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La mémoire des vieilles pierres

HOU RUILI

Les habitants des tours qui ont vécu dans des maisons anciennes oublient parfois difficilement la vie qu'ils y ont menée.

PENDANT longtemps, les Chinois ont habité dans des maisons anciennes avec cour. Cependant, avec l'urbanisation et le changement des fonctions de la ville, beaucoup d'entre eux ont emménagé dans des tours. Pourtant, ils gardent encore un bon souvenir de ces maisons.

Maintenant dans la quarantaine avancée, Mme Liu a quitté sa maison ancienne il y a dix ans; on allait en effet démolir toutes les maisons du quartier. À cette époque, elle faisait partie des premiers habitants de Beijing qui devaient déménager. Avec elle, ses parents, son mari et son bébé nouveau-né ont alors quitté le centre-ville pour aller vivre dans la banlieue ouest.

D'anciens habitants d'un siheyuan retournent dans leur maison reconstruite.

Le logement dans lequel Mme Liu a emménagé comprend trois chambres et un salon. En plus de la chambre du couple, les parents et l'enfant ont donc leur chambre personnelle et tous partagent un espace commun. La famille ne se sent plus à l'étroit. Mais peu après son déménagement, Mme Liu a commencé à avoir la nostalgie de la vie qu'elle menait dans son ancienne demeure. Souvent, elle regarde par la fenêtre et se sent un peu coupée du monde extérieur. Autrefois, elle passait la plupart du temps dans la cour. Elle pouvait se chauffer au soleil à midi et toucher les gouttes de pluie quand il pleuvait. Le soir, la lune et les étoiles semblaient de vieilles connaissances... " Depuis le déménagement, les membres de la famille évoquent souvent les jours d'autrefois et s'informent des anciens voisins.

Même si certains nous parlaient peu, nous nous rencontrions chaque jour et nous nous sentions très familiers ", dit Mme Liu, avec regret.

La cour de l'ancienne demeure de Mme Liu était très simple. Elle était divisée en deux parties. Dans la cour intérieure, deux familles occupaient le bâtiment qui donnait sur le sud et le nord. Ce n'était pas grand, mais grâce à la toiture inclinée, on ne sentait ni le froid en hiver ni la chaleur en été. Dans la cour, il y avait un parterre rempli de fleurs.

" Chaque matin, la première chose qu'on faisait en sortant de la maison, c'était de bien balayer la cour, dit Mme Liu. Parfois, les enfants y sortaient de petites tables et des tabourets pour faire leurs devoirs. Après, ils s' y amusaient. Durant les soirées estivales, on restait dehors pour bavarder, au clair de lune. Les enfants aimaient écouter les contes de fées que les mères racontaient ", évoque Mme Liu, le visage animé.

Des enfants jouent au basket-ball dans une rue de Beijing.

En réalité, la vie dans ces maisons anciennes n'était pas commode, surtout que plusieurs familles habitaient dans une même cour. L'isolation des pièces n'était pas très bonne. On entendait ce que le voisin disait s'il parlait un peu fort, et le volume de la télévision d'une famille dérangeait le repos d'une autre. Il n'y avait ni chauffage central en hiver, ni gazinière moderne pour faire la cuisine. On utilisait le poêle au charbon pour se chauffer et un poêle ancien avec bombonne à gaz pour faire la cuisine. En plus, la cuisine était située dans un autre bâtiment et on devait transporter le repas préparé en traversant la cour. Ce n'était pas très commode quand il pleuvait ou qu'il ventait. Il n'y avait qu'une toilette, et elle était dans la cour. Certaines maisons étaient déjà délabrées à cause du manque de réparations. Les propriétaires de ces maisons étaient tiraillées par des idées contradictoires : d'une part, ils espéraient changer leurs conditions, mais d'autre part, ils savaient qu'ils allaient regretter leur mode de vie convivial.

La vie des gens ordinaires

Datant de 800 ans, Beijing est une ville historique et culturelle. Pendant cette longue histoire, la ville a appliqué des critères stricts sur le plan de l'habitation. La splendide Cité interdite était réservée à l'empereur et les résidences somptueuses étaient occupées par la haute noblesse. Une famille riche habitait dans un siheyuan (cour carrée entourée de bâtiments), alors que plusieurs familles pauvres devaient en partager un. Après la fondation de la Chine nouvelle, en 1949, le gouvernement a commencé à distribuer des logements pour que chaque citadin ait sa propre demeure et vive de son propre travail. Fait nouveau, certains siheyuan ont alors commencé à être occupés par des habitants de métiers différents.

Le siheyuan n'est pas en contact avec l'extérieur. Une fois la porte fermée, on y sent une ambiance intime et tranquille. Dans ce type de maison, les piliers et les poutres sont en bois. L'apparence de ces maisons est différente selon les endroits, compte tenu des différences de dimension que peuvent avoir les fondations de certaines d'entre elles, de la capacité financière du propriétaire à l'origine, de ses goûts, de la technique des artisans et des conseils des géomanciens. En général, à l'intérieur, le siheyuan possède un mur-écran, qui se dresse tout de suite après la porte d'entrée, et un corridor. Des briques sculptées ornent les deux côtés de la porte d'entrée. Un panneau portant une inscription se trouve au-dessus, et des distiques calligraphiés sont suspendus aux piliers des deux côtés; une pierre qui servait à grimper sur la monture du cheval est située tout près. Par son style architectural, le siheyuan témoigne d'une longue histoire et d'une civilisation brillante.

Un avocat étatsunien qui travaille à Beijing aime beaucoup le siheyuan et en a acheté plusieurs. " Le siheyuan me donne une impression de raffinement et d'élégance. Surtout en soirée, je m'y sens à l'aise et détendu dans un lieu tranquille. Dans cet endroit si paisible, je peux réfléchir et écrire ", dit-il.

Certains siheyuan possèdent deux cours : l'une à l'avant et l'autre à l'arrière. Certains autres en ont plusieurs. Dans une maison de style occidental, une fois entré, on peut accéder tout de suite à une chambre à coucher. Dans un siheyuan, pour atteindre la chambre à coucher, il faut faire des détours. En plus, dans ce type de maison, tous les membres d'une famille se sentent unis et profitent d'un même espace.

Dans la Beijing d'aujourd'hui, il est encore possible de trouver des siheyuan bien rangés, bien alignés, avec des murs d'une même couleur. Ces cours symbolisent un peu le cercle dans lequel on se fait des amis.

Lors d'une exposition de nouveaux bâtiments, ceux de style siheyuan sont populaires.

De nos jours, les locataires d'un siheyuan travaillent dans différents milieux. Mais, peu importe, une fois installés dans ce style de résidence, ils se sentent tous comme des frères et sœurs. Les querelles et les problèmes d'une famille ne peuvent pas s'arbitrer à l'insu des voisins. Avec l'aide de ces derniers, les querelles disparaissent et les problèmes se résolvent. Dans un siheyuan, le style de vie est une sorte de culture populaire.

Il existe aussi beaucoup de maisons anciennes dans d'autres villes chinoises. Selon un règlement de la ville de Hangzhou, toutes les maisons ayant plus de 50 ans doivent être classées comme des maisons anciennes. Elles sont le reflet de l'histoire de cette belle ville. D'apparence, certaines ont l'air un peu délabrées, mais leurs détails architecturaux cachent probablement des histoires intéressantes. Les maisons de Shanghai qui ont été construites dans les concessions à la fin du XIXe siècle, se caractérisent par leur style à la fois chinois et occidental.

En gros, disons que la cour est le point commun des maisons anciennes de différentes régions. Des experts estiment que la culture populaire y a pris sa source.

La protection des maisons anciennes

Avec l'accélération de la modernisation, d'autres maisons anciennes vont être démolies. Selon certaines statistiques sur Beijing, on y trouvait 7 000 hutong (ruelles) en 1949, alors qu'il n'en restait que 3 900 dans les années 1980. Chaque année, 600 hutong disparaissent à Beijing.

En 2004, la ville a fixé 25 zones de maisons anciennes et a décrété que 37 % de la superficie de la cité des dynasties des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911) devraient être protégés. Dans ces zones, on constate que la plupart des maisons sont des siheyuan; toutefois, dans le cadre du travail de protection, il y a encore 63 % des maisons anciennes qui ne sont pas classées.

Parallèlement, les gens de différentes régions de la Chine sont en train de chercher des façons de protéger ces maisons. Ainsi, une zone touristique constituée de différents siheyuan a pu voir le jour dans le village de Zhangwan de l'arrondissement Tongzhou de Beijing.

D'après un ordre récent de la municipalité de Hangzhou, il sera interdit de démolir les maisons anciennes dispersées dans la ville et elles seront protégées par des volontaires. Étant en contact plus fréquent avec ces maisons, ces derniers connaîtront mieux leur état et leur histoire. Ils trouveront plus facilement leurs problèmes. S'ils y remarquent des graffitis, des changements de structure ou du sabotage, ils en informeront le Bureau de protection des maisons anciennes. Ils se chargeront de lui recommander les bâtiments d'une grande valeur historique et scientifique et lui donneront leurs opinions et suggestions sur le travail de protection.

Interdire la démolition sans permission des maisons anciennes est la première étape du travail de protection; par la suite, il faut les mettre pleinement en valeur.

" La protection des maisons anciennes est une course contre la montre ", a dit Zhong Xiangping, conseiller de l'Institut d'histoire de la ville de Hangzhou.

La municipalité de Suzhou a, pour sa part, adopté une nouvelle méthode selon laquelle le gouvernement investit dans la transformation des installations d'une maison et les habitants se chargent de la décoration intérieure à leurs frais; la structure de l'intérieur de la maison ne peut cependant pas être changée.

Puisque les Chinois aiment beaucoup la maison avec cour, les promoteurs immobiliers de toutes les régions sont certains qu'il y a de bonnes perspectives de marché. Ces maisons de style traditionnel, équipées d'installations modernes et bien protégées des bruits extérieurs, sont peu nombreuses, et elles sont souvent construites en banlieue. Même si leur prix est très élevé, elles se vendent très bien.

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Éditeur : Édition La Chine au présent