SEPTEMBRE 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Le théâtre d’ombres, un ancêtre oublié du cinéma

HUO JIANYING

À l’ère des effets spéciaux et des éclairages sophistiqués, il est temps de faire campagne pour redécouvrir la simplicité du théâtre d’ombres et redonner vie à ces silhouettes qui, aujourd’hui, ne sont que trop souvent simples objets de collection.

Graveur de silhouettes du théâtre d’ombres.
Représentation à l’aide de la technique moderne.
Cavaliers.
Table, chaise et sceau utilisés par les mandarins au théâtre.
Tête d’un empereur d’âge moyen qui, au théâtre, joue le rôle de Sheng.

L’art de la lumière et de l’ombre, sous une forme cinématographique, est apparu il y a 100 ans en Chine. Mais la recherche des Chinois sur cet art date de plus longtemps encore.

Dans l’Antiquité, on considérait les corps lumineux dans la nature et même ceux de la voûte céleste comme des divinités. Pour cette raison, la lumière et l’ombre prenaient une couleur mystérieuse. Le célèbre poète Li Bai de la dynastie des Tang (608-907) a composé les vers suivants par une belle nuit de lune:

« Levant ma coupe, je convie le clair de lune;
Voici mon ombre devant moi : nous sommes trois
.» 

Le poète présente son sentiment romantique et nous permet de découvrir que nos anciens considéraient la silhouette de la lune et son ombre comme un corps intégré et vivant.

Durant la dynastie des Han, un alchimiste a mis en scène un type de théâtre appelé l’âme par l’ombre, ce qui avait alors mystifié beaucoup de gens. D’après cela, on a rédigé les anecdotes formant le fameux roman mythologique Chercher les divinités. Bien que le roman raconte une histoire d’amour d’après une histoire vécue, il ajoute des récits fantastiques, ce qui amène un dénouement qui donne à réfléchir.

Le plus ancien théâtre d’ombres

Liu Che, empereur Wudi des Han (156-87 av. J.-C.) ; était un homme de talent et un stratège audacieux. Il a édifié une époque de paix et de prospérité.

Dans l’histoire chinoise, cet empereur des Han a eu un nombre considérable de concubines et de favorites. En effet, l’empereur Liu Che a eu 18 000 dames de la cour, mais parmi elles, ses favorites n’étaient pas très nombreuses. Lorsque Dame Li est entrée à la cour, elle est devenue en peu de temps sa favorite. L’empereur et elle sont devenus inséparables comme le corps et son ombre. Dame Li était une femme intelligente et belle. Son frère s’occupait de la musique et de la danse à la cour. Influencée par sa famille, dès l’âge tendre, elle s’était engagée dans les milieux artistiques et était douée pour le chant et la danse. L’empereur Liu Che n’a eu que six fils, bien qu’il ait eu de nombreuses femmes et concubines qui auraient pu lui donner des enfants. Dame Li est la mère du cinquième prince. Cette dame, fort favorisée par l’empereur, est décédée très jeune. En pleine maturité, elle est tombée malade et ne s’est jamais remise. L’empereur lui a rendu visite, mais elle a toujours caché son visage et son corps en disant qu’elle ne pouvait lui laisser voir son visage sans maquillage, et elle lui a demandé d’attacher surtout de l’importance aux affaires de l’État et de bien s’occuper de leur fils et de sa famille. Dame Li est morte, mais l’empereur a toujours gardé un vif souvenir de sa belle physionomie.

La mort de Dame Li a brisé le cœur de l’empereur. Il a donc demandé qu’elle soit enterrée selon les rites réservés à l’impératrice et de dessiner son portrait d’après l’impression qu’il gardait en mémoire pour que ce portrait soit accroché à la cour. L’empereur n’avait plus aucune envie de gouverner et marchait de long en large toute la journée autour du portrait de Dame Li, ce qui inquiétait les hauts fonctionnaires de la cour. Un alchimiste du Shandong appelé Li Shaowang se présenta un jour en déclarant être capable d’entrer en contact avec les immortels et de rappeler l’âme d’un mort. On le convoqua donc à la cour. Une fois arrivé et à la suite de manœuvres délibérées, il mit en scène un théâtre extraordinaire. Dans un terrain libre, il installa deux tentes d’étoffe de gaze blanche, et à minuit, il invita l’empereur Wudi à s’asseoir dans une tente et à regarder l’autre qui se trouvait en face. Tout à coup, la tente s’illumina, et sur l’étoffe de la tente apparut une silhouette de jeune femme, tantôt qui s’asseyait, tantôt qui se relevait et marchait. La silhouette et la tenue de cette dame ressemblaient à celles de Dame Li. En regardant cette silhouette, l’empereur Wudi cria sans arrêt le nom de Dame Li et sortit précipitamment pour se diriger vers l’ombre. Mais en approchant d’elle, la lumière s’éteignit et la prétendue Dame Li disparut dans l’obscurité. Cette anecdote décrit réellement la représentation d’un théâtre d’ombres pendant la dynastie des Han.

La formation et le développement du théâtre d’ombres

Quelles méthodes utilisées par cet alchimiste avaient permis de produire l’ombre de la Dame Li, on en parla à qui mieux mieux. L’un disait que la marionnette avait été fabriquée d’un matériau particulier, un autre croyait que le papier avait été découpé pour épouser la forme de la silhouette de cette dame, et même qu’une personne jouait le rôle en utilisant la technique de l’éclairage pour mettre en scène un théâtre d’ombres. En effet, l’utilisation de cette méthode peut remonter avant la dynastie des Han, et elle s’était répandue ensuite parmi les masses. Prenons l’exemple de l’ombre des mains. En changeant la position de doigts agiles de deux mains, sous l’éclairage de la lumière, on a pu obtenir différentes images, ce qui a donné lieu à l’apparition du petit théâtre d’ombres de mains. Les archives de la dynastie des Han mentionnent que les dames de la cour découpaient des feuilles d’arbre en forme de personnages et d’animaux pour les refléter sur la moustiquaire des fenêtres afin d’amuser les enfants. C’était le commencement de l’époque du théâtre d’ombres, mais après la dynastie des Han, la société a vécu une période de guerre de plus de 300 ans. Pour la formation et le développement du théâtre d’ombres, il faudra attendre l’avènement de la dynastie des Tang, au VIIe siècle.

Le théâtre d’ombres a atteint la pleine maturité et la popularité seulement au Xe siècle, sous la dynastie des Song. En consultant des archives et des documents de cette époque, on peut trouver facilement des descriptions complètes sur la représentation, la méthode, les thèmes du théâtre d’ombres et l’appréciation des spectateurs. À cette époque, les troupes professionnelles sont apparues : elles présentaient leur numéro non seulement dans la famille ou dans la rue, mais aussi dans un théâtre. Aux jours fériés, dans les rues et les ruelles, on installait parfois un abri de fortune et une scène pour présenter le théâtre d’ombres. Un flot de spectateurs se pressait pour y assister.

Il y a deux ans, un téléfilm chinois appelé Daming Gongci « Histoire de la cour des Grands Ming » a décrit parfaitement la lutte politique et pour la vie de la cour des Ming. Dans ce film, l’empereur Gaozong et la princesse Taiping exprimaient leurs sentiments mélancoliques à l’aide du théâtre d’ombres, ce qui nous a permis de connaître la fascination du théâtre d’ombres par la télévision

Les représentations de théâtre d’ombres ont été en vogue jusqu’à l’apparition de la cinématographie, mais le théâtre d’ombres comme art existe toujours.

À l’étranger, des spécialistes du cinéma ont parlé des œuvres du théâtre d’ombres chinois comme étant des éléments importants pour la cinématographie, notamment l’éclairage, le rideau, les ombres mobiles et même les trucages.

Bien que le théâtre d’ombres soit une réflexion sur un rideau à l’aide de l’éclairage, règle générale, il est toujours considéré comme un art théâtral. Une fois entré dans le marché et dans les divers milieux de la société, pour gagner l’appréciation des spectateurs, ce type de théâtre s’est intégré rapidement aux représentations théâtrales. À part de l’utilisation de l’ombre, le sujet, le contenu, la musique et l’air du théâtre d’ombres n’ont pratiquement pas de différence avec ceux du théâtre. Même dans le cas du personnage d’ombres, la physionomie, l’habillement et les rôles font référence à l’art théâtral et scénique.

Dès sa naissance, le théâtre d’ombres s’est généralisé rapidement, a connu une grande vitalité et était très compétitif, grâce à ses caractères particuliers : légèreté de l’équipement, troupe peu nombreuse, facilité de déplacement et simplicité de la mise en scène pour la représentation. Une troupe compte en général de six à sept personnes. Dans ce contexte, une représentation demande beaucoup de compétence de la part des artistes. L’orchestre est composé de deux personnes, l’une pour les instruments à cordes et à vent, l’autre pour les percussions. Chaque personne doit donc maîtriser plusieurs instruments de musique. Le manipulateur fait bouger le personnage d’ombre au moyen d’un levier en marchant et en chantant selon le besoin.

Les thèmes du théâtre d’ombres sont puisés des anecdotes historiques, des légendes populaires et de la mythologie. La forme est variée : pièce unique, feuilleton, extrait, etc. Grâce à son contenu riche et à son vaste espace de représentation, le théâtre d’ombres est bien apprécié par les enfants.

La fabrication des silhouettes et le caractère artistique du théâtre d’ombres

La différence entre les airs, les matériaux utilisés pour les silhouettes, les façons de présenter la physionomie des silhouettes et l’origine décide de la formation de catégories et de types différents de théâtres d’ombres, mais tous ont une couleur locale, surtout dans le cas des chansons. Ce théâtre est répandu du Hebei au Henan, du Shandong au Shanxi, du Shaanxi et du Gansu au Zhejiang, ainsi qu’au Liaoning et à Beijing. Au début, les silhouettes étaient en papier ou en soie ou en coton, mais on a changé pour la peau de bœuf, de mouton et d’âne. La peau d’âne est la meilleure en raison de sa transparence et de sa robustesse. Pour la fabrication, il faut immerger les peaux dans l’eau pendant des jours, les peler, enlever le gras et les raser pour les rendre uniformes et transparentes. La silhouette est non seulement un accessoire, mais aussi un objet d’art. Elle présente à la fois l’art du papier découpé, l’art folklorique et les beaux-arts. Par ailleurs, pour adapter le caractère de la réflexion, elle forme sa propre esthétique. Elle combine l’abstrait et le concret, adapte les arts unidimensionnels, scéniques et les dessins animés pour former l’art du théâtre d’ombres. Elle doit épouser la forme d’une personne qui est composée de la tête, des parties supérieure et inférieure du corps, de deux bras, deux jambes, deux pieds et deux mains. La tête de la silhouette est la partie la plus importante. Elle peut être insérée dans différents corps pour former des personnages différents. C’est pourquoi, dans une malle d’accessoires de théâtre, on peut avoir 200 à 300 corps, mais plus de 1 000 têtes de silhouettes.

Il y a toutes sortes de têtes de silhouettes du théâtre d’ombres : visages vus de face ou de côté et mines différentes. Il y a aussi les rôles de théâtre : sheng (jeune homme), dan (jeune femme), jing (homme au visage peint) et chou (clown). Pour bien faire ressortir le caractère dans cette représentation unidimensionnelle, les sourcils et les yeux sont légèrement exagérés lors du dessin ou de la gravure.

La fabrication est bien soignée, ce qui permet de conserver longtemps les silhouettes du théâtre d’ombres. Maintenant, on peut trouver encore des silhouettes de l’époque des Ming et des Qing.  Malgré l’apparition du cinéma et la disparition progressive du théâtre d’ombres de la scène théâtrale, les silhouettes du théâtre d’ombres sont toujours un objet d’art que l’on aime collectionner.

Ce théâtre, né et largement répandu sur le territoire chinois, n’est qu’un des produits de la petite économie paysanne de l’époque féodale, mais il a brillé dans l’histoire millénaire de la Chine. Le progrès de l’époque et le développement des sciences et techniques lui ont fait perdre du terrain et son marché. Sa situation est difficile. Pourtant, nous pouvons constater avec joie que les projets de sauvetage de cet art populaire ont déjà démarré. Le théâtre d’ombres est classé dans la liste des œuvres à préserver.