L'opéra de Pékin
:
à voir ou à écouter?
INESA PLESKACHEUSKAYA
Lors dune soirée au théâtre, si vous
êtes assis à une table plutôt que dans une rangée
de sièges, si vous buvez lentement votre thé et que
vous mangez des cacahuètes alors que vos voisins tapent du
pied et manifestent leur appréciation, il est probable que
vous assistiez à une représentation d'opéra
de Pékin.
De nos jours, plusieurs théâtres de Beijing offrent
des représentations quotidiennes d'opéra de Pékin
à lintention des touristes occidentaux. Celles-ci sont
généralement des pastiches dextraits dopéras
célèbres comportant des acrobaties, des arts martiaux
et peu dairs dopéra. Les Chinois passionnés
d'opéra lèvent le nez sur ce genre de représentations
en alléguant leur manque d'authenticité artistique,
et ils considèrent les Occidentaux qui apprécient
tant des opéras si « militaires » comme des enfants
attardés, ignorants du degré artistique dont est imprégné
l'opéra de Pékin. Les connaisseurs ayant une véritable
expertise de cet art du spectacle ont appris chaque jeu par cur.
Dailleurs, ils ferment souvent les yeux juste avant le passage
particulièrement difficile d'une aria, car ils préfèrent
écouter plutôt que regarder ce qui est présenté.
Les piaoyou et leur monde
Depuis que lopéra de Pékin existe, les piaoyou
(acteurs amateurs) en sont des passionnés. Ce sont généralement
des gens qui consacrent leur temps libre à cet opéra.
Dans la Chine ancienne, ils présentaient souvent des représentations
en amateur. L'attachement quun piaoyou a pour lopéra
de Pékin peut se comparer à celui des fervents du
football daujourd'hui. En plus de manifester leur appréciation
lors des représentations, ils se jettent également
dans la mêlée après une représentation
particulièrement bien réussie et organisent des célébrations
pour honorer la virtuosité des acteurs. Cest triste
à dire, mais de nos jours, il est difficile de trouver de
véritables piaoyou.
Pourtant, certaines de leurs traditions perdurent, et l'une d'entre
elles consiste à tenir des réunions les piaofang
dans la maison de lun des piaoyou ou dans un
endroit public. Allez dans n'importe quel parc public, et à
partir de 9 h (plus tôt en été), vous verrez
des piaoyou réunis en piaofang et en train
de chanter. Ce sont généralement des gens âgés.
Ils se réunissent, quelles que soient les rigueurs de la
saison. La vie, pour eux, cest de chanter de l'opéra
de Pékin.
Les passionnés d'opéra de Pékin peuvent identifier
un opéra simplement par le masque dun de ses personnages.
Guan Yu est un personnage populaire dans le théâtre
et dans l'histoire de la Chine. Les acteurs qui linterprètent
ont le visage peint en rouge; cela exprime le caractère sincère
et humain du personnage. Pour sa part, Bao Zheng, le juge le plus
célèbre du Royaume céleste et qui est un personnage
courant de l'opéra de Pékin, a un visage distinctif
peint en noir.
Les décors de scène de l'opéra de Pékin
sont réduits au strict minimum. Ils ne comportent souvent
qu'une table et deux chaises, mais ces modestes accessoires évoquent
on ne peut mieux le scénario. Afin de bien saisir les nuances
de lopéra de Pékin, vous devez être habile
à lire entre les lignes. Vous découvrirez alors que,
si la table et les chaises portent un genre de cantonnières
brodées dun dragon en vol, la scène se passe
dans un palais impérial; si elles sont bleu clair ou vertes,
brodées dorchidées, on se trouve dans une salle
détude; si elles portent des images et des couleurs
grandioses et majestueuses, elles évoquent un camp militaire;
et si elles arborent des couleurs lumineuses et voyantes, l'action
a lieu dans une taverne.
La façon dont la table et les chaises sont agencées
a également son importance. Des chaises placées à
la table signifient une situation de cérémonie : un
empereur qui accorde une audience; un général qui
convoque une réunion militaire; ou des fonctionnaires qui
discutent des affaires de lÉtat. Si les chaises sont
devant la table, il sagit alors dune scène courante
de la vie familiale. Une table peut également représenter
dautres objets : un lit; une plateforme d'observation; une
tour denceinte dune ville; une montagne; ou même
un nuage transportant des immortels. Par ailleurs, les chaises sont
souvent employées comme armes dans des scènes de combat.
Une table et deux chaises, si humbles soient-elles, sont donc nécessaires
à la culture de l'opéra de Pékin, car, dans
cet opéra, le point central touche le contenu moral plutôt
que la stricte conformité à la réalité.
Les affiches sont apparues tout à fait récemment
dans les théâtres chinois, cest-à-dire
il y a seulement 60 ans. Pendant la dynastie des Qing (1644-1911)
et la période républicaine (1911-1949), un avis nommant
la troupe et ses artistes, mais négligeant de mentionner
le nom de la pièce, apparaissait à l'entrée
du théâtre. Toutefois, les piaoyou étaient
toujours bien informés sur lopéra quils
allaient voir en soirée. En effet, les accessoires de la
représentation étaient présentés durant
la journée, et pour les piaoyou, ces accessoires équivalaient
à un programme gravé à la main et détaillant
la pièce, lintrigue et les acteurs.
De nos jours, les amateurs d'opéra obtiennent leur information
à partir des affiches de théâtre, des journaux
et des magazines. Comme toujours, ils sont désireux dadmirer
un des arts de la scène les plus raffinés et les plus
stylisés. Tant que lopéra de Pékin existera,
les grandes traditions des piaoyou vivront.
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