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La bouffe, ma passion!

LISA CARDUCCI

" Elle voyage, dans la rue, en brouette, à bicyclette, en camion, en train, en avion… Elle s'expose sur la rue, par terre, aux abords de la ville, au marché, dans les restos, au vu et au su de tous. Elle est généreuse, disponible, colorée, parfumée, surprenante, sensuelle, relevée, enjouée. Elle pique, se fait douce, vous fait saliver, espérer, la désirer. Elle s'orne de fleurs, d'une palette de couleurs, de ses plus beaux atours. Elle a du caractère, vous choque, se fait pardonner, se moque, triche. Elle se laisse cajoler, toucher, caresser, tripoter, réchauffer, regarder. Elle est chère, ou pas chère, on la négocie, la marchande, l'importe, l'exporte. C'est la bouffe chinoise. "

Mario Labelle, un Canadien, début quarantaine, travaille en Chine depuis 2003.

En compagnie de l'auteur " Je me sens bien où ça bouge et où il y a plusieurs bouches à nourrir… "

Mario, comment vous êtes-vous retrouvé à Beijing?

J'ai travaillé plus de dix ans dans la restauration et l'hôtellerie au Canada. L'expérience internationale m'a toujours attiré, et mon travail me permettait d'y accéder. Ma visite en Chine en 1993 a aussi activé ce désir. En 2003, c'était un moment privilégié. Il m'a fallu moins de trois mois pour trouver mon emploi chez Eurest.

Il semble que vous ayez déjà fait beaucoup de chemin en deux ans et demi et que vous aimiez beaucoup votre travail.

En effet, ma tâche a au moins doublé, et les avantages suivent proportionnellement.
J'apprécie particulièrement la possibilité de me déplacer dans tout le pays. Comme si j'étais en voyage perpétuel.

De quoi s'occupe Eurest et quelle est votre fonction?

Eurest est en Chine depuis six ans. Nous gérons deux grands secteurs : l'industrie et l'éducation. Je m'occupe des écoles. J'en gère dix à présent, dont six ouvertes depuis que je suis arrivé. J'ai engagé et formé plus de 300 personnes.

Nous voyons à guider nos clients vers la construction d'un site en ce qui concerne l'alimentation de leurs employés : cuisine, gaz, entreposage, drainage, chaîne alimentaire, hygiène, le tout selon les critères occidentaux et orientaux. Une fois que tout est établi sur papier, nous passons à l'action. Là, il s'agit de surveiller l'application du contrat. Par exemple, un fournisseur peut livrer du matériel, mais ne le branche pas. Ou bien un appareil est défectueux, et on cesse simplement de s'en servir. Je n'accepte pas cela et veille toujours à maintenir les standards qui nous démarquent de nos compétiteurs.

Vous travaillez de façon occidentale avec du personnel chinois. Il y a sûrement des difficultés.

La première difficulté, quand nous recrutons des clients, c'est de faire valoir notre produit à sa juste valeur. Le client s'arrête au prix le plus souvent, pas au rapport qualité/prix.

Ensuite, la barrière linguistique. Que d'aventures!

Et puis, les problèmes de perception dus à des cultures différentes. Mais cela fait partie du défi. Je ne suis pas là pour changer le monde. Je m'adapte. Important aussi de maintenir sa position. Nous vendons non seulement un produit, mais un concept. Nous ne pouvons nous contenter de nous adapter; il nous faut faire voir le fondement et la valeur de notre entreprise.

En quoi la façon de travailler des Chinois est-elle différente de la façon occidentale?

Les Chinois sont très responsables de la tâche qu'on leur confie. Ils l'exécutent à temps et consciencieusement. Mais ils ne nous surprennent jamais par un geste d'initiative. Le travail est effectué de façon compartimentée, par étape, ce qui diminue la vitesse d'exécution et demande un personnel plus nombreux.

Comment qualifieriez-vous vos relations avec vos collègues et employés chinois?

D'amicales et professionnelles. J'essaie de faire en sorte que les employés se sentent bien, pour qu'ils puissent donner un bon rendement. Quand il y a un problème avec un employé, je fais une évaluation en commençant par tout ce qui va bien : il est ponctuel, s'habille convenablement, est poli, veut apprendre, a une bonne technique, est propre, etc. Parfois, il y a un ou deux détails qui accrochent. Alors, je rencontre l'employé, mets en valeur ses points positifs, et puis on discute de ce qui ne va pas. Mais les cadres et assistants chinois ont de la difficulté à fonctionner ainsi. Ils jugent rapidement et globalement. Ainsi l'employé est-il déchu de son aspect " personne " pour devenir simplement de la " main-d'œuvre ".

La hiérarchie ne vous impressionne pas beaucoup.

Quand je visite les écoles, je visite " tous " les départements, y compris la plonge. Je dis quelques mots gentils au responsable, et salue tous les travailleurs. Il n'en faut pas plus que cela pour obtenir un meilleur rendement.

Comment recrutez-vous des clients?

Il y a beaucoup de bouche à oreille. J'organise des visites de sites. Les gens peuvent voir ce dont nous sommes capables et sont souvent impressionnés. Notre rendement parle pour nous; nous avons 55 % des écoles internationales en Chine, soit 21 institutions. Notre plus proche concurrent en a 25 %.

Outre Beijing, où Eurest a-t-elle des clients?

Nanjing, Shanghai, Tianjin, Suzhou, enfin toute la côte orientale. Sans parler du domaine de l'industrie où nous desservons plus de 150 compagnies. À Hongkong, sous un nom différent - Chartwell -, elle occupe 70 % du marché avec 18 écoles, l'aéroport où nous avons 17 restaurants, et d'autres installations.

L'alimentation (bouffe, nourriture) semble une priorité dans votre vie!

La Chine est un beau pays géographiquement et bien fait. Le nord produit le blé et les légumes de terre (racines); l'est, sur la mer, le poisson et les fruits de mer; le sud, tropical, offre des fruits et légumes à l'année qui remontent vers le nord; l'ouest fournit les noix, arachides, toute la gamme des courges, les viandes. Tout peut être transporté par avion, bateau, route. Pensez-y : les empereurs avaient déjà établi des voies qui servent encore aujourd'hui pour transporter les épices - base de la conservation et de la transformation -, les fruits exotiques, le blé, le bois, etc. Une bonne partie de l'Europe et l'Amérique n'ont pas ces avantages. La Chine est d'une richesse inouïe en aliments. J'ai été impressionné dès ma première visite : que de mets aux menus!

D'après vous, les Chinois mangent-ils " bien "?

Je dirais que la Chine a une cote de 8,5 sur 10 comparativement au Canada, 6, et aux États-Unis, 5. Les problèmes les plus inquiétants sont dans l'hygiène : on ne respecte pas la chaîne du chaud et du froid, on ne réfrigère pas les œufs et les laisse même au soleil; on coupe la réfrigération dans les camions de transport des viandes pour diminuer les frais; la viande peut traîner sur un comptoir tout l'après-midi pour être cuite le soir; sur un même bloc de bois, on coupe viande, poisson, légumes et fruits, et l'on se contente de passer un linge humide pour le nettoyer…

Y a-t-il quelque chose qui vous étonne dans la cuisine chinoise?

L'utilisation que l'on fait de toutes les parties d'un animal ou d'une plante. On consomme la racine et les graines du lotus, et les feuilles servent à envelopper le poulet mendiant. Les pattes de poulet, les oreilles de porc, les abats, tout! Et ce qui ne se sert pas à table va dans la fabrication de médicaments ou d'objets d'artisanat. Si tout le monde mangeait de cette façon, il y aurait du surplus partout. Et quelle créativité pour apprêter un même légume de 56 façons! Le fromage de soja par exemple : séché en tranches, " Mapo " en cubes, congelé puis apprêté en soupe, en lait, filamenté comme entrée froide, etc.

Par contre, il y a des règles que les Chinois semblent ignorer. Ils cuisinent depuis des générations de la même façon : sauter rapidement les aliments dans le wok à feu fort. Les épices sont toujours les mêmes pour tous les mets : ail, gingembre, poireau, sauce de soja, vin jaune. À la fin, on ne distingue plus si l'on mange du poulet, du porc ou du lapin. Pourtant, chaque viande dégage ses sucs et ses saveurs particulières à une certaine température. Le wok cuit à 700 °C uniformément. La cuisson lente? Connaît pas!

Par contre, en Occident, on trouve des produits alimentaires transformés avec une date d'expiration de cinq ans…

Quelle est votre cuisine préférée?

Italienne. En Chine, je reste accroché au canard laqué.

Une personne si occupée a sûrement besoin de détente aussi. Comment vous reposez-vous?

J'adore la lecture, tous les genres sauf la science-fiction. Et la marche, deux heures par jour, et le week-end davantage. Je suis allé 25 fois à la Grande Muraille. J'aime découvrir les parcs, les hutong, les gens. Et voyager partout au pays et en Asie.

La musique aussi, latino-américaine. Et danser. Au moins une fois par semaine.

Des rêves?

Je rêve au quotidien. Je suis satisfait de ma vie, surtout depuis que je vis en Chine. Le climat me plaît beaucoup. La pollution, c'est l'aspect déplaisant. Avec la circulation.

Avez-vous déjà songé à quitter la Chine?

Quitter la Chine, c'est possible. Retourner au Canada, c'est moins sûr. Ce que je crains, c'est la stagnation. Je me sens bien où ça bouge et où il y a plusieurs bouches à nourrir...

----Bon appétit!!!

Rédaction : 24, rue Baiwanzhuang, Beijing, 100037, Chine
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Éditeur : Édition La Chine au présent