. En plus de tous ces articles mis au rebut dans le pays, d’énormes quantités de déchets électroniques de l’étranger entrent illégalement en Chine, la plus grande partie étant officiellement importée comme « produits d’occasion ».

Où vont ces déchets?

En 2006, le Bureau des toxines de Greenpeace à Beijing a effectué une enquête pour savoir où allaient les déchets électroniques de la capitale. Tel que l’indique l’histoire vécue par M. Xu, l’enquête a découvert que la plupart des produits électroniques jetés à Beijing sont achetés par des récupérateurs ambulants. Ces commerçants les transportent en périphérie de Beijing, notamment à Houbajia (arrondissement Haidian) ou à Dongxiaokou (arrondissement Changping). Les produits y sont alors triés, et ceux en état de fonctionner ou n’ayant besoin que de réparations mineures sont réparés et nettoyés pour être revendus en tant que produits d’occasion. Les autres sont envoyés dans un centre de distribution près de Shibalidian (arrondissement Chaoyang) ou sont transportés directement vers la province du Guangdong (Chine du Sud), où ils sont démontés manuellement dans des ateliers familiaux.

Il y a quelques mois, Lai Yun, un volontaire de Greenpeace, a mené une étude sur Guiyu (ville de Shantou, province du Guangdong), le plus grand site chinois en démontage de déchets électroniques; parmi les 150 000 habitants de la ville, 80 % font ce travail. C’est une zone de 52 km2 qui non seulement traite les déchets électroniques du pays, mais en importe également. M. Wu Yuping, chef scientifique de l’Administration nationale de l’environnement de Chine, explique : « Pour envoyer des déchets électroniques en Chine, les marchands étatsuniens doivent payer des gens d’affaires chinois, mais ça vaut le coup. S’il en coûte 300 yuans pour se débarrasser d’une certaine quantité de déchets aux États-Unis, il n’en coûte que 100 yuans pour l’exporter illégalement en Chine. » Selon le rapport de Greenpeace, tous les ans, environ 70 % des 40 millions de tonnes de déchets électroniques du monde sont envoyés en Chine, et la plus grande partie passe par Guiyu.

Les travailleurs de Guiyu, province du Guangdong, démontent manuellement des produits électroniques hors d’usage.

Ce rapport de Greenpeace affirme aussi : « La plus grande partie de l’industrie de l’élimination des déchets électroniques de Guiyu est composée d’ateliers familiaux qui n’ont généralement ni le matériel ni la technologie nécessaires (sans parler des fonds) pour lutter contre la pollution produite par le démontage de ces produits. Pour réduire les coûts, les ateliers familiaux démontent habituellement les articles de la manière la plus rapide et la plus directe possible, entraînant une grave pollution du sol et des eaux souterraines environnantes. »

Les ordinateurs, les téléphones cellulaires et les téléviseurs contiennent un ensemble de substances toxiques (cadmium, mercure, plomb, etc.) qui ont toutes des impacts extrêmement négatifs sur la santé des gens. Quand des produits électroniques sont démontés manuellement dans de petits ateliers qui n’appliquent pratiquement aucune mesure de protection, les travailleurs et l’environnement se font empoisonner. Toutefois, tant que les récupérateurs ambulants seront disposés à payer pour des déchets électroniques, il y aura peu d’incitation à ce que les consommateurs chinois remettent leurs vieux produits électroniques aux recycleurs officiels qui, eux, sont en mesure de disposer de ces déchets d’une façon plus sûre.

L’économie du recyclage

Il n’y a actuellement aucune réglementation régissant le recyclage des déchets électroniques en Chine, de sorte que les fabricants chinois affrontent un problème pressant de coûts en essayant de rendre leurs opérations plus respectueuses de l’environnement. Le recyclage sûr des déchets électroniques est cher, de sorte que si les entreprises voulaient introduire des pratiques permettant un tel recyclage, cela ferait assurément augmenter les coûts. Ces coûts supplémentaires réduiraient alors l’avantage de prix dont profitent les fabricants chinois par rapport à la plupart de leurs concurrents de l’étranger. De plus, peu de consommateurs chinois sont assez riches pour payer de bon gré la facture du recyclage sécuritaire des vieux électroménagers.

En dépit de cette situation, après que Lenovo et Dell eurent annoncé, en décembre 2006, leurs services gratuits de ramassage d’ordinateurs mis au rebut, HP a lancé un programme semblable en septembre 2007. M. Yue Yihua, directeur du Bureau des toxines de Greenpeace (Beijing), fait l’éloge de ces programmes : « Le recyclage sûr est un maillon-clé dans le cycle de vie global du produit, et il est important d’éviter la pollution secondaire. » Cependant, pour ce qui est de l’immense majorité des consommateurs chinois, lorsqu’ils sont confrontés au choix entre remettre leurs produits usagés aux fabricants sans en recevoir d’argent ou les vendre à des récupérateurs, ils choisissent ces derniers. Pour cette raison, les critiques ont taxé les services de recyclage offerts par les sociétés d’informatique de n’être rien d’autres que des astuces de vente.

« Dell ne paie pas pour les vieux ordinateurs des usagers privés, même lorsqu’ils ont encore de la valeur, déclare M. Ding, du service de recyclage de Dell. Dans ce contexte, nous recevons peu de produits des consommateurs privés. » Il y a une certaine compensation financière si les compagnies remettent leurs vieux ordinateurs, mais seulement si elles recyclent 30 appareils ou plus à la fois. Si la quantité est moindre, les compagnies doivent payer Dell pour ramasser leurs vieux ordinateurs.

Le problème inhérent à l’économie du recyclage des produits électroniques en Chine est illustré par le cas de divers projets de recyclage désignés par la Commission nationale pour le développement et la réforme. Des opérations tests ont été mises en place à Beijing, Tianjin, Qingdao et Hangzhou. La Huaxing Environmental Protection Development Co. Ltd. est l’unité test pour Beijing, mais à la différence des entreprises de Guiyu, elle affronte la situation ironique de ne pas être capable d’obtenir suffisamment de déchets. Selon M. Wang Yong, un cadre de cette société, Huaxing a signé des accords de recyclage avec de grands magasins d’appareils électriques comme Suning et Gome, mais la compagnie doit quand même acheter la majeure partie du matériel des récupérateurs.

Comme M. Wang l’explique, « l’industrie du recyclage électronique n’a aucune base légale. » Ainsi, la plupart des produits finissent dans les mains des récupérateurs ambulants parce que ces derniers peuvent donner un peu d’argent pour ces produits qu’ils vont ensuite recycler à moindre coût. Si des compagnies aussi respectueuses de l’environnement que Huaxing devaient payer leurs produits à recycler, leurs opérations ne pourraient tout simplement pas être rentables. Huaxing a une capacité annuelle de traitement de 1,2 million de pièces, mais elle a actuellement une seule chaîne de production de démontage de téléviseurs et d’ordinateurs. La situation de cette compagnie est loin d’être unique; par exemple, la compagnie Nanjing Jinze n’a aucune façon d’être viable, en raison d’une pénurie d’appareils mis au rebut.

La réglementation : une étape essentielle

Pour pallier au fait que les opérations de recyclage sécuritaire ne sont actuellement pas viables en Chine, on espère que le gouvernement suivra l’exemple d’autres pays et prendra deux types de mesures : mettre en place des aides financières à l’intention des recycleurs et commencer à donner un cadre réglementaire à cette industrie qui a opéré jusqu’à maintenant de manière non officielle. Les Règlements pour la gestion du recyclage et l’élimination des électroménagers et des produits électroniques mis au rebut ont été élaborés en 2004 pour solliciter l’opinion publique; ils n’ont toutefois pas encore été promulgués.

Sans une législation qui apporterait un certain avantage financier à la fois aux consommateurs et aux opérations légitimes de recyclage, il semble peu probable que des compagnies comme Huaxing seront en mesure de concurrencer les récupérateurs ambulants qui utilisent un tricycle à plateforme pour transporter les produits à démonter. Cependant, si l’industrie est réglementée pour aider à donner une base financière saine aux opérations sûres de recyclage, le potentiel des retombées de ces entreprises est énorme. « La voie est longue et tortueuse, mais les perspectives sont brillantes », dit M. Wang, avec un sourire en coin. Ce n’est qu’en permettant des profits aux plus grandes entreprises de recyclage que des pratiques de recyclage plus sûres remplaceront les récupérateurs ambulants et les ateliers familiaux qui sont maintenant dépassés.

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