Les Jardins classiques
de Suzhou
LIU QIONG
Le paysagisme
classique chinois, qui cherche à recréer des
paysages naturels en miniature, est représenté
de façon exceptionnelle dans les neuf jardins de la
ville historique de Suzhou, universellement reconnus comme
étant des chefs-d'uvre du genre. Aménagés
du XIe au XIXe siècle, ils reflètent dans leur
conception méticuleuse la grande importance métaphysique
de la beauté naturelle dans la culture chinoise.
Comité du patrimoine
mondial, Unesco. Ce site a été inscrit en 1997
et 2000.
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Le jardin
Zhuozheng (Humble Administrateur) |
SUZHOU est un endroit fertile et pittoresque situé au bord
du lac Taihu, province du Jiangsu. Dès l'époque des
Printemps et Automnes (770 -- 476 av. J.-C.), la ville était
déjà très développée, tant sur
le plan culturel que sur le plan économique. En 514 av. J.-C.,
elle est devenue la capitale du royaume de Wu (env. VIe s. -- 473
av. J.-C.), l'un des plus puissants de son époque. Durant
la dynastie des Song (960-1279), des énoncés célèbres
ont commencé à faire leur apparition pour la caractériser
: Sur Terre, il y a Suzhou; dans le Ciel, il y a le paradis et
À elles seules, les récoltes exceptionnelles de Suzhou
suffisent à toute la nation.
En effet, grâce au bon réseau de voies de transport
fluvial et terrestre sur son territoire, les lettrés et les
marchands affluaient dans la ville. Ce sont eux qui ont créé
et fait prospérer la culture de Wu, réputée
pour son élégance et son raffinement, un terreau favorable
à l'aménagement de jardins. Tout compte fait, on peut
dire que, si Suzhou a vu émerger tant de jardins, c'est à
cause de ses conditions naturelles propices de même qu'aux
sommes énormes d'argent que les lettrés et les officiels
ont dépensé pour leur construction. L'histoire des
jardins classiques de Suzhou remonterait donc aux jardins de ce
royaume de Wu, alors que les registres les plus anciens des jardins
privés font état de l'époque des Jin de l'Est
(317-420). Beaucoup plus tard, durant les dynasties des Ming (1368-1644)
et des Qing (1644-1911), on en trouvait partout dans la ville. D'après
les documents, Suzhou possédait près de 200 jardins,
dont les jardins Canglangting (Pavillon des vagues), Shizilin (Forêt
du lion), Zhuozheng (Humble Administrateur) et Liuyuan (Attardez-vous)
peuvent représenter respectivement les quatre styles différents
des dynasties des Song (960-1279), des Yuan (1271-1368), des Ming
et des Qing.
Suzhou a toujours été un lieu privilégié
par les lettrés. Dans cet endroit magnifique, ces derniers
menaient une vie confortable et en harmonie avec la nature. Cette
ambiance en a fait de grands poètes, peintres ou calligraphes.
Leur style de vie et leurs uvres ont à leur tour exercé
eux aussi une grande influence sur le développement des jardins
privés.
Les caractéristiques de ces
jardins
Les plus beaux jardins - tels que le Zhuozheng, le Liuyuan, le
Wangshi (Maître des filets ) et le Huanxiushanzhuang (Villa
de la montagne étreinte de beauté) - sont des chefs-d'uvre
de l'art des jardins et des modèles du genre pour ce qui
est de l'atmosphère, de la délicatesse de la composition,
de l'élégance et de la connotation culturelle. Selon
le Comité du patrimoine mondial de l'Unesco, dans ces quatre
jardins, " [...] l'art, la nature et les idées s'intègrent
parfaitement pour créer des ensembles d'une immense beauté
et d'une paisible harmonie, et [qu'] ils font intégralement
partie du plan urbain historique ". Puis, en 2000, les jardins
suivants ont été ajoutés à la liste
du patrimoine mondial : Canglangting, Shizilin, Ouyuan (Couple retraité),
Tuisi (Retraite et Méditation) et Yipu (Art). Tous en font
partie pour les quatre raisons suivantes :
La philosophie de l'art paysager. L'architecture des jardins
de Suzhou a des origines historiques communes avec la littérature
et les beaux-arts chinois, particulièrement avec les peintures
des lettrés des Tang (618-907) et des Song.
L'excellence de leur espace de vie et d'habitation. Les
jardins de Suzhou intègrent la résidence familiale
et le paysage, tant pour les activités de la vie quotidienne
que pour le simple plaisir. Ce sont des îlots d'intimité
et d'harmonie dans un paysage urbain densément peuplé
et d'une beauté naturelle limitée.
La forte connotation de la culture sociale. Ces jardins sont
des porte-étendards de la philosophie chinoise. Appellation
des jardins, plaques d'identification des salles et sentences sur
les piliers, gravures et décorations ne sont pas que des
éléments décoratifs : ils constituent un véritable
trésor de richesses culturelles, philosophiques et scientifiques.
Certains éléments font référence au
confucianisme, au boud-dhisme et au taoïsme, alors que d'autres
préconisent des principes de vie et de culture de la personnalité.
Enfin, les calligraphies bien préservées de ces jardins
sont d'autres trésors culturels inestimables.
Le rôle de modèle en aménagement de jardins.
Les jardins de Suzhou démontrent la particularité
et l'avancement des Chinois dans le paysagisme. Ils sont aménagés
dans une zone restreinte en utilisant des techniques de contraste,
de repli et de panorama, alors que la partie révèle
le tout et que " le moins " appelle " le plus ".
Ils combinent des maisons, des tours et des pavillons dans un paysage
en miniature, pour créer un espace idéal de "
paysage urbain montagneux " et un " environnement amical
qui place l'homme en harmonie avec la nature ".
En fait, ces jardins sont généralement petits et délicats
et donnent l'impression d'une peinture. On y a mis l'accent sur
la possibilité de flâner dans un labyrinthe complexe
réservant des surprises à chaque détour. À
l'intérieur de ses limites, le jardin est si ingénieusement
aménagé qu'il donne un effet d'infini, d'où
la réputation de " vaste paysage condensé dans
un petit jardin. " Cet effet tient pour beaucoup aux différents
éléments qui le composent.
Les rochers. Dans les jardins de Suzhou, les rochers servent
à exprimer le monde de l'esprit humain. Ils symbolisent la
montagne et le principe de virilité, le courage et la force.
Les amoncellements de roches (provenant surtout du lac Taihu, à
quelque 30 km plus à l'ouest) y sont donc un paysage courant.
Ces rochers doivent être sveltes, naturellement troués
et ne pas retenir l'eau dans leurs cavités.
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Le jardin Wangshi (Maître
des filets ) |
L'eau. Elle est un élément opposé,
mais complémentaire au rocher. L'eau a une valeur esthétique
et une personnalité. Elle donne de la vie au jardin et de
la vigueur aux rochers. Puisque les jardins sont généralement
petits, la localisation des plans d'eau est habituellement très
bien pensée. Les étangs sont de forme irrégulière,
parsemés d'îlots et reliés par des petits ponts
pour que le regard embrasse un paysage varié. La source d'eau
et la décharge sont habituellement bien cachées dans
quelques baies, un peu comme pour faire appel à l'exploration.
Les plantes. La végétation donne au jardin
une vie particulière, de la vigueur et de l'intérêt.
Règle générale, les plantes révèlent
la personnalité du propriétaire. Les fleurs non seulement
agrémentent le paysage du jardin, mais elles le dotent en
plus d'une certaine vertu. Les fleurs et autres plantes qu'on y
trouve sont les suivantes : lotus, pommetier, pêcher, bananier,
laurier, liane, prunier, orchidée, bambou, chrysanthème
et pin.
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Le jardin Tuisi
(Retraite et Méditation) |
Le jardin Canglangting
(Pavillon des vagues) |
Le jardin Liuyuan
(Attardez-vous) |
L'architecture. Les jardins de Suzhou intègrent le
paysage et les résidences, et les bâtiments sont habituellement
les points clés du paysage. Pour mettre l'accent sur la beauté
naturelle, les constructions semblent fusionner avec les rochers,
l'eau et la végétation, comme pour former un tout.
À la différence des bâtiments grandioses des
jardins impériaux, les constructions des jardins de Suzhou
ne sont pas disposées dans un ordre donné, mais leur
décoration est tout aussi délicate et raffinée.
Qu'ils soient grands ou petits, ces jardins sont tous centrés
sur des salles, et celles-ci sont les sites principaux à
la fois des activités quotidiennes et des divertissements.
La plupart ont une véranda qui surplombe un plan d'eau ou
qui est située près de la reproduction miniature d'une
montagne. Dans les jardins, on trouve également des tours
et des pavillons qui permettent de profiter du panorama, ainsi que
des corridors longs et sinueux qui relient les différentes
zones. Les motifs courants des éléments de décoration
sont surtout des symboles de bon augure, de longévité
ou de prospérité. Toutes les décorations ont
une haute valeur artistique. Les piliers sont agrémentés
d'inscriptions ou de sentences parallèles dont les textes
consistent surtout en des citations de poèmes classiques
ou d'anecdotes qui s'intègrent bien à la scène
du jardin et illustrent son thème. Ces inscriptions et sentences
donnent une touche poétique au paysage. En outre, les corridors
sont habituellement décorés d'une série de
fenêtres treillissées entre lesquelles sont incrustées
des stèles reproduisant des calligraphies célèbres.
Les principaux sites
Couvrant environ 5 ha et ayant été construit en 1509
pour le censeur général Wang Xianchen, ce jardin est
le plus grand, le plus connu et le plus représentatif des
jardins classiques de Suzhou. Alors qu'il est considéré
comme la quintessence de tous les jardins de la Chine du Sud, sa
renommée doit beaucoup au plan méticuleux et à
la conception de Wen Zhengming, un grand peintre de l'École
de Wu (durant la dynastie des Ming). Ce jardin comprend un plan
d'eau qui occupe environ le tiers de sa superficie, et les principaux
bâtiments se trouvent sur ses rives. Le jardin comme tel est
divisé en trois zones : est, centre et ouest.
La zone centrale est la plus splendide, avec ses bâtiments
qui se dressent élégamment le long de l'eau. La zone
de l'ouest est séparée de la précédente
par un mur orné de fenêtres treillissées. On
y trouve le pavillon des Canards mandarins, placé sous le
signe de l'harmonie conjugale et de la fidélité entre
époux. Ce pavillon était un salon de musique. La zone
de l'est autrefois offre un angle de vue large et un espace moins
construit.
C'est un jardin de 2 ha construit de 1522 à 1566. Étant
donné sa beauté et son classicisme, il est considéré
comme un digne rival du jardin Zhuozheng. Il est composé
de différentes parties reliées par des corridors sinueux
qui ont plus de 700 m de long et qui sont ornés de plus de
300 stèles gravées de calligraphies célèbres.
La partie centrale est organisée autour d'un lac, et c'est
elle qui retient davantage l'attention. Le pavillon des Osmanthes
est l'endroit idéal pour avoir une vue d'ensemble du jardin.
La partie orientale se caractérise par ses bâtiments,
dont le plus imposant est la salle des Immortels et des Cinq Sommets,
avec ses ouvertures qui laissent voir un paysage naturel digne d'un
rêve : rochers aux formes bizarres et profusion de bambous.
Le bâtiment est entouré de plusieurs kiosques ayant
des fonctions différentes : banquet, opéra et lecture.
Les cours sont reliées par des corridors aux baies treillissées,
des portes et des passages qui contrastent les uns avec les autres
créent un complexe offrant une diversité d'aménagement.
Pour sa part, la partie occidentale fournit un bon exemple des collines
de terre parsemées de roches jaunes et couvertes d'érables.
Ce jardin a été construit durant la dynastie des
Qing par Song Zongyuan (un pêcheur) qui l'a nommé ainsi
pour exprimer son intention de s'y retirer en délaissant
la carrière politique. C'est l'un des plus petits jardins
de Suzhou, car il occupe seulement 0,53 ha. Cependant, son arrangement
compact et son élégance infinie en font le nec plus
ultra des petits jardins, un modèle illustrant que "
le moins " appelle " le plus ". L'est du jardin est
réservé à la résidence et aux pavillons.
Trois portes permettent d'accéder à la partie centrale
où s'étend le jardin proprement dit et dont le centre
est occupé par un plan d'eau propre et tranquille. L'aménagement
du plan d'eau, de même que celui de sa source et de sa décharge,
est un excellent exemple de l'art des jardins de Suzhou. Une galerie
conduit vers le kiosque de la Brise et de la Lune. C'est le meilleur
endroit pour admirer le clair de lune dans l'eau. Le jardin de la
Fin du printemps, situé dans la partie ouest, est considéré
comme un modèle de perfection et a été reproduit
au Metropolitan Museum de New York.
Le jardin
Huanxiushanzhuang |
Ce jardin ne couvre qu'environ 0,16 ha. Son attrait principal est
une montagne de calcaire qui a été conçue et
entassée par le grand maître en montagnes artificielles
Ge Yuliang (1764-1830). Le versant arrière de cette montagne
est en pente douce, alors que le devant est un empilement de pierres
qui imite des sommets élevés. Par ailleurs, à
l'intérieur, on trouve des grottes qui zigzaguent dans un
paysage des plus pittoresques. En face de la montagne se trouve
une maison à deux cours, et à l'est, il y a un étang.
Des petits sentiers sinueux relient le tout et réservent
des surprises à chaque pas. C'est un chef-d'uvre de
paysagisme.
C'est le plus ancien des jardins classiques de Suzhou, car il a
été construit durant la période des Cinq Dynasties
(907-960). Il occupe un peu plus d'un hectare, sans aucun mur pour
l'entourer, une conception unique parmi les jardins de cette ville.
Il est reconnu pour sa colline artificielle, le centre d'attraction
du jardin, autour de laquelle sont aménagés divers
pavillons et kiosques. À la cime de son plus haut sommet,
on trouve le pavillon du même nom. C'est l'un des plus réputés
en son genre dans la région du Sud du Yangtsé.
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Le jardin Shizilin (Forêt
du lion) (Les photos non signées sont de China Foto
Press) |
Il a été aménagé en 1342 par un moine
qui voulait ainsi honorer la mémoire de son maître,
un ermite qui a vécu à la falaise du Lion et y a fondé
l'École chan du bouddhisme. Ce jardin est renommé
pour ses labyrinthes de rochers qui ont été formés
par l'empilement de roches du lac Taihu. Ces rochers couvrent un
septième du jardin. Les bâtiments sont répartis
principalement dans l'est et le nord du jardin et sont reliés
par des corridors. Dans leurs murs sont enchâssées
plus de 70 stèles de calligraphies de grande valeur.
Ce jardin occupe moins d'un tiers d'hectare, mais son étang
donne l'impression d'être très vaste. Dans sa partie
nord, on trouve le pavillon de la Longévité, le plus
grand pavillon de bord de l'eau des jardins de Suzhou, et encore
au nord de celui-ci, c'est la salle de l'Érudition, là
où le propriétaire et ses amis tenaient leur dégustation
de thé.
C'était le jardin de Shen Bingcheng, un ancien gouverneur
de la province de l'Anhui sous les Qing. Son nom lui vient du fait
qu'il est constitué de deux jardins latéraux. Il occupe
quelque 0,8 ha. Son jardin de l'Est a comme point principal une
colline de rochers de pierres jaunes ayant des pics élevés
et abrupts d'un côté et un versant en pente douce de
l'autre. Cette colline est représentative de celles en pierres
jaunes que l'on trouve dans la région du Sud du Yangtsé.
Ce jardin a été construit en 1877 par Ren Lansheng,
un gouverneur militaire de la dynastie des Qing. Par le nom du jardin,
ce personnage a voulu exprimer sa " méditation sur ses
fautes après avoir subi une rétrogradation ".
Le jardin occupe 0,66 ha et l'espace est agencé de manière
raffinée. La partie occidentale forme la zone résidentielle,
alors que le centre est occupé par des cours flanquées
de différents bâtiments tels que tours, pavillons et
salles. Cette section compte également un bateau en pierre
et des rochers parsemés de fleurs. La partie orientale, surnommée
le " jardin dans le jardin ", offre un pavillon qui surplombe
le plan d'eau, des corridors en zigzag et le bâtiment principal.
Ce dernier est la salle de la Retraite et de la Méditation,
d'une élégance toute simple.
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