SEPTEMBRE 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Les « petits empereurs » deviennent parents…

RONG JIAOJIAO

La première génération d’enfants uniques de Chine a maintenant atteint l’âge adulte. Ces enfants uniques sont à leur tour parents. Des sociologues nous révèlent de quelle manière le statut d’enfant unique de ces jeunes parents affecte leur vie adulte.

La sortie du dimanche, un rituel même pour les jeunes familles.

Un bébé gazouille sur un sofa. À ses côtés, sa mère, Liu Li, 26 ans, a les yeux rivés sur un feuilleton sud-coréen. Wu Xiuqin, la mère de Liu Li, soupire : « Maintenant, j’ai deux enfants à élever, ma fille et mon petit-fils » Les enfants de la génération de Liu Li ont été appelés « petits empereurs », des enfants gâtés nés à la fin de la décennie 1970, alors que la Chine avait mis en place sa politique de l’enfant unique. Les enfants uniques nés à cette époque sont maintenant eux-mêmes parents.

Wu Xiuqin est venue vivre avec sa fille et son gendre depuis que le bébé a six mois. « Ma fille et mon gendre sont tous les deux des enfants uniques, et ni l’un ni l’autre ne sait cuisiner, sans parler de s’occuper d’un bébé. Je dois les aider à s’occuper de leur fils et je cuisine pour eux », dit cette femme retraitée de 55 ans, originaire de Nanjing, province du Jiangsu. Liu Li, une enseignante, déclare que le bébé « n’était pas prévu » et impute la situation à une défaillance de la contraception. « J’ai pensé à l’avortement, mais j’ai changé d’idée, quand, en face de l’hôpital, j’ai soudain senti quelque chose bouger en moi », révèle-t-elle. Néanmoins, elle avoue qu’elle a pleuré à la vue de « cette petite créature rose toute fripée qui pleurait juste après l’accouchement ». Au début, elle n’osait même pas y toucher, de peur de briser ses petits doigts. Liu admet que, sans sa mère, elle serait passablement désemparée.

En 2004, il y avait 80 millions de familles d’enfants uniques en Chine, selon le Centre de recherche sur l’information démographique, un organisme de Beijing. Plus de six millions d’enfants uniques issus de ces familles sont maintenant en âge de se marier et d’avoir des enfants, c’est-à-dire ils ont de 26 à 35 ans. Selon les évaluations de ce Centre, les familles d’enfants uniques représenteront 71 % des familles de Beijing et 73 % de celles de Shanghai en 2035.

La vie adulte des enfants uniques

Prendre plaisir à la vie à trois.

Selon une enquête effectuée l’année dernière par le Centre de recherche sur la jeunesse de l’Académie des sciences sociales de Shanghai, des 1 828 parents âgés de 25 à 35 ans, 39 % étaient des enfants uniques. « La plupart des recherches précédentes sur la première génération d’enfants uniques avaient mis l’accent sur leur enfance ou leur quête d’emploi, déclare Bao Leiping de ce Centre de Shanghai, mais notre projet se préoccupe de leur vie adulte, comme leur perception du mariage et de la venue d’un enfant, leurs relations avec leurs parents, la pression d’avoir à élever un enfant. » La recherche montre que les enfants issus de famille à enfant unique ont tendance à avoir des rendez-vous amoureux beaucoup plus jeunes que les enfants issus de familles où les enfants sont plus nombreux. Quelque 34 % des enfants du premier groupe ont commencé à flirter avant d’avoir 20 ans, contre seulement 8 % parmi les enfants ayant des frères et sœurs. Cependant, les deux groupes ne diffèrent que légèrement en ce qui concerne leur attitude par rapport aux relations sexuelles prémaritales; plus de 13 % des jeunes du groupe des enfants uniques et 11 % des autres les considèrent comme acceptables. En ce qui concerne l’équilibre à trouver entre élever un enfant et développer sa carrière, près de 17 % des membres du groupe des enfants uniques, comparés à 12 % du groupe des autres, choisiraient leur carrière, même au prix d’avoir à sacrifier le fait d’avoir un enfant.

Ce qui intrigue les chercheurs, c’est que l’enquête indique que plus de 74,1 % des parents « enfants uniques » contre seulement 68 % des autres achètent non seulement des jouets pour leur enfant, mais également pour eux-mêmes. « Ceci indique que les enfants uniques accordent davantage d’attention aux sentiments et au développement personnel, selon Bao Leiping, et ceci peut les empêcher de trop gâter leur enfant, puisque le concept d’indépendance et d’équité est profondément enraciné en eux. »

Alors qu’elle était enceinte, Liu Li a choisi de se comporter comme elle l’avait toujours fait jusqu’alors. Elle regardait les matches de foot à la télé tard en soirée, se rendait seule à l’hôpital pour subir ses examens périodiques et offrait son siège aux aînés dans les autobus. « Mon mari m’a aussi encouragée à agir ainsi », dit-elle.

L’étude de Shanghai révèle une différence marquée entre les deux groupes en ce qui concerne les relations avec les parents. Le groupe des enfants uniques est plus dépendant des parents que celui des enfants issus de familles ayant plus d’un enfant. Quelque 18 % des membres du groupe des enfants uniques comptent sur l’argent de leurs parents pour payer la noce et l’appartement, contre seulement 10 % des autres. Quelque 50 % des enfants uniques adultes vivent avec leurs parents, alors que seulement 28 % des autres le font. Une telle tendance préoccupe les sociologues. Selon Bao, règle générale, plus une famille est à l’aise, plus elle est petite, avec seulement deux générations sous le même toit. « Cependant, les parents “enfants uniques” vivent souvent avec leurs parents pour que les aînés puissent s’occuper du petit-fils ou de la petite-fille, ce qui donne lieu à de nouveaux conflits entre les deux générations d’adultes sur la manière d’élever l’enfant. »

Les conflits parentaux

Qian Qian, le mari de Liu Li, a connu sa part de ce type de conflits. « Quand mon fils avait deux mois, ma belle-mère voulait lui donner des produits à base de blé, comme elle l’avait fait pour sa fille. Mais ma femme n’était pas d’accord et disait qu’elle avait appris par Internet qu’on devait donner seulement du lait au bébé jusqu’à ce qu’il ait quatre mois, dit cet ingénieur de 26 ans; finalement, ma belle-mère a cédé. » Chaque soir, la mère et la fille donnent le bain au bébé, et chaque fois, il y a un débat sur la position du bébé et sur le temps durant lequel il devrait rester dans l’eau. Dans ce contexte, le père n’a qu’à jouer avec le bébé. Lorsque la mère de Liu Li rentre chez elle durant le week-end, cette dernière dit que le bébé mange moins et sourit moins. « La plupart du temps, il regarde à gauche et à droite comme s’il cherchait ma mère », dit-elle. Trop de dépendance envers la grand-mère peut compromettre la capacité de la jeune mère d’élever un enfant et d’établir une intimité avec son enfant, avertit Bao. « Puisque, la plupart du temps, c’est la grand-mère qui s’occupe des choses courantes, la mère peut perdre l’attachement de l’enfant, et ce lien est important. Par contre, le partage des soins de l’enfant peut mettre l’enfant en contact à la fois avec l’éducation traditionnelle et moderne, cela a donc des avantages. »

S’occuper de ses parents

En plus de rester enfantins lorsqu’ils deviennent parents, selon Bao, lorsqu’ils auront atteint la quarantaine, les enfants uniques comme Liu Li sentiront probablement la pression d’avoir à prendre soin de deux vieux couples : leurs parents et leurs beaux-parents. Cette situation peut être un fardeau pour un jeune couple ayant un ou même deux enfants. Chen Gong de l’Institut de recherche démographique écarte les préoccupations concernant les soins à donner à la génération précédente, en disant que les services de bien-être sociaux s’améliorent constamment. « Avec le développement de la société, davantage de ressources sociales seront allouées au soutien des personnes âgées qui ne dépendront plus seulement de leurs enfants pour prendre soin d’eux. Il y a déjà des services communautaires, et à l’avenir, des services de bien-être joueront un rôle plus actif pour ce qui est des soins à apporter aux personnes âgées », dit Chen. « Dans l’ensemble, ajoute-t-il, il n’y a pas de grandes différences entre les enfants uniques et ceux qui ne le sont pas. Bien que les enfants uniques aient reçu davantage d’attention,  il n’est pas juste de dire qu’ils sont égoïstes, gâtés et paresseux. La politique de planning familial leur a fait gagner du temps, et elle a fait de même pour la société; celle-ci est en mesure de leur fournir des ressources culturelles et matérielles sans précédent. Bien sûr, ils ont leurs problèmes, mais ils trouveront certainement leur façon de survivre en tirant parti de ces ressources. »

En dépit de sa dépendance à l’égard de sa mère, Liu Li déclare : J’ai grandi et j’ai appris beaucoup auprès du bébé ces six derniers mois, et à l’avenir, nous continuerons de grandir ensemble. »

Cet article a déjà paru en anglais dans le « China Daily ».