Un
village chinois sous la loupe
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Ne sommes-nous pas
élégantes? |
La
vraie vie
des
femmes de Baishibu
YAN WEIJUAN
TOUT en jouant aux cartes avec des amies de son village, Mme Sun
Fengmin, une paysanne de 54 ans, confie : « À vrai
dire, jai un peu honte de ne pas être en train de travailler
dans une usine. Non seulement les jeunes femmes, mais aussi celles
de mon âge ou même plus âgées que moi y
travaillent. Je trouve que la situation des femmes de notre village
nest plus du tout la même quavant, surtout pour
ce qui concerne le travail. »
Une vie pas toujours rose
À Baishibu, on utilisait jusquà tout récemment
deux expressions pour décrire les femmes mariées :
huanglianpo et toufa chang, jianshi duan. Littéralement,
huang- lianpo veut dire « femme au visage jaune »
et, sous cette expression, se cache toutes les misères de
la vie des femmes. En effet, durant une longue période, les
femmes de la campagne ont occupé léchelon le
plus bas de la hiérarchie familiale qui correspondait généralement
à la structure suivante : dabord les beaux-parents,
puis le mari, et ensuite les enfants. Les femmes soccupaient
non seulement de toutes les tâches domestiques (entre autres
cuisine, lessive et ménage), mais aussi des enfants et des
beaux-parents. « Quand jétais jeune mariée,
nous cohabitions avec mes beaux-parents. À cette époque,
alors que la nourriture était moins abondante quaujourdhui,
je ne pouvais même pas manger la même chose que mes
beaux-parents et mon mari. Souvent, cétait mon beau-père,
mon mari et mon fils qui prenaient les meilleurs plats et ma belle-mère
mangeait ensuite; quant à moi, je mangeais ce qui restait,
explique Mme Sun. En plus, je devais travailler dans les champs
comme les hommes, alors que, une fois rentrée à la
maison, cétait toujours moi qui cuisinais, car ma belle-
mère ne me donnait un coup de main que de temps en temps.
À cette époque, la responsabilité des femmes
consistait à soccuper du mari, des enfants et des beaux-parents.
»
À cause de cette lourde tâche, les paysannes navaient
pas très belle apparence et, faute dargent, elles ne
pouvaient même pas penser à se maquiller. Par conséquent,
elles avaient souvent lair plus vieilles que leur âge
et on les qualifiait de huanglianpo.
Par ailleurs, lexpression toufa chang, jianshi
duan signifie que les cheveux sont longs, mais que les
connaissances sont courtes, c.-à-d. limitées.
Puisque les femmes nallaient pratiquement pas à la
ville, elles nétaient au courant que de ce qui se passait
dans les campagnes. Les hommes avaient peu de considération
pour elles et ne tenaient pas compte de leur opinion quand venait
le temps de prendre des décisions. Résultat : les
femmes devaient absolument obéir aux hommes.
Lallègement de la charge
de travail, une planche de salut pour les femmes
« Cest à partir de 1978 que ma situation a commencé
à changer. Le premier changement important, cest que
jai commencé à pouvoir manger la même
chose que les autres membres de la famille; nous avions alors suffisamment
à manger. Toutefois, je devais toujours moccuper seule
du ménage, parce que mon mari travaillait dans des chantiers
de construction pour gagner plus dargent. Le deuxième
changement, cest que je nhabitais plus avec mes beaux-parents
et que je profitais donc de plus de liberté », confie
encore Mme Sun.
Daprès la philosophie de vie des Chinois, des récompenses
couronnent toujours les durs efforts. Et cest ce qui sest
produit pour Mme Sun : sa vie sest beaucoup améliorée
ces dernières années.
Par exemple, ses tâches ménagères ont été
allégées. Cuisinière au gaz avec bombonne,
marmite électrique, réfrigérateur et machine
à laver font maintenant partie de son décor. Autrefois,
quand elle faisait la cuisine, elle devait faire du feu et la fumée
lui irritait souvent les yeux. Maintenant, grâce à
la cuisinière au gaz, cuisiner se fait plus facilement et
plus proprement.
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Des paysannes travaillent
au tri des légumes.
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Pour ne plus être qualifiées de huanglianpo,
les femmes de Baishibu portent maintenant plus dattention
à leurs vêtements et certaines ont commencé
à se maquiller. Avant, elles achetaient toujours des vêtements
à très bas prix dans des marchés qui se tenaient
à différents moments dans les villages des alentours.
Mme Sun nous explique : « Avant, je confectionnais souvent
moi-même mes vêtements, ou alors, je les achetais dans
de petits marchés. Ils coûtaient ainsi moins cher,
mais ils étaient toujours de mauvaise qualité et nétaient
pas très élégants. Maintenant, jen achète
souvent à Laiyang (une ville pas très loin) où
il y a un grand choix. Les jeunes femmes dépensent même
pour du maquillage, et lon peut dire que lapparence
de beaucoup dentre elles na rien à envier aux
citadines. » Et elle conclut, avec le sourire : « Nous
ne sommes plus des huanglianpo. »
Si les appareils ménagers modernes ont allégé
la vie des femmes, travailler à Laiyang a changé leur
statut de toufa chang, jianshi duan.
Ces dernières années, la majorité des villageoises
ont commencé à occuper des petits boulots temporaires
en ville, dans des usines de transformation de légumes. Malgré
des conditions de travail parfois difficiles, elles ne se plaignent
pas. En effet, lorsquelles travaillent, elles gagnent 30 yuans
par jour et arrivent ainsi à accumuler 7 000 à 8 000
yuans par an; cest une somme dargent considérable
pour leur famille. Autrefois, si les femmes avaient à sortir
de la maison, elles ne pouvaient prendre que la bicyclette. Aujourdhui,
toutes celles qui travaillent en ville se sont acheté une
bicyclette électrique (environ 1 000 yuans) ou une moto (environ
2 000 yuans).
Avoir son mot à dire
En fait, depuis quelles travaillent en ville, les femmes
ont élargi leurs horizons et commencent à avoir leur
mot à dire dans la famille. En constatant le niveau de prospérité
des citadines, elles ont décidé dêtre
encore plus actives pour améliorer leur sort. Leur capacité
à gagner de largent et leur nouvelle mentalité
ont déjà gagné le respect des hommes. Par conséquent,
les relations avec leur mari se sont également améliorées.
Ainsi, entre autres, les hommes commencent à partager les
tâches ménagères. Le cas de Mme Li Lihong, 35
ans, en est un exemple. Elle travaille dans une usine de Laiyang
et son mari soccupe de 15 mu (1 mu = 1/15 ha)
de champs labourés dans ce village. Or, elle nous confie
que cest souvent son mari qui prépare le dîner,
une chose inimaginable autrefois.
De plus, alors que par le passé lhomme administrait
seul le budget familial, la femme décide maintenant de lutilisation
de petites sommes dargent (achats des vêtements et de
la nourriture, par exemple). Dailleurs, pour ce qui est des
grosses dépenses, celles-ci se décident après
consultation entre les deux époux.
Alors que les femmes daujourdhui passent plus de temps
à lextérieur du village, contre toute attente,
leur mariage est plus stable et les couples se querellent peu. Dune
part, les mariages sont, pour la plupart, basés sur un amour
partagé. Dautre part, la préoccupation quotidienne
des couples est de gagner plus dargent. « On dit que,
dans les grandes villes, plus on est riche, plus on a de chances
de divorcer. Mais dans notre village, ce nest pas le cas.
Ces dernières années, il ny a eu aucun divorce
», indique Mme Sun.
Cette dernière a une fille qui travaille à Qingdao.
« Il y a seulement quelques années, ma mère
ne connaissait même pas lexistence de la Journée
des femmes », confie sa fille. Or, il y a deux ans, cette
jeune femme a reçu un appel téléphonique de
sa mère qui lui demandait comment elle célébrait
cette fête! À lévidence, le temps des
huanglianpo et toufa chang, jianshi duan est bel et
bien chose du passé...
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