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Une Longue Marche au Tibet

XI WEN

«À quoi ressemble vraiment le Tibet? » En tant qu’artiste qui aime le Tibet, le Pr Qiu Zhijie se pose souvent cette question et il la pose également aux gens autour de lui. « Certains espèrent que ce plateau sera toujours attaché à ses anciennes traditions pour qu’ils puissent prendre des photos sur lesquelles on retrouve la beauté originelle de l’endroit, soupire le professeur. Ils détruisent la photo si un poteau y apparaît. Pour ces gens, le Tibet est synonyme de ciel bleu, de paysages de plateau à couper le souffle et de costumes ethniques locaux. Leur image de la région autonome est basée sur les livres, les photos et les peintures, plutôt que sur l’expérience personnelle. »

L’image stéréotypée d’une terre vierge

Ciel, installation photographique de Sun Datang

Paru en 1933, le livre à succès Lost Horizon de James Hilton a dépeint le Tibet comme un Shangri-la une terre idyllique au creux de montagnes aux cimes enneigées, peuplée de personnes aux différentes croyances, mais qui vivent dans la paix et l’harmonie. Cette image est souvent reprise dans les peintures sur le Tibet. Ainsi, pour beaucoup de personnes de l’extérieur, cette région est symbolisée par des formes d’art traditionnel telles que pierres mani (amas de pierres gravées de prières bouddhiques à six syllabes), drapeaux de prière (pièces de tissu carrées, peintes de visage du Bouddha et de soutras), moulins à prières, dagoba et opéra tibétain.

Dans l’imaginaire populaire, ces symboles ont aidé à identifier le Tibet comme un lieu pur et sacré. Et, bien que les touristes aient afflué au plateau depuis l’ouverture (le 1er juillet 2006) du chemin de fer Qinghai-Tibet, pour beaucoup, le Tibet ne correspond qu’aux images d’enfants aux joues roses et aux grands yeux, de personnes âgées ridées tournant des moulins à prières et de yacks sauvages qui broutent dans des prairies sans poteaux télégraphiques.

Fervent promoteur d’une image réaliste du Tibet, le Pr Qiu a décidé d’essayer de rectifier cette vision populaire. En avril 2006, il s’est rendu au Tibet avec une quarantaine d’étudiants de l’Académie des Beaux-Arts de Chine (de la province du Zhejiang). Ils ont passé un mois et demi sur le plateau et ont produit le rapport : Le vrai Shangri-la : Recherche sur les peintures relatives au Tibet.

« Je voulais que mes étudiants mettent leur image du Tibet à jour. Nous sommes donc allés chez des Tibétains pour demander leur avis », explique le peintre. La recherche comportait deux étapes. D’abord, le Pr Qiu et ses étudiants ont rassemblé de vieilles peintures et les ont comparées à d’autres indices culturels pour évaluer si les œuvres d’art interprétaient bien la réalité tibétaine. En deuxième étape, les étudiants ont peint sur place et ont demandé aux gens locaux d’apporter leurs commentaires.

Ce projet a été intitulé « Longue Marche au Tibet ». En effet, le Pr Qiu considère que le processus de réinterprétation de l’histoire et de changement des perceptions des gens n’est pas étranger au laborieux voyage de la Longue Marche. Les défenseurs du projet ont considéré que, pour les artistes, c’était une bonne occasion de secouer les clichés hérités de leurs prédécesseurs sur le prétendu Shangri-la. « Si nous ne pouvons pas nous débarrasser complètement des stéréotypes enracinés dans nos esprits, au moins, nous pourrons être alertes par rapport à leurs effets », indique le Pr Qiu.

Rayons ultraviolets, art vivant de Zhang Yang
Plus haut de 3 000 m, installation vidéo de Liu Jiajing Le résultat final des rayons ultraviolets, art vivant de Zhang Yang ----------Photos : Espace Longue Marche Une Tibétaine et ses peintures traditionnelles

Une image différente du Tibet

Les images et les symboles habituels associés au Tibet nous disent peu sur la vie contemporaine. En étudiant l’art concernant la région, les étudiants qui accompagnaient le Pr Qiu ont découvert que les peintres étaient souvent influencés par les idéologies de leur temps. « Ils ont constaté que beaucoup de peintures sur le thème du Tibet appartiennent à des catégories évidentes de préoccupations, dont le développement à l’époque contemporaine, une nation unie, le culte d’une vie primitive et une attitude antimoderne », déclare le Pr Qiu. Ces œuvres touchent souvent la culture populaire, la culture révolutionnaire, la culture nationale et l’industrie du tourisme moderne plutôt que la vraie vie au Tibet.

Au cours des trois dernières décennies, le Tibet, comme le reste de la Chine, a connu de grands changements durant la réforme économique. Les moines utilisent des téléphones cellulaires, conduisent des motocyclettes et font des recherches dans Internet. Sur la rue Barkhor (une rue commerçante animée de Lhasa), la plupart des objets d’artisanat tibétain vendus aux touristes proviennent de Yiwu, une ville manufacturière célèbre de la province du Zhejiang (Chine de l’Est).

« Avant d’aller au Tibet, je pensais que tous les Tibétains étaient purs, conservateurs et religieux », dit la jeune Liu Jiajing, une des personnes qui ont visité la région avec le Pr Qiu. Au lieu de cela, elle a découvert que la vie des gens de là-bas n’était pas tellement différente de celle des Chinois d’ethnie han, car dans ce Shangri-la, les gens travaillent aussi dur pour se débarrasser de la pauvreté et avoir une vie moderne un peu plus riche.

Elle avoue avoir rencontré peu d’étudiants portant des costumes traditionnels; les bérets et l’allure hip-hop sont plus courants parmi eux. Même dans les villes plus reculées, les employées des hôtels passent leurs soirées de loisirs dans les discos locales. Les pasteurs rêvent de vivre dans les villes ou à proximité, et peu de Tibétains sont étrangers à Internet. Avec les visiteurs, les étudiants et les moines préfèrent échanger leur identification MSN plutôt que de discuter des styles de vie traditionnels.

Liu Tian, un autre étudiant du Pr Qiu, a commenté en ces termes l’attitude des Tibétains par rapport à l’art : « Ici, les gens se préoccupent de l’image elle-même. Ils aiment les scènes naturelles. Alors, dans les peintures qui reflètent des personnages et des événements, ils prêtent plus d’attention au réalisme de la scène qu’à la technique de l’artiste. »

Hu Yun, un de ses camarades, ajoute : « Par rapport à nous, les Tibétains voient les arts d’une manière différente. » Profondément impressionné par les commentaires des gens locaux sur ses peintures, il poursuit : « Pour nous, le dicton ‘‘L’art est enraciné dans la vie, mais n’est pas la vie’’ est un élément de la sagesse populaire, de sorte que nous ne nous inquiétons pas beaucoup de savoir si les œuvres sont fidèles à la réalité. Mais pour les Tibétains, de fervents bouddhistes, l’art devrait être une véritable image de la vraie vie. »

Le Pr Qiu attache une grande importance au rapport que ses étudiants et lui ont compilé. Il espère que ce document contribuera, au moins un peu, à forger une vision plus réaliste et plus nuancée du Tibet actuel où coexistent modernité et tradition.

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