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Changer avec son temps, le sort de la littérature

ZENG ZHENNAN

L’ANNÉE 1949 marque le début de la littérature chinoise contemporaine. Elle a donc 58 ans. C’est une littérature bien vivante, enracinée dans l’Orient et qui avance avec les changements historiques de la vie du peuple. À chaque étape du développement de cette littérature, on a vu surgir quantité d’écrivains et d’œuvres d’excellente qualité qui ont exercé une grande influence sur la vie morale et spirituelle du peuple.
La caractéristique essentielle de la littérature chinoise contemporaine réside dans l’harmonisation de son développement avec les changements progressifs de la vie du peuple. Le meilleur moyen — et le plus sûr — de découvrir cette caractéristique est de lire directement les œuvres célèbres de la littérature chinoise.

Le courant littéraire d’avant la Révolution culturelle

L’homme de lettres Lu Xun, avec des jeunes, en 1936

Mon amour pour cette littérature remonte à ma jeunesse, au moment où j’ai commencé à lire beaucoup. Dans les années 1960, une série d’excellents romans ont vu le jour en Chine. À cette époque, mes amis et moi étions tous des passionnés de romans comme Fengyun Chuji (Les années orageuses) de Sun Li, Chuangyeshi (Les bâtisseurs) de Liu Qing, Qingchun Zhi Ge (Ode à la Jeunesse) de Yang Mo, Linhai Xueyuan (Traces dans la forêt de neige) de Qu Bo, Hongqi Pu (Drapeau rouge flottant) de Lu Mei, Hongri (Le soleil rouge) de Wu Qiang, et finalement, Hongyan (Roc rouge) de Luo Guangbin et Yang Yiyan. Ces œuvres traitent essentiellement de deux sujets : le processus grandiose de la révolution chinoise et l’enthousiasme et la vivacité d’esprit du peuple chinois à participer au renouveau de la Chine. Ces œuvres faisaient surgir dans notre imagination le vaste horizon d’une vie neuve et passionnante, nous attiraient vers une vie enthousiasmante. Nous considérions ces œuvres comme des « manuels de vie ». À nos yeux, les auteurs de ces œuvres étaient dignes d’être qualifiés d’« ingénieurs de l’âme de l’humanité ». Avec leur plume artistique, ces auteurs nous aidaient à élever notre état d’esprit et à devenir des créateurs consciencieux d’une nouvelle vie.

Je pense que beaucoup de gens de cette époque ont vécu la même expérience que moi. La passion pour la lecture qui a germé durant nos jeunes années nous accompagne encore intimement. Je me souviens qu’en 1978, année où la Révolution culturelle a pris fin, j’ai participé à l’examen de maîtrise. En voyant le titre de la composition à faire sur le thème « Mon livre préféré », sans hésiter un seul instant, j’ai écrit que c’était le roman Chuangyeshi (Les bâtisseurs). Son intrigue était tellement captivante que j’en oubliais même de dormir. Ce roman m’a permis de connaître profondément la psychologie des paysans chinois et leurs exploits dans la transformation de la campagne pendant les années 1950 et 1960.

Les œuvres de Guo Jingming et d’autres jeunes écrivains, nés pendant les années 1980, sont des succès de librairie.

À chaque époque, la vie sociale a eu ses côtés positifs et négatifs, ses côtés superficiels et profonds, et la littérature chinoise de la période qui a précédé la Révolution culturelle était semblable. Mais, globalement parlant, la littérature de cette période, qui devait être un miroir de la vie, était un peu biaisée et superficielle. Elle ne faisait découvrir que le bel aspect de la vie et l’enthousiasme superficiel des gens. Elle chantait la vie — et même haut et fort, bien que vaguement — et elle en dessinait de beaux tableaux, conformément aux rêves de ceux qui représentaient le courant social.

Quand toute une société est enveloppée d’irréalisme et que l’âme des gens est biaisée par le sens aveugle de la supériorité et de la fierté révolutionnaire, il est normal que la littérature soit elle-même imprégnée de rêves irréalisables. Entre les années 1957 et 1960, un petit nombre d’écrivains lucides ont tenté d’écrire sur les problèmes complexes de la vie sociale en faisant entendre faiblement la différence entre les chants et la réalité. Malheureusement, ces quelques échos ont été aussitôt submergés par des tonnerres de critiques. Ces essais ont finalement été remplacés par des rêveries toujours plus absurdes.

La monotonie et la recherche d’une identité unique dans l’ensemble de la littérature d’alors offraient des contrastes frappants avec la complexité et la pluralité de la vie. Comme cette vie était enveloppée d’un « voile révolutionnaire et d’un rayonnement splendide », on ne se rendait pas bien compte du contraste entre la littérature et la vie réelle, de sorte que ce genre de littérature a pu continuer à faire son chemin tragiquement jusqu’au faux romantisme caractérisé par les dissimulations et les mensonges de la Révolution culturelle.

Cette révolution a été une catastrophe nationale en Chine. Toutefois, elle a réveillé la conscience nationale et humaine. Le mouvement d’émancipation de la pensée, lequel a débuté en 1978, a connu un tel développement qu’on a commencé à voir d’un œil nouveau l’ensemble de l’histoire contemporaine et la conception des valeurs révolutionnaires.

L’après-Révolution culturelle

On a aussi commencé à aspirer à la civilisation et au courant culturel du monde moderne. Ce processus de recherche se poursuit encore. Il est entre autres caractérisé par la mise en valeur de la personne humaine et par la création à la fois du concept de développement scientifique et de l’objectif de construction d’une société harmonieuse

Le 11 mai 2006, l’écrivain bien connu Su Tong a donné une conférence aux étudiants de l’Institut des sciences sociales de l’université du Zhejiang.

Tout cela a fortement changé les relations entre la littérature et la vie sociale. La littérature a dorénavant été investie d’un devoir et gratifiée d’un espace libre pour refléter, dans une plus large mesure, la vie du peuple. Les zones interdites du côté sombre de la vie d’avant la Révolution culturelle ont toutes été abolies. Entre les œuvres d’avant la Révolution culturelle et celles d’aujourd’hui, on remarque aussi une nette différence dans la façon d’écrire. Celles d’aujourd’hui ont pour thème principal un regard positif et clair sur la vie. Tout en racontant les bienfaits de la vie, l’auteur n’évite plus ses éléments tragiques et ses contradictions.

Chenzhong de Chibang (Les Ailes lourdes) de Zhang Jie décrit la vie des Chinois, leur dépression et leur espoir à l’époque de la réforme sociale. Dans ce roman, l’auteur dépeint d’une manière vivante la pression de la réalité et la douleur psychologique des pionniers de la réforme. À travers les descriptions de la dure réalité, une lueur d’espérance se dessine. Ce roman atteint une profondeur que n’ont pas atteinte les œuvres d’avant la Révolution culturelle qui chantaient la vie sociale.

Lorsque les écrivains perçoivent la vie de manière différente, ils se débarrassent des rêves étroits et entrent dans une réalité plus vaste. Une fois qu’est abolie l’interdiction sur certains sujets surgit une variété d’œuvres qu’on n’aurait jamais osé imaginer avant la Révolution culturelle. Aux alentours de 1980, poussée par le mouvement d’émancipation de la pensée, la littérature contemporaine chinoise a connu, sous le couvert du rétablissement des traditions réalistes, une vivacité et une prospérité sans précédent. Les éléments du changement grandiose et historique de la vie du peuple ont inondé la littérature chinoise contemporaine. Les demandes objectives de l’époque, les vœux des lecteurs et la subjectivité des écrivains s’harmonisaient à merveille. C’est une époque inoubliable dans l’histoire de la littérature contemporaine chinoise.

Cela correspond aussi à une période importante de ma vie. Au cours de cette période, j’ai lu quantité d’œuvres littéraires et j’ai commencé à assumer des fonctions de critique et de chercheur en littérature contemporaine. Lorsque j’étudiais à la faculté de littérature de l’université de Beijing, j’ai mis beaucoup de temps à lire des œuvres contemporaines. Je pense que ces œuvres, issues directement du creuset de la société, m’impressionnaient beaucoup. Non seulement j’ai été attiré par le style littéraire de ces œuvres, mais aussi j’ai été ému par l’animation de la vie, le pouls de l’époque qui y battait et les sentiments qu’elles décrivaient. Les œuvres à succès de cette période, au style mordant, vous poussaient à vous jeter dans la vague de la transformation de la vie sociale.

Depuis les années 1990

Durant cette décennie, le fleuve de la vie est devenu plus profond et calme. L’horizon de la création s’est élargi. Ayant calmement observé tous les côtés de la vie, ceux qui se dévouent à noter les événements sociaux de grande envergure et à présenter l’esprit de l’époque ont soulevé une grande vague de création romanesque. MM. Lu Yao et Chen Zhongshi ont poursuivi le réalisme traditionnel et l’ont développé dans les nouvelles conditions de la vie. Pingfan de Shijie (Le monde ordinaire) de Lu Yao et Bailuyuan (La plaine du cerf blanc) de Chen Zhongshi constituent des œuvres représentatives de cette vague de création romanesque

Pingfan de Shijie raconte en détail l’histoire de la transformation de la vie sociale dans une zone de banlieue en Chine du Nord-Ouest. L’histoire se déroule sur dix ans, à partir de 1975. Inspiré des phénomènes du début de l’urbanisation et de l’industrialisation en Chine, l’auteur dépeint, avec une grande perspicacité, la personnalité représentative d’un paysan allant travailler en ville. À travers la décision de ce personnage d’aller chercher la vie en ville, on découvre la signification historique du changement social.

Dans Bailuyuan, l’histoire se déroule sur le plateau de lœss. Le destin tragique de deux propriétaires fonciers et de leurs enfants, de leurs domestiques et de leurs ouvriers de ferme nous fait prévoir la tendance de l’histoire. Sorti de l’encadrement traditionnel et d’une description courante de la vie rurale, le roman nous donne un choc artistique inoubliable. À travers ces œuvres, on remarque déjà le grand progrès réalisé par la littérature contemporaine chinoise dans sa manière de décrire la vie du peuple. C’est un pas significatif de la recherche de cette littérature dans le contexte du changement historique.

Au XXIe siècle, les créations littéraires se multiplient. Mais il faut avouer qu’au lieu de toucher comme autrefois l’âme des lecteurs et de les guider dans le long fleuve de la vie, elles deviennent aujourd’hui un simple produit de consommation.

Ce changement est un coup dur pour les valeurs intrinsèques de l’esprit littéraire. Les auteurs portent de moins en moins attention aux valeurs morales et spirituelles de leur œuvre. Certains vont jusqu’à divertir purement et simplement les lecteurs. Jusqu’à un certain point, le tirage constitue un des critères permettant de départager les bonnes et les mauvaises œuvres. Ceci étant, il existe tout de même des écrivains qui s’efforcent de protéger le caractère moral et spirituel de la littérature, bien que leur influence diminue de plus en plus.

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