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Statuette en cuivre des Song
(960-1279) dont le corps est marqué de 666 points d'acupuncture |
Lhéritage des Cheng en acupuncture
LUO YUANJUN
Pratiquée en Chine depuis plus de 2 500 ans, lacupuncture
continue de dérouter les médecins occidentaux. Cette
technique ancienne de traitement soccupe des maladies qui
ne répondent pas à la médecine moderne. Elle
est basée sur le principe suivant : piquer des points le
long des méridiens la voie le long de laquelle circule
l'énergie vitale du corps, le qi. Lexistence de ces
méridiens na pas encore été établie
par la médecine occidentale, mais l'efficacité de
l'acupuncture est indéniable.
L'acupuncture est acceptée et appliquée dans beaucoup
de pays. Cependant, en dépit de sa réputation montante
dans le monde, son étude et son utilisation en Chine, tout
comme d'autres aspects de la médecine traditionnelle chinoise
(MTC), enregistrent un sérieux déclin. Aujourdhui,
la décision de devenir acupuncteur ne peut être prise
que par des gens qui sentent une vocation. En effet, l'acupuncture
fournit à peine le moyen de rentabiliser une pratique médicale.
Les Cheng, trois générations dacupuncteurs,
le savent mieux que quiconque.
De minuscules aiguilles qui font des miracles
Les représentants des trois générations de
Cheng le grand-père Cheng Shennong, le père
Cheng Hongfeng et le fils Cheng Kai sont tous reconnus par
les connaisseurs comme de grands maîtres de lacupuncture.
Ayant grandi à différentes époques, ils ont
chacun leur perception de la profession. Cependant, tous les trois
se consacrent à lacupuncture et sont convaincus de
son efficacité.
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M. Cheng Shennong |
Lacadémicien Cheng Shennong, de l'Académie
dingénierie de Chine, est admiré pour la rapidité
avec laquelle il trouve les points appropriés dacupuncture
quel que soit le problème. Son application habile de huit
à dix aiguilles en une minute accélère le soulagement
et le rétablissement.
Après 60 ans de pratique dacupuncture, ce grand-père
Cheng a beaucoup d'anecdotes à raconter sur son travail.
Lune dentre elles remonte à la fin des années
1970 et concerne une soirée quil a passée au
logement d'un paysan local pendant une tournée de service
médical dans la province du Shanxi. La fille de ce paysan
souffrait d'un tremblement persistant de la tête. Aucun des
traitements qu'elle avait essayés navait pu la guérir
de cette maladie affligeante. Sitôt près avoir posé
quelques questions, M. Cheng a piqué deux aiguilles dans
le cuir chevelu de cette jeune femme et, après qu'ils eurent
dîné, il les a retirées. Après trois
traitements, le tremblement avait cessé.
Dans les années 1980, la réputation de Cheng Shennong
sest répandue à l'étranger. Une Indienne,
qui était responsable de trois hôpitaux, est venue
le consulter alors quelle était en désespoir
de cause. Elle souffrait de violentes migraines depuis 17 ans. À
sa grande joie, même si elle restait incrédule, ses
maux de tête ont pris fin seulement une journée après
la première session d'acupuncture. Après 19 autres
traitements, le mal de tête était complètement
disparu et nest jamais réapparu.
Les trois Cheng ont tous accompli des « miracles »
comme ceux-ci au cours de leur carrière. Lun a été
« accompli » par Kai, le plus jeune des maîtres
acupuncteurs Cheng. Il assistait à une fête quand lun
de ses camarades, lui-même un doctorant en MTC, parla à
Kai du tressaillement de ses muscles dorsaux. Les contrôles
médicaux conventionnels n'avaient rien décelé,
et les diverses thérapies alternatives qu'il avait essayées
navaient rien changé. La gravité de son inconfort
l'avait souvent empêché de dormir. Kai lui a alors
suggéré de pratiquer l'acupuncture à certains
points particuliers. Après que son camarade de classe eut
appliqué les aiguilles selon les instructions explicites
de Kai, ces tressaillements ont cessé pendant une semaine
entière.
Le jeune Cheng Kai précise que la médecine traditionnelle
chinoise et la médecine occidentale ont beaucoup en commun.
Par exemple, la pratique occidentale de laisser sortir le sang du
lobe de loreille d'un patient pour soulager une fièvre
postopératoire est également une caractéristique
de l'acupuncture chinoise. Il constate que plusieurs médecins
occidentaux qu'il rencontre sont ouverts à la MTC. L'attitude
courante est la suivante : « Pourquoi dire non à un
traitement dont l'effet est si évident? »
En 1979, lOMS a approuvé l'utilisation de l'acupuncture
pour le traitement de 43 symptômes, notamment ceux des voies
respiratoires, du tube digestif, des systèmes nerveux, musculaire
et squelettique, ainsi que pour les yeux. À la conférence
de lOMS qui sest tenue en 1996 à Milan, en Italie,
lapprobation de l'acupuncture a été étendue
au traitement de 64 symptômes observés. Aujourdhui,
lacupuncture est reconnue à travers le monde comme
une méthode efficace de soulagement de la douleur dans les
cas de maux de tête, du sciatique et de la dysménorrhée.
Cheng Kai peut témoigner de leffet curatif et préventif
de l'acupuncture dans le cas de nombreux autres maux. Ainsi, il
donne l'exemple suivant : « Quand je sens quun rhume
est en préparation, j'applique une aiguille et le rhume ne
se développe pas. »
En tant que traitement naturel, l'acupuncture est exempte d'effets
secondaires et constitue une alternative sûre à la
médecine courante. Alors que la médecine occidentale
tue aussi bien les cellules saines que les cellules malades, les
aiguilles manipulées avec compétence ne laissent aucune
toxine et ne causent aucun dommage à lorganisme. Dans
ce contexte, lOMS a recommandé que l'acupuncture soit
étudiée et employée en lien avec la science
médicale moderne.
L'acupuncture cherche sa voie dans un environnement moderne
Bien que le président Mao Zedong ait fait léloge
de la MTC en disant quelle était une « contribution
importante au monde », la pratique et le parrainage de cette
médecine ont diminué au cours des dernières
décennies. En Chine, le nombre de praticiens de MTC est passé
de 800 000, au début du siècle dernier, à 500
000 en 1949. On en compte maintenant un peu moins de 270 000. La
compétence collective de ce groupe limité a été
également affaiblie avec la disparition de doyens parmi les
maîtres.
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M. Cheng Hongfeng |
Dun point de vue optimiste, il semble peu probable que lacupuncture
séteigne, en dépit du déclin de la MTC.
Selon des statistiques incomplètes, il y a plus de 100 000
acupuncteurs enregistrés dans quelque 130 pays. Cependant,
ce qui est vraiment préoccupant, cest que la plupart
de ces praticiens sont peu formés aux quatre méthodes
traditionnelles de diagnostic : observation, auscultation et olfaction,
interrogation et analyse du pouls. Au lieu de cela, ils ont recours
à des appareils diagnostiques modernes. Le fait que l'acupuncture
abandonne ces aspects essentiels et la tradition de la MTC dans
son ensemble a des conséquences graves sur la dynamique de
son développement.
Beaucoup attribuent aux changements du système d'éducation
le fait que la MTC soit éclipsée par la médecine
occidentale. En MTC, par tradition, les compétences étaient
transmises de père en fils ou de maître à disciple.
Cette façon de faire assurait la plus grande interaction
entre le tuteur et l'étudiant. Cest à lâge
de 11 ans que lacadémicien Cheng Shennong a appris
les classiques médicaux auprès de son père.
À 16 ans, il a étudié sous Lu Muhan, un spécialiste
renommé de la Chine du Sud. Et Cheng Hongfeng, son fils aîné,
a également adopté cette profession à la suite
des cours que lui a donnés sa famille. Cependant, les choses
ont commencé à changer après la naissance de
Cheng Kai.
En 1990, le jeune Cheng Kai a été admis à
l'Université de la médecine chinoise, à Beijing.
Fondée en 1956, cette université a, en 2000, été
incorporée à l'Institut d'acupuncture et de traitement
des blessures osseuses, aussi de Beijing. Le jeune Cheng a passé
dix ans sur le campus avant d'obtenir son doctorat. Réfléchissant
sur son parcours, il commente : « C'est sous l'influence de
ma famille que j'ai développé un intérêt
pour l'acupuncture et que jai désiré adopter
cette profession. Les tuteurs et les praticiens plus âgés
ont soutenu ma confiance dans la MTC chaque fois que son efficacité
par rapport à la médecine occidentale était
remise en question. »
Cheng Kai apprécie lampleur des connaissances médicales
que sa scolarité lui a donnée. « Pendant mes
cinq années d'étude pour obtenir la licence, j'ai
appris les fondements autant de la médecine chinoise que
de la médecine occidentale, ainsi que ceux d'autres sciences
modernes connexes. Les cinq années que jai passées
pour obtenir ma maîtrise et mon doctorat ont constitué
un apprentissage. J'ai alors appris par l'observation comment détecter
et résoudre des problèmes et comment approfondir ma
perspicacité. »
Mais c'est une tout autre histoire pour ses pairs qui uvrent
dans le domaine et qui nont pas de maître dans leur
famille pour les guider. Les étudiants qui préparent
une licence en MTC passent cinq ans à l'université.
Pendant ce temps, ils doivent suivre tout le programme d'études
de la médecine chinoise et de la médecine occidentale.
En conséquence, ils ne sont spécialisés ni
dans l'une ni dans l'autre. Ceci inquiète Cheng Shennong
: « Une licence en acupuncture est en réalité
un mélange à doses égales de MTC et de médecine
occidentale. »
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M. Cheng Kai |
En plus, les futurs acupuncteurs ne font quun an d'internat.
C'est insuffisant pour une technique dont le succès dépend
en grande partie de la pratique. Pire encore, il est difficile de
se spécialiser en acupuncture après avoir obtenu le
diplôme, car le réseau hospitalier existant est dominé
par la médecine occidentale. Ébranlés par les
désaccords entre les approches médicales orientales
et occidentales et frustrés par les faibles revenus que procure
la pratique de la MTC, beaucoup de diplômés l'abandonnent
en faveur de la médecine occidentale.
Dans l'étude de l'acupuncture et de la MTC en général,
comprendre est plus important que lire. On ne peut arriver à
une compréhension approfondie que par des années détudes
et d'expériences. Un professeur qui donne un cours devant
une pleine classe détudiants est bien loin dêtre
aussi efficace que l'approche traditionnelle dapprentissage
« père-fils/maître-disciple ». Le jeune
Cheng propose donc que, pour les programmes d'études courants
avec spécialisation en acupuncture, une plus grande part
de cours portent sur la MTC et quon prodigue un enseignement
de personne à personne durant les dernières années
d'université.
Lutte pour la survie et la croissance
« Mon grand-père a traité des milliers de patients
pendant ses 60 années de pratique comme acupuncteur. Je n'ai
aucun moyen de dépasser ce nombre », déplore
Cheng Kai. Il se rend compte de lénorme demande pour
la MTC en Chine et dans le monde, et quune mince fraction
de cette demande peut être satisfaite en raison du peu dappui
dont profite cette médecine.
Pour les collectivités à travers la nation, beaucoup
d'experts en MTC préconisent des chaînes de cliniques
appliquant exclusivement la MTC pour ce qui est des méthodes
de diagnostic et de traitement. Ces cliniques auraient un personnel
composé de praticiens jeunes et dâge moyen, et
des doyens seraient là pour agir en tant que conseillers.
Les télécommunications modernes, en particulier Internet,
permettent de faciliter la supervision et l'échange des idées.
De telles cliniques de MTC seraient exploitées sur la base
dun faible coût et de frais minimums. Elles offriraient
aux habitants locaux un accès plus facile aux soins et les
diplômés en MTC profiteraient de débouchés
d'emploi et auraient ainsi la chance de prendre de lexpérience.
Ce système libérerait la MTC de sa dépendance
à l'égard de la médecine occidentale et élèverait
son niveau clinique.
Cheng Kai a contribué à létablissement
dune telle chaîne. « Actuellement, les mérites
de la MTC sont inextricablement liés avec les quelques centaines
de maîtres âgés de MTC en Chine. Puisque leur
nombre diminue d'année en année, il est devenu impératif
de forger, pour la MTC, une marque qui n'est pas liée à
un individu. Une chaîne de cliniques de MTC est une alternative
viable. » Ces cliniques peuvent fournir des services médicaux
normalisés et fonctionnels dans les secteurs où la
MTC est le plus efficace. Elles sont également adaptées
aux attentes contemporaines en matière de confort et de décor.
C'est la seule manière par laquelle ce savoir traditionnel
puisse se transmettre plus largement.
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