Voyage dans d’autres mondes
LOUISE
CADIEUX
Shijiazhuang,
ce n’est pas le premier choix de la plupart des voyageurs, mais
pour quiconque veut sortir des sentiers battus et de la foule
des sites renommés, les environs de la capitale provinciale du
Hebei offrent des sites agréablement surprenants.
Moins de trois heures de train permettent de quitter le monde animé
de Beijing et darriver à Shijiazhuang, le monde de
la province, encore différent de celui de la capitale, même
sil aspire fort à y ressembler.
Aujourdhui, cette ville na plus limportance stratégique
dautrefois, sauf celle dêtre un carrefour important
de communication ferroviaire; certains disent même que son
économie tire de larrière par rapport à
dautres villes sous sa compétence administrative. Toutefois,
ses alentours offrent un riche témoignage de son influence
passée, ce qui ne peut que ravir les amateurs de culture
et de vestiges historiques.
Zhengding : un monde de temples et de pagodes
Cette ville emmurée, située à seulement 18
km de Shijiazhuang, est le point de mire de la région. En
plus de ses remparts, elle offre des pagodes, temples et portails
qui témoignent de la culture religieuse qui y prospère
depuis plus dun millénaire. Fait important, Zhengding
est lun des berceaux de lécole zen du bouddhisme,
appelée Chan en Chine.
Son temple le plus célèbre est le temple Longxin
ou temple du Grand Bouddha, dont la construction remonte à
586. Dans la salle Dabei, son bâtiment principal, se dresse
une statue en bronze de Guanyin aux mille mains. Cest le cur
et le symbole du temple Longxin. En fait, cette statue de 21,3 m
de haut, taillée en 971, comporte 42 bras, et chaque main
tient un instrument rituel qui symbolise le pouvoir de sauver toutes
les créatures vivantes de leurs souffrances. Un escalier
permet au visiteur davoir accès à des galeries
qui entourent la statue et qui en donnent une vue splendide de très
près sur toute sa hauteur, et même de haut en bas.
Dautres uvres dart sont également dignes
de mention : une sculpture en bois du corpulent Bouddha Maitreya,
appelé Bouddha avec un sac, populaire durant la dynastie
des Jin (1115-1234); une sculpture colorée de Guanyin, dans
une posture appelée lalitasana, qui a été taillée
durant les Ming (1368-1644) et qui est un chef-duvre
des sculptures colorées en Chine; un bouddha à deux
faces en bronze (lune est Amitabha et lautre le bouddha
de la médecine) assis sur une base en bois; et finalement,
une statue de Maitreya, datant des Song (960-1279), qui a été
taillée à partir dun seul tronc darbre
provenant du mont Wutai, un célèbre mont bouddhique
en Chine.
On ne peut manquer dêtre ébahi à la vue
du Tripitaka (collection de sutras bouddhiques) tournant du pavillon
Zhuanlunzang. Cest une énorme bibliothèque octogonale
tournante. Fabriquée en bois, elle a 6,9 m de diamètre
et est ornée de deux avant-toits. On dit que cest le
plus ancien Tripitaka tournant en bois de Chine. Il mérite
vraiment son titre de « petit ouvrage précieux en bois
de la dynastie des Song ».
Au temple Kaiyuan, trois sites sont des incontournables pour le
visiteur : le campanile, la pagode Xumi et lénorme
pixiu, un genre danimal mythique qui porte habituellement
une stèle sur son dos. Le pavillon à deux étages
servant de campanile est le seul exemple existant des campaniles
de la dynastie des Tang (618-907). En son centre se trouve un puits
rond, situé juste au-dessous dune grosse cloche en
bronze, suspendue du deuxième étage; le puits joue
un rôle de résonance pour cette cloche ayant 2,9 m
de hauteur, pesant près de onze tonnes et dont le son peut
être entendu à des dizaines de kilomètres à
la ronde.
La pagode Xumi est un exemple des pagodes en brique du début
des Tang. Construite en 636, cest la plus ancienne pagode
de Zhengding. Avec ses 48 m, cest aussi la plus haute. Avec
son architecture toute simple, elle évoque la Petite Pagode
de lOie sauvage, à Xian.
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Pagode Xumi |
Pagode Chengling
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Pagode Lingxiao |
Pagode Hua |
Le pixiu, qui semble accroupi depuis toujours sur les terres du
temple Kaiyuan, ny séjourne en réalité
que depuis lan 2000. Cette année-là, ce gigantesque
animal en pierre a été déterré dans
une rue de Zhengding où lon procédait à
des travaux de réfection.
La pagode Lingxiao du temple Tianning est également un ouvrage
des Tang. Construite en 779, cette pagode de 40,9 m en brique et
en bois est surnommée la « pagode en bois »,
en raison de sa structure fabriquée principalement dans ce
matériau. Au 5e étage de la pagode, il y a un pilier
en bois qui se dresse jusquau sommet. Étage après
étage, huit piliers secondaires rayonnent du pilier central
vers les avant-toits. Cette structure est différente des
autres pagodes en bois.
La pagode Hua se dresse sur le site de lancien temple Guanghui.
Son style indien se démarque vraiment des autres. Elle est
décorée de lions, déléphants,
de bouddhas et de diverses créatures aquatiques. Sa base
en brique octogonale est surmontée détages circulaires,
coiffés dune structure conique. On dit quelle
est lune des pagodes en brique ayant la sculpture la plus
raffinée en Chine. À vrai dire, même quand on
en a vu plusieurs autres, il est difficile dêtre en
désaccord avec cette affirmation.
Finalement, la tournée des pagodes se termine par la pagode
Chengling du temple Linji, appelée communément la
pagode grise. Cette architecture élégante est en brique
grise sculptée. Considérée comme lun
des berceaux du bouddhisme zen, la pagode est un haut lieu de pèlerinage
pour les bouddhistes japonais.
Avant de quitter Zhengding, il ne faut pas manquer de sattarder
sur ses remparts qui offrent un beau panorama de ces pagodes anciennes
qui se dressent parmi les nouveaux édifices et qui donnent
à la ville son cachet particulier. Les plus curieux ou ceux
qui ont davantage de temps peuvent également admirer les
1 405 caractères chinois inscrits sur la stèle Fengdong
qui se dresse près dun trottoir dune rue passante.
Les experts en vantent lexcellence littéraire ainsi
que la vigueur de la calligraphie.
Cangyanshan : un monde de raretés
Une deuxième journée dans la région permet
de visiter Cangyanshan, une zone pittoresque située à
quelque 60 km de Shijiazhuang. Forêts, vallées et falaises
parsemées de temples et de pavillons vous y attendent. En
été, il est facile de sy rendre, car des minibus
font directement la navette entre Shijiazhuang et la région.
Durant la saison morte, le voyage est plus compliqué, car
il faut dabord prendre un minibus qui va de Shijiazhuang à
Weishui et de là, en prendre un autre jusquà
destination. Les plus pressés doivent noter quil faut
toutefois attendre que ce dernier soit plein (ou bondé!)
avant de partir; mais quils se rassurent, en Chine, on na
jamais à attendre bien longtemps avant que cela ne se réalise
(45 min, dans notre cas!).
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Temple au mont Cangyan |
Cangyanshan est un endroit calme, couvert de cyprès, mais
qui senorgueillit aussi dabriter des arbres rares :
des bois de santal blancs et des jujubiers à fruits noirs.
Mais le plus impressionnant, cest sans contredit un pavillon
à double toit, construit sur un pont à arche de pierre
datant de 1 500 ans, lequel relie deux falaises et surplombe donc
un précipice. Ce bâtiment bizarre date de la dynastie
des Sui (581-618). Voir de ses yeux cet exploit architectural vaut
à lui seul le déplacement. Beaucoup de touristes se
demandent comment les ouvriers ont bien pu réussir à
construire ce pont. Le secret tient dans lingéniosité
des ouvriers. On dit que, durant lété et lautomne,
ils auraient empilé des troncs darbres dans le précipice
jusquà ce que cet amas eut atteint la hauteur désirée.
Puis, lhiver venu, ils auraient arrosé ces troncs darbres
pour quils se figent dans un immense banc de glace, ce qui
leur aurait permis de construire le pavillon. Au printemps, ils
auraient alors enlevé les troncs darbres pour ne laisser
place quau pont
et aux nombreuses questions quil
suscite! Les visiteurs peuvent atteindre ce palais suspendu après
avoir gravi quelque 300 marches. La montagne offre également
dautres sites dintérêt (quoique moins spectaculaires),
ce qui garantit une belle journée dans la nature.
Zhaoxian : un monde du passé
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Le pont Zhaozhou |
Il y a longtemps que je voulais examiner de près le pont
Anji, ou Zhaozhou, qui enjambe la rivière Jiao depuis 1 400
ans, car cest le plus vieux pont encore en usage en Chine.
Cest aussi le premier pont à segments (son arc est
un segment de cercle au lieu dêtre un demi-cercle complet)
à avoir été construit dans le monde. En effet,
son plus proche rival, le Ponte Vecchio de Florence, a 800 ans de
moins. Le séjour à Shijiazhuang était donc
loccasion idéale de my rendre, puisquil
est situé à Zhaoxian, à 40 km au sud-est de
la capitale provinciale.
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Stèle présentant
la construction du pont Anji. |
Premier constat : lenvironnement bucolique du pont, tel que
je lavais vu dans les livres, a quelque peu disparu et a été
remplacé par un grand parc aménagé donnant
accès au pont et pour lequel on exige un droit dentrée
relativement élevé de 35 yuans. Il faut croire que
la restauration et laménagement ont un prix!
Deuxième constat : le pont est bel et bien là et
ses balustres sont magnifiquement sculptés, mais à
tort ou à raison, elles mont semblé offrir une
apparence de jeunesse, tout comme son tablier dailleurs. Je
ne sais pas si la blancheur de la pierre calcaire témoigne
dune restauration récente, mais je dois avouer quaprès
avoir foulé ce pont, javais un peu perdu mes illusions
quant à limage que jen avais auparavant.
Néanmoins, cette désillusion ne diminue en rien les
hauts faits architecturaux de ce pont millénaire. En effet,
son arc central, formé de 28 dalles minces recourbées
qui sont jointes par des queues-d'aronde en fer, permet au pont
de ne jamais seffondrer, même si un segment de son arc
venait à briser. De plus, le pont dispose de deux petits
arcs latéraux qui ont deux fonctions bien précises
: ils réduisent le poids total du pont denviron 700
tonnes, ce qui est crucial en raison de son rapport hauteur/travée
de 1:5 (la normale est de 1:2) et de la pression que cela induit
sur ses butées; puis, en cas de grosses crues, leau
peut sengouffrer au travers de ces arcs et réduire
la pression sur sa structure. Depuis sa construction, ce pont, conçu
par Li Chun, un artisan des Sui, a résisté à
dix inondations, huit batailles et à quantité de séismes,
dont un de plus de 7,2 sur léchelle de Richter, en
1966.
Ce pont a été plongé dans loubli pendant
longtemps, mais sa renommée sétend maintenant
de plus en plus. Le jour de ma visite, les visiteurs ne manquaient
pas. Les gens de lendroit semblent avoir compris la valeur
touristique de leur pont. Espérons que ce dernier pourra
résister encore longtemps à ses nouveaux assauts :
ceux que causent les touristes et la pollution quils engendrent
trop souvent.
Transport :
Pour Shijiazhuang. De
Beijing, le train T 511 vous y conduit directement.
Pour Zhengding. De Shijiazhuang,
prendre le minibus 201 sur la rue Daocha Jie, au sud de la
gare dautocars et de la gare de trains. Départs
très fréquents.
Pour Cangyanshan.
En haute saison, des autocars y vont directement le matin
à partir de la gare Dongfang de Shijiazhuang. En basse
saison, de cette même gare, prendre un minibus vers
Weishui et y transférer vers Cangyanshan.
Pour Zhaoxian. Prendre
le bus 3 de la gare dautocars Huaxia de Shijiazhuang.
À Zhaoxian, prendre un sanlunche (taxi moto à
trois roues) pour se rendre au pont.
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