SEPTEMBRE 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Au pays des Miao, des Hani et des Yi

(I)

Lisa Carducci

Les Miao de Chine comptent actuellement une population de 7,4 millions de personnes. Ils habitent principalement le Guizhou (50 % d’entre eux), le Yunnan, le Hunan, le Sichuan, Hainan et le Guangxi, et se subdivisent en plusieurs catégories. J’ai rendu visite à deux familles de Hongzhai et de Xiao Dong Shan, dans le département autonome hani, miao et yi du Yunnan. Des 56 ethnies qui composent la nation chinoise, 18 sont présentes au Yunnan. Avec le couple de professeurs retraités Gao Zisheng et Fu Chuanren chez qui je résidais pendant mon séjour à Mengzi, je me suis présentée devant la porte en fer de la cour où quatre cerbères  –heureusement enchaînés– m’ont fait comprendre que j’avais avantage à me bien comporter. Puis, le sourire de Wang Xiaojing est apparu.

La grand-mère et quelques-uns de ses petits-enfants.
Pr Fu Chuanren, Wang Xiaojing et l’auteur. À gauche, le « salon » dont il a fallu chasser les poules pour accueillir les visiteurs. À droite (mur blanc), la maison de la mère de Wang.
Voilà comment on attache un enfant sur le dos d’un adulte pour se libérer les mains.
Les serveuses hani du restaurant chantent pour nous inviter à visiter leur coin de pays.

Wang : Oh! C’est vous? Soyez les bienvenus. Entrez, entrez donc!

Nous la suivons au salon. Elle chasse d’abord les poules avant de nous inviter à nous asseoir sur un sofa en rotin sans coussins. Du plafond pendent deux attrape-mouches collants, remplis à pleine capacité.

Wang porte sur le dos un enfant qui aurait besoin d’être mouché, ce à quoi elle procédera du revers de la main avant la prise de photo.

C’est votre petit-fils?

J’ai déjà huit petits-enfants! L’aîné a treize ans.

Combien d’enfants avez-vous eus?

Un fils, quatre filles. Ils ont chacun deux enfants, sauf la cadette de 26 ans qui ne veut pas se marier.

Et vous, quel âge avez-vous?

Cinquante et un ans.

Vous êtes en bonne santé?

Non. À 45 ans, j’ai subi une opération au foie. Et j’ai le cœur faible.

Entre une jolie fillette en robe traditionnelle miao, soit une jupe de soie à plis fins.

Je peux prendre une photo de toi avec ta cousine?

Attendez, tante. Je vais demander à maman de me recoiffer.

Tu vas à l’école, Li Wangqing?

Je vais au jardin d’enfants. J’ai six ans.

Elle parle putonghua (le chinois standard), et sait lire. Sa grand-mère est analphabète et ne parle que le dialecte local et, avec les siens, la langue des Miao.

Vos enfants ont fréquenté l’école jusqu’à quel niveau?

Deux sont diplômés du 1er cycle de l’école secondaire (l’instruction obligatoire est de neuf ans en Chine), un n’a pas fini le secondaire, et deux ont terminé l’école primaire (six années).

La petite Li s’amuse avec sa cousine Luo Xinming, 3 ans, de père han. Elles jouent à servir des invités imaginaires. Circulant avec élégance, dans une attitude adroite et presque théâtrale, l’aînée transporte sur une planche servant de plateau des touffes d’herbe en guise de mets, le tout recouvert d’une serviette.

De quoi vivez-vous?

Nous élevons des cochons, quatre en ce moment, et une trentaine de poulets. Mon mari, Li Xinghua, les vend au marché. Il est mon cadet d’un an.

Quel est votre revenu familial annuel?

Difficile à dire (elle calcule mentalement). Environ 10 000 yuans (1 200 $US).

Pour combien de personnes?

Notre foyer compte mon mari et moi, mon fils, sa femme et leurs deux enfants, et ma mère. Sept personnes.

Sur le sol en terre battue, je remarque une cuvette contenant des morceaux de bois brûlé. C’est là qu’on fait du feu pour préparer les repas.

Vous brûlez du charbon aussi?

Non, le charbon est trop cher : 230 yuans la tonne.

Vous disposez de combien de terre?

Nous avons 5 mu distribués par l’État, et 4 autres mu loués, en haut près du stade sportif. Nous avons aussi 7 ou 8 mu en arbres fruitiers. Les céréales, nous les achetons.

Vous avez toujours vécu ici?

Je suis née dans cette maison. Autrefois, les Miao habitaient dans la montagne, sans chemin, sans eau. Après la Libération, le gouvernement a donné la terre aux paysans ici, dans la plaine.

Vous avez l’eau courante?

Nous avons un puits dans la cour, à l’usage exclusif de notre famille.

Vos vêtements traditionnels, vous les confectionnez vous-mêmes?

Autrefois, nous fabriquions même le tissu. Ensuite, nous avons commencé à acheter le tissu et confectionner les vêtements. Et maintenant, nous les achetons tout faits.

En quel tissu sont vos jolies jupes?

En soie, comme celle de la petite; en coton, ou en synthétique pour la maison. Mais les broderies et ornements sont encore tous faits à la main.

Le plissage est-il permanent?

Oui. On le fait avec un fer spécial. Il résiste au lavage.

Dans la chambre, je vois une cuvette de toilette creusée dans le sol avec un seau d’eau à côté.

Wang insiste pour que nous restions à déjeuner, mais le temps dont je dispose me prive de ce plaisir.

Dans la cour, les cousines jouent maintenant à laver les manchettes de grand-maman, les chaussettes de papa et divers torchons. Elles ont le geste professionnel, et le savon mousse abondamment.

Wang : Regardez, c’est une cabine de douche que nous venons de faire construire.

Spacieuse, tout en béton à l’intérieur et recouverte à l’extérieur de tuiles blanches en céramique; la cabine reçoit son eau d’un baril chauffé par le soleil, installé sur le toit.

La mère de Wang vit dans une pièce séparée, de l’autre côté de la cour. Elle refuse de se laisser photographier, car il lui manque trois dents, dit-elle, en ouvrant largement la bouche pour nous le prouver. Wang nous raccompagne, selon la politesse chinoise, jusqu’au bout du chemin.

Comme j’ai l’intention de me procurer des éléments du costume miao, on m’indique à 1 km la maison de deux sœurs qui en confectionnent pour le marché. L’aînée, pour se libérer les mains, demande à sa sœur de l’aider à attacher sur son dos sa petite-fille de 18 mois avec la courroie brodée à cet effet. La fillette a les deux pieds pansés de la façon la plus élémentaire et la moins antiseptique. Un bandage tombe, et j’aperçois la peau rosée qui résulte d’une brûlure profonde en train de se cicatriser, sans aucune médication. Dans sa main, l’enfant tient une souris, du sang frais encore au museau.

Je n’aurais que faire d’un costume complet, malgré sa beauté, et me contente de quelques tabliers que j’utiliserai pour parer des dossiers de chaises.

Le lendemain soir, pour me remercier de la conférence que j’avais donnée à sa d’anglais, l’université Honghe m’a invitée à choisir entre un restaurant français, dans une ancienne gare, ou un restaurant tenu par des Hani. J’ai, sans hésitation, opté pour le second.

Concentrés principalement dans les régions montagneuses entre la Honghe (rivière Rouge) et le fleuve Lancang, dans le sud du Yunnan, les Hani s’adonnent à l’agriculture. Leur population est de 1,25 million.

Le restaurant nous attendait, niché au cœur de la forêt. De la rue à l’entrée, nous circulions entre deux rangées de fleurs et d’arbres fruitiers, surtout des bibaciers. Certains clients préfèrent dîner dehors, d’autres dans la grande salle. Mais le restaurant dispose également de petites maisons de bois sur pilotis, qui accueillent un groupe de convives à la fois, préservant ainsi l’intimité et le cachet familial.

Après nous avoir servi des mets typiques de leur ethnie, les trois jeunes filles en costume traditionnel hani nous ont offert quelques chansons en chinois et dans leur langue.

Pourriez-vous nous expliquer en chinois le contenu de votre chanson?

Bien sûr! C’est d’abord une description de notre patelin, puis une invitation à le visiter.

Y a-t-il des villages hani dans les environs?

Malheureusement, il faut faire quatre ou cinq heures d’autocar pour vous rendre chez nous, mais allez-y si vous en avez le temps, vous ne le regretterez pas.

Je crois bien devoir me priver de ce plaisir, car il ne me reste qu’une journée.

La plupart des Hani portent-ils le costume national tous les jours?

Oui, sauf les fonctionnaires, les cols blancs. Mais nous portons rarement la coiffe; c’est plus pratique ainsi.

(À suivre, le mois prochain)