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Les prolos d'aujourd'hui contre les chevaliers du passé
-- Les films chinois tentent d'obtenir une reconnaissance mondiale… et des bénéfices

XIN XIN

« À mon avis, ce qui est le plus magique dans un film, c’est sa capacité à reconstituer la réalité. » Jia Zhangke

Parmi les 1 900 participants au 36e Festival du film de Venise, le Lion d’or tant convoité a été décerné au jeune réalisateur chinois Jia Zhangke pour son film Still Life. Sa victoire prestigieuse a redonné espoir à beaucoup de jeunes réalisateurs chinois qui meurent d’envie de se couvrir de lauriers internationaux.

Still Life a été tourné dans l’un des onze districts des Trois Gorges, le plus gros projet hydroélectrique du monde. Ces districts doivent être submergés. L’un des deux personnages principaux est un mineur de la province du Shanxi. Il s’est rendu dans le district à la recherche de son épouse, une femme qui avait été enlevée et qu’on lui avait vendue, mais qui a par la suite été sauvée par la police et retournée à son lieu d’origine peu de temps après leur mariage, 16 ans plus tôt. Dans ce district, il trouve un travail occasionnel dans un chantier de nouvelles maisons que l’on construit pour reloger 1,4 million de riverains.

L'autre personnage principal est une infirmière qui est également à la recherche d'un conjoint perdu. Son mari est venu dans le district deux ans auparavant, semble-t-il pour y mener des affaires, mais il n'est jamais revenu. Le mineur et l'infirmière observent la vie quotidienne des personnes dont les maisons ont été ou sont sur le point d'être submergées. Le film se termine d’une manière particulière : le mineur et son ancienne épouse acceptent de se remarier, mais l'infirmière et son mari décident de divorcer.

Le titre anglais Still Life semble bien loin de son nom chinois original, San Xia Hao Ren (Bonnes gens des Trois Gorges). Jia Zhangke explique : « Alors que des natures mortes dans des peintures sont considérées comme une réalité négligeable, la vie des gens du peuple qui forment la majorité de la société est souvent ignorée. Mais je ne laisserai pas cette situation se produire. »

Still Life a été tourné dans le style caractéristique de Jia Zhangke : de longs plans-séquences au rythme lent et des détails minutieux. Comme dans tous ses films, l'opprimé est le héros. « J'ai fait huit films, et tous portaient sur le petit peuple qui constitue la majorité de la population chinoise et dont les histoires sont racontées à la grandeur du pays, explique Jia Zhangke; ma fascination pour cette couche sociale est basée sur mon expérience personnelle. J'ai grandi dans un petit district d’une province riche en charbon : le Shanxi. Je suis peiné de constater que ce que moi et tant d'autres avons vécu dans notre enfance ne soit jamais – ou très rarement – porté à l'écran; alors, je fais des films sur la vie que je connais. Je ressens une affinité avec les personnes que je dépeins dans mon travail. »

Le principal rôle masculin de Still Life est joué par le cousin de Jia, Han Sanming. Ce dernier a abandonné l'école après son cours secondaire et a travaillé comme mineur avant de jouer des rôles peu importants dans quelques-uns des films précédents de Jia. Sous sa direction, les émotions complexes qui se reflètent dans les yeux de son cousin sont accentuées. De même, Jia fait très habilement ressortir la timidité flegmatique qui s’est enracinée dans le caractère de son cousin au cours de ses années de travail à haut risque dans des conditions dangereuses.

Dong, un autre film de Jia Zhangke, tourné dans la région des Trois Gorges.

Alors que les films des réalisateurs chinois de la « cinquième génération » montrent les aspects négatifs et peu connus de la culture chinoise, les films de Jia se concentrent sur la manière dont les changements dramatiques qui se produisent dans la Chine contemporaine affectent ses habitants et sa société. « Je commence à tourner chaque film en étant bien conscient que nous habitons dans une Chine en changement. Chacun de mes huit films illustre un contexte social, plutôt qu’une suite d’événements dans la vie d'un individu isolé. Mon thème principal – la vie de chacun est influencée par la société dans laquelle il vit – est évident dès le début de chaque film. » Comme le critique français Jean-Michel Frodon l’a fait remarquer : « Les films de Jia ne sont pas recommandés pour les cinéphiles occidentaux qui recherchent la nouveauté orientale. Ils ne présentent aucune soierie resplendissante, aucune concubine séduisante, aucun défilé de l’époque de Mao, ni aucune pratique féodale impitoyable. »

Les héros des comédies à succès du réalisateur Feng Xiaogang, un collègue de Jia Zhangke, sont également des gens de tous les jours. C'est son enfance dans les hutong de Beijing qui allaient bientôt être rasés par les bouteurs qui l'ont motivé à tourner des films pleins d'humour sur des citadins chinois de tous les jours. Cependant, en 2006, Feng a effectué un virage à 180 degrés avec son film Le Banquet. Ce film a nécessité un investissement de 15 millions $US et visait le marché international. Très vanté, il a malheureusement été un échec retentissant. Les médias l'ont boudé, le qualifiant de criard, peu profond et très inférieur à ses descriptions antérieures des humbles citadins, tellement appréciées. La réaction du public aux scènes qui se voulaient tragiques, mais qui ont suscité des rires, a donné au film son coup fatal.

Cet accueil négatif a freiné efficacement les superproductions en Chine. Jusqu'à maintenant, dans la partie continentale de Chine, on a tourné cinq films sur des rois de l’Antiquité et des guerriers chevaleresques et vertueux qui « volent » entre la terre et des mondes plus mystiques (chacun de ces films a coûté plus de 100 millions de yuans). Pourtant, leurs réalisateurs – Zhang Yimou, Chen Kaige et Feng Xiaogang – ont tous bâti leur réputation sur des petits films pleins de sensibilité portant sur des gens du commun. C’est peut-être le succès que Tigre et Dragon d'Ang Lee a remporté aux Academy Awards de 2001 qui a incité les réalisateurs à abandonner le réalisme social pour des fantaisies habilement ficelées.

« Jusqu'à maintenant, les seuls films chinois acceptés par le marché mondial du film, ce sont les fantaisies de kung-fu des autres époques. » Zhang Yimou

La superproduction artistique et commerciale d’Ang Lee a incité ses pairs de la partie continentale à emprunter un itinéraire semblable pouvant les mener vers la renommée internationale et le pactole aux guichets. Hero, de Zhang Yimou, a été le premier film à gros financement produit dans la partie continentale; vraisemblablement, il était basé sur sa conviction que « les seuls films chinois qui sont acceptés dans le marché mondial du film sont des fantaisies de kung-fu des autres époques. » En dépit d'un accueil mitigé, la vente de billets de Hero a rapporté 250 millions de yuans dans le marché intérieur et 1,1 milliard de yuans à l'étranger. Une fois que les frais de tournage et de production ont été déduits, les bénéfices réels ont cependant été très minces. Par contre, la production de Tigre et Dragon avait coûté 1,5 million $US, mais elle a récolté 130 millions $US aux États-Unis et dans le reste du marché nord-américain.

Les quatre superproductions qui ont suivi Hero ont été des désastres financiers. Par exemple, La Promesse, de Chen Kaige, qui avait coûté 340 millions de yuans, a rapporté seulement 180 millions aux guichets. Et aucun de ces quatre films à gros budget n'a remporté de récompense importante, d’Oscar ou de Golden Globe. Pire encore, les critiques occidentaux les ont malmenés en disant que ces films avaient eu les mêmes chorégraphe, cinéaste et concepteur de combats, ainsi que les mêmes acteurs dans les premiers rôles.

L'échec des quatre films est attribuable à leur scénario un peu mince qui se fonde fortement sur des approches métaphysiques, plutôt que sur le simple plaisir visuel de l’assistance. Le Pr Hao Jian, de l'Académie du film de Beijing, comment : « Les réalisateurs chinois sont peu disposés à s’attarder sur des sensibilités communes et des événements quotidiens. Ils sont tellement désireux d’exprimer un point de vue particulier qu'ils négligent de prendre le temps nécessaire pour établir une intrigue rationnelle; c’est la recette idéale de l’échec quand on tourne des films commerciaux. À moins que les réalisateurs soient disposés à évoquer la nature humaine et les émotions réelles, ils n'ont aucune chance de garder l'attention du public, encore moins de séduire leur cœur et leur esprit. »

« Nous vivons dans une société commerciale. Aucun de nous ne peut échapper à cette réalisé ou ne pas en tenir compte. » Chen Kaige

Le succès de Still Life suggère que les œuvres ayant un thème humaniste ont de meilleures chances d'accéder au marché d'outre-mer. Mais Jia Zhangke fait peu de cas du succès artistique de son dernier film : « Que je gagne ou non un Oscar, maintenant ou plus tard, ne me dérange absolument pas. Personne ne devrait dédaigner un honneur mérité, mais sommes-nous en train de devenir obsédés par le fait de gagner des prix? Il me semble qu'on devrait accepter les honneurs quand ils viennent, mais autrement ne leur accorder aucune pensée. »

« Nous vivons dans une société commerciale. Aucun de nous ne peut échapper à cette réalité ou ne pas en tenir compte. » Chen Kaige

C’est indiscutablement l'attrait de profits élevés qui incite les réalisateurs chinois à entreprendre des productions à gros budget. Les investisseurs gaspillent des sommes énormes en travaillant à partir de la logique erronée selon laquelle les Chinois n’allant pas souvent au cinéma, les extravagances cinématographiques grandioses sont nécessaires pour leur faire quitter leur fauteuil. Des revenus élevés aux guichets sont essentiels pour amortir des coûts de production exorbitants, mais de tels revenus élevés ne peuvent être réalisés que si le film en question sort outre-mer. Le modèle le plus fiable pour obtenir un succès commercial dans les cinémas étrangers semble être le mélange suivant : vedettes asiatiques internationales, telles que Zhang Ziyi, séquences spectaculaires d’arts martiaux, comme dans Hero et Le Secret des poignards volants, et finalement, un scénario nébuleux.

Le Banquet, un film de Feng Xiaogang, tourné au coût de 15 millions $US, constituait le pari du réalisateur pour obtenir la gloire dans le marché international du film.

Jia Zhangke est fort conscient du manque de reconnaissance professionnelle dans son pays, de sorte que, pour Still Life, il n’attend pas beaucoup de rentrées financières aux guichets. « Ce ne sera pas un film populaire parce qu'il n'offre pas le divertissement sensuel auquel la plupart des personnes s'attendent au cinéma. C'est quelque chose dont je suis tout à fait conscient, et je n’ai pas trop d’attentes. » Par contre, le marché international, c’est une autre histoire. « La majeure partie de mon financement provient de l’étranger et c’est là aussi où mon film est distribué. Ceci me garantit des revenus suffisants pour être en mesure de continuer à travailler. »

 

Scène du film Le Banquet

Jia n'a aucun désir de réaliser une épopée : « Cette manie des extravagances est une conspiration élaborée par des réalisateurs, des producteurs et des services gouvernementaux, parce que, pour un temps, cela semblait être le fortifiant dont l'industrie chinoise du film avait besoin. Mais les choses changent. Le cinéma touche à la fois les affaires et la culture, et on a accompli des progrès pour atteindre un meilleur équilibre entre ces deux aspects. Les fortes protestations des médias contre la formule “investissement élevé/bénéfices élevés” indiquent un tournant dans la bonne direction. »

Jia Zhangke est né en 1970 et a obtenu, en 1997, un diplôme du Département de littérature de l'Académie du film de Beijing. Il a commencé sa carrière cinématographique en 1995 et est maintenant l'un des réalisateurs les plus actifs en Asie. Ses œuvres principales incluent Xiao Shan va à la maison, Xiao Wu artisan pickpocket, Zhantai (Plateforme), Plaisirs inconnus, Still Life et Dong.

Les cinq films chinois ayant profité d’un investissement de plus de 100 millions de yuans sont : Hero (Zhang Yimou), Le Secret des poignards volants (Zhang Yimou), La Promesse (Chen Kaige), La malédiction des fleurs dorées (Zhang Yimou) et Le Banquet (Feng Xiaogang).

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Éditeur : Édition La Chine au présent