SEPTEMBRE 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Mon séjour au « pays des femmes »

YUAN PEIDE

La région du lac Lugu offre l’occasion peu commune de découvrir les us et coutumes d’une société matriarcale.

 
 
 
 

C’est il y a quelques années que j’ai commencé à découvrir le « pays des femmes ». À ce moment-là, je travaillais à Beijing. En cherchant un document, j’avais trouvé par hasard un article sur le lac Lugu qui me semblait très mystérieux et primitif.

Le « pays des femmes » -- aussi appelé « société matriarcale » et « fossile vivant » -- conserve encore le caractère de la société matriarcale primitive. Les gens choisissent de vivre sans se marier. Dans cette région, la femme est supérieure à l’homme, le pouvoir de la mère est suprême et la fille représente le futur d’une famille.

Le lac Lugu se trouve aux confins de la province du Yunnan et du district de Yanyuan de la province du Sichuan. Les deux tiers de cette région se trouvent dans la province du Sichuan. Un jour de mars, après avoir traversé des montagnes et des forêts, je suis arrivé à Lugu, un petit bourg semblable à un village.

En route vers le bourg de Lugu, j’ai rencontré un jeune homme qui m’a conduit dans une auberge appelée « Foyer des Mosuo ». C’est une maison en bois de style local. Elle ressemble beaucoup à la maison à cour carrée de Beijing, mais en est tout de même différente. Elle est divisée en quatre parties : la pièce principale, les chambres des femmes, la pièce consacrée à la vénération du Bouddha, et finalement, un dépôt et une étable.

La structure de la salle principale est complexe et typique. En général, elle fait face au sud ou à l’est. C’est un endroit où les membres de la famille mangent, font la cuisine, discutent des affaires et reçoivent les hôtes. Les chambres à deux étages qui se trouvent devant la salle principale sont les chambres à coucher des femmes adultes et âgées d’une famille. À gauche de la salle principale, le deuxième étage est consacré à la vénération du Bouddha. Le dépôt et l’étable sont en bas. Cette auberge est assez propre et confortable. On m’a logé à côté de la chambre des femmes.

À peine le jour était-il levé que je me suis mis en route. Il m’a fallu une demi-heure pour aller du bourg jusqu’au lac, en traversant des villages mosuo. Les villages entourant le lac sont tranquilles; de temps à autre, on entend l’aboiement des chiens et le chant des coqs. L’eau du lac est bleue et limpide.

Au loin, dans un petit bateau, une jeune fille joyeuse ramait en chantant un air mélodieux. Elle est venue jusqu’à moi et m’a demandé si je voulais monter à bord. Elle m’a aidé à y monter et nous avons rapidement disparu dans le brouillard, comme si c’était un voyage dans un monde enchanté.

-- Comment vous appelez-vous? lui ai-je demandé.

-- Gao Zuoma. 

--À quel hôtel logez-vous? s’empressa-t-elle de questionner. 

--Je suis arrivé au bord du lac ce matin et je n’ai pas encore trouvé d’hôtel. 

--  Alors, venez chez moi. J’habite au bord du lac, pas loin d’ici. 

En ramant doucement, elle a recommencé à chanter une chanson populaire.

J’ai suivi Gao Zuoma jusque chez elle. Comme la maison de la plupart des Mosuo, la sienne est aussi une maison en bois à cour carrée. Dans la salle principale, il faisait très sombre; je me suis assis à côté du foyer. Sa mère m’a accueilli de façon très sincère et m’a dit : « Notre famille compte quinze personnes. Ce n’est pas une famille nombreuse pour les Mosuo dont la famille est matriarcale», a ajouté sa fille. À ce moment-là, les deux avaient déjà déposé devant moi des fruits, des bonbons et des graines de tournesol. Une sorte de bonbon local m’intéressait beaucoup et j’ai demandé à Gao Zuoma comment on le fabriquait.

Sa mère m’a offert un verre de vin local très moelleux. Puis, elle a commencé à me préparer un thé typique. Elle a d’abord cassé un morceau d’une brique de thé, l’a fait rôtir dans un pot puis l’a fait cuire doucement. Peu de temps plus tard, elle versait du thé dans mon verre. Gao Zuoma m’a révélé que c’était une coutume chez les Mosuo.

Elle m’a également dit que le village allait organiser une guozhuang (soirée) pour m’accueillir.

À la tombée de la nuit, les jeunes Mosuo se sont réunis au bord du lac et on a allumé un feu de camp. Au coup de sifflet et sous le rythme du tambour, les filles et les garçons ont commencé à danser, main dans la main, en chantant.

La guozhuang est une occasion où les jeunes peuvent mieux se connaître et se faire des amis. À travers la danse, ils se découvrent et peuvent tomber amoureux pour finalement devenir des compagnons de vie, sans avoir à se marier.

Mon séjour au lac Lugu avec les Mosuo m’a permis de connaître un peu leurs anciennes coutumes de mariage. « Axia » et « Azhu » sont deux mots de la langue ancienne des Mosuo qui signifient « compagnon intime ». Toutefois, « Axia » est utilisé entre les amoureux, alors que « Azhu » est utilisé par les autres personnes pour parler des amoureux.

Selon ce mode de mariage, la famille est dirigée par la mère. La femme y occupe la position suprême. L’homme et la femme qui ont déjà établi des relations intimes passent la nuit chez la mère de la femme. L’homme doit retourner chez sa mère pendant le jour. S’ils ont un enfant, ce dernier appartient à la femme et est élevé par la famille de celle-ci. N’ayant pas le droit légitime d’élever son enfant, le père ne vit pas avec lui. Il peut cependant lui rendre visite et lui assurer une bonne vie. Quant à l’enfant, il peut rendre visite à son père le jour du Nouvel An. En cas de besoin, l’homme peut vivre dans la famille de sa femme pendant une courte durée, mais il ne fait pas partie de cette famille.

Lorsque les gens sont jeunes, ils peuvent connaître plusieurs « Axia ». Ils doivent toutefois mettre un terme à la relation avec le premier « Axia » pour commencer le deuxième et choisir de vivre ensemble. Quand les gens n’éprouvent plus de sentiment l’un pour l’autre, ils se séparent librement et cherchent un autre « Axia ». Ni l’un ni l’autre ne formule de plaintes ni ne ressent de haine. Les autres personnes n’expriment pas non plus de préjugés sur cette séparation. Cette relation matrimoniale n’est pas protégée par la loi; les pouvoirs claniques ou religieux et la règle familiale ne s’y ingèrent pas non plus. N’ayant pas été influencés par les intérêts économiques et politiques, les gens ont établi leurs relations d’« Axia » sur la seule base de l’amour. Dans cette région, on ne connaît ni crime ni bagarre passionnels,  ni de différends familiaux. Dans la vie amoureuse, on respecte le sentiment et la personnalité de l’autre, au lieu de lui demander de vivre selon sa propre habitude de vie. La durée de la relation dépend entièrement de l’intensité des sentiments. Quand la femme n’ouvre plus la porte, l’homme sait qu’elle ne l’aime plus et ne revient plus chez elle. Même chose pour l’homme. S’il ne revient plus, la femme sait qu’il n’éprouve plus de sentiment pour elle et que leur relation est vraiment terminée. Dans ce cas, les deux parties recommencent à chercher un nouveau partenaire. Le mariage peut durer quelques mois, quelques années ou toujours.

Le feu de camp a pris de l’intensité et illumine le visage de chacun. Le bruit des pas et les chants retentissent dans le ciel, À ces bruits et en voyant le feu de camp, les gens des villages voisins viennent assister à la soirée.

Gao Zuoma est sortie de la foule et m’a invité à danser. Ému par cette ambiance animée, je me suis mêlé à cette foule joyeuse.

Au cours du voyage au lac Lugu, j’ai passé tout mon temps avec Gao Zuoma. J’ai fait paître les bœufs, travaillé dans les champs et canoté sur le lac.

Au moment du départ, la cour de la maison de Gao Zuoma était pleine de gens. Ils m’ont accompagné jusqu’à la sortie du village. À ce moment-là, j’ai entendu au loin le bruit du galop d’un cheval. C’était Gao qui était venue me dire au revoir. Je lui ai souhaité que toute sa vie soit remplie de bonheur.