Le Tibet nest pas le
Shangri-la
SERGE PAIROUX et HENRI LEDERHANDLER
Serge Pairoux, secrétaire général
du Centre culturel Belgique-Chine, et Henri Lederhandler, vice-président
du Conseil économique et commercial Belgique-Chine, donnent
leur point de vue sur la situation au Tibet.
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Des champs de colza au Tibet
----Feng Jin |
DEPUIS des siècles, le Tibet fascine et inspire romans et
récits fantastiques. Son éloignement et le bouddhisme
alimentent limaginaire occidental en mal dexotisme et
de merveilleux. Ce mythe ne doit cependant pas faire oublier la
réalité. Nen déplaise aux pro-Tibétains
romantiques, le Tibet davant 1949 nétait nullement
un paradis peuplé exclusivement de gens bons et souriants
que la douceur de vivre portait aux seules pratiques spirituelles.
Tenir ce discours, cest occulter un autre aspect du Tibet
: une région où les monastères bloquaient toute
réforme, de peur de voir le pouvoir leur échapper
; une région avec une aristocratie attachée à
ses privilèges à lintérieur de laquelle
se tramaient complots et intrigues ; et une région avec une
théocratie qui considérait le servage comme légal.
Les esclaves pouvaient y être vendus, achetés, transférés,
échangés, utilisés comme « des bufs
et des chevaux doués de la parole » et non comme «
des êtres humains ».
Lactuel dalaï-lama, le « bon », le «
charismatique », le « prix Nobel de la paix »
en est resté lagent jusquen 1949...
Ajoutons que les monastères et centres détudes
monastiques obligeaient les familles qui avaient deux garçons
den envoyer un pour se faire moine dans lun des 6 000
monastères de la région. En résultat, on comptait
95 % danalphabètes au Tibet en 1951.
Une histoire qui mérite dêtre
connue
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Des bannières de prières
flottent au bord du fleuve Yarlung Zangbo.------------------------------------
----------------China Foto Press |
Les relations entre le bouddhisme tibétain et lempereur
de Chine remontent au XIIIe siècle (sous la dynastie des
Yuan), alors que «...les Tibétains concevaient la relation
entre le Tibet et la Chine comme celle de maître religieux
à protecteur laïque». Le dalaï-lama
ou le panchen-lama avait rang de conseiller religieux et de chapelain
de lempereur qui, pour sa part, était le protecteur
du lama et, par extension, du Tibet. Lempereur apportait un
soutien matériel et une protection militaire au lama, comme
dailleurs à tous les autres citoyens de lempire
du Milieu. Le dalaï-lama était clairement un vassal
de lempereur.
De 1720 à 1911, le Tibet a été intégré
à lempire mandchou (dynastie des Qing).
Au XIXe siècle, la Russie et la Grande-Bretagne se sont
disputées le contrôle du Tibet. La Grande-Bretagne
le faisait depuis lInde quelle occupait, alors que,
pour la Russie, il sagissait de maintenir son influence en
Asie centrale. Face à léchec de toutes ces tentatives,
en 1906, la Grande-Bretagne a reconnu la suzeraineté chinoise
sur le Tibet (et la réaffirmée en 1912). En
atteste le fait quen Chine, la majorité des bâtiments
impériaux comporte quatre écritures : han, mongole,
mandchoue et tibétaine.
En 1950, lArmée populaire de Libération, qui
venait de libérer la majeure partie du pays après
avoir contribué à en chasser les occupants japonais,
est entrée à Lhasa et a enclenché aussitôt
une série de réformes dont la plus importante est
labolition du servage. Des centaines de milliers desclaves
sont alors redevenus des « êtres humains ».
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Des pèlerins
devant le monastère Jokhang------------------
----------------------Liu Shunliang |
Des entretiens entre les autorités centrales et ceux qui
détenaient le pouvoir local se sont ensuite déroulés
à Beijing. Le dalaï-lama y a participé et une
série dengagements mutuels ont été pris,
laissant une large autonomie aux monastères et autres oligarques.
En 1956, les théocrates et aristocrates qui perdaient jour
après jour de leur pouvoir se sont insurgés, puis
ils lont fait de nouveau en 1959. Des aveux du dalaï-lama
lui-même, cette insurrection avait été financée
et armée par la CIA. Elle a échoué. Ses dirigeants
se sont alors réfugiés à Dharamsala, en Inde.
Durant la révolution culturelle (1966-1976), comme partout
en Chine, certains gardes rouges ont saccagé des monastères
et des temples, persécuté des moines et des nonnes,
ce qui fait de cette période une des pages les plus sombres
de lhistoire chinoise contemporaine.
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La Stèle de lalliance
entre les Tang et les Tubo, érigée en 823, se
dresse devant le monastère Jokhang. Elle est un témoignage
de lamitié entre les Han et les Tibétains,
et est rédigée dans leur langue respective.-----------------------------------------------------------Cnsphoto
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Le début dune lente reconstruction
Dès les années 1980, un effort énorme a été
fait pour effacer les traces du drame : les monastères ont
été reconstruits à lidentique, les moines,
autorisés à les réintégrer. Puis, la
région a été ouverte au tourisme. Un coup daccélérateur
a été donné au développement économique.
Plus récemment, la région a été désenclavée
grâce à une ligne de chemin de fer qui relie la Chine
intérieure et Lhasa et qui permet dimporter et dexporter
des biens vitaux.
Quiconque est allé au Tibet peut témoigner que les
magasins regorgent de biens de consommation. Lespérance
de vie sest accrue de plus de dix ans en quelques années.
Laccès aux soins de santé se généralise.
De nouvelles écoles et de nouveaux établissements
denseignement supérieur sont ouverts. Des investissements
importants sont faits dans la région pour moderniser et intégrer
le Tibet à léconomie de lensemble du pays.
En outre, laccent est mis sur la protection de lenvironnement
par la création de réserves naturelles et lutilisation
de sources dénergie renouvelable. Bref, le niveau de
vie des Tibétains na jamais été aussi
élevé quaujourdhui. Tous les indicateurs
économiques lattestent.
Comme dans le reste de la Chine, nombre de problèmes restent
à résoudre au Tibet, tant dans les domaines économiques
que culturels. Mais déjà, selon le FMI et la Banque
mondiale, « en vingt ans, la Chine a réussi à
tirer 350 millions de personnes du seuil de la pauvreté »,
dont plusieurs centaines de milliers de Tibétains.
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Des écoliers tibétains
reçoivent un enseignement dans leur langue dans une classe
de lécole primaire Lhasa-Beijing au Tibet.
------- Photo : École
primaire Lhasa-Beijing |
Il ne faut jamais oublier que le Tibet est lune des zones
les plus sensibles de la planète. Cest au Tibet que
prennent leur source les grands fleuves dAsie : le Gange,
lIndus, le Brahmapoutre, le fleuve Jaune, le Yangtsé,
le Mékong. Le Tibet est également extrêmement
riche en uranium, bauxite, cuivre, lithium, pétrole et gaz.
Il nest donc guère étonnant quil soit
convoité par des intérêts divers.
Les dernières manifestations au Tibet et dans certains autres
pays ont manifestement été initiées par le
dalaï-lama et son entourage immédiat. Lorsquon
en décrypte les images, on saperçoit quelles
ne sont le fait que de très peu de monde.
Par leur médiatisation hypertrophiée, ces images
jettent le trouble dans lopinion publique internationale,
prennent en otage les Jeux olympiques de Beijing et mettent en péril
la stabilité de la région. Cest inadmissible.
Il est également inadmissible quune fois de plus de
« belles plumes » ou de « beaux parleurs »
sérigent en juges et en donneurs de leçons à
la Chine. LOrient est trop souvent la somme des malentendus
qui germent dans lesprit des Occidentaux, et il est vain de
les attiser. Il faut reconnaître là le signe dune
crise qui saggrave : la montée de lincompétence
et de lintolérance.
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