SEPTEMBRE 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Les filles « modernes » au cinéma et dans la vie

WU SHOUZENG

Quelques archétypes de la femme chinoise qui nous instruisent sur les valeurs de leur époque respective.

« Aller au cinéma, c’était être ébloui par les déesses du cinéma ou les belles filles “ modernes ”! », se remémore Hao Licai, 82 ans, en parlant des films des années 1920 et 1930.

Ruan Lingyu : la beauté orientale d’un vedettariat européanisé

Li Zi’er, une femme 88 ans de Shanghai, me montre une coupure de journal et des photos de scène de sa collection sur Wang Hanlun, la première vedette chinoise de cinéma. « Quand j’étais jeune, j’étais aussi passionnée de vedettes du cinéma que ma petite-fille l’est maintenant! » Dans sa jeunesse, Li a vu Gu’er Jiu Zu Ji (Un orphelin sauve son grand-père) à six reprises, un film dans lequel Wang Hanlun     tenait le premier rôle. L’apparition des premières vedettes féminines a fait sensation dans toute la société à cette époque-là. Ces vedettes étaient omniprésentes. On pouvait voir leurs visages sur les affiches dans les rues et les entendre dans les publicités à la radio. Une vedette avait même servi de porte-parole en anglais pour la savonnette Lux.

Quand la première génération de ces vedettes de cinéma a fait son apparition dans la société d’alors, entièrement dominée par les hommes, elle a quand même élaboré et imposé une nouvelle image des femmes chinoises. Ces vedettes de cinéma ont aussi appris à leurs sœurs qu’en tant que femmes modernes, elles ne devaient pas être gênées d’exprimer leur propre personnalité, leur caractère et leurs pensées. 

Sous l’influence occidentale, de la coiffure au maquillage, les vedettes chinoises avaient une allure européenne. Malgré leur apparence différente, elles avaient toutes des sourcils bien arqués et fins, des rouges à lèvres lourds et des cheveux courts permanentés. Les souliers à talons aiguilles et les bas de soie étaient le symbole populaire de l’habillement féminin et évoquaient le luxe. Néanmoins, ces vedettes n’étaient pas aussi sensuelles que les starlettes de Hollywood; elles étaient plus pudiques, n’ayant tout au plus que les bras à découvert.

L’exception parmi ces vedettes chinoises européanisées, c’était l’actrice de films muets Ruan Lingyu, une beauté typiquement orientale. Pour les spectateurs, elle incarnait une femme traditionnelle à l’air triste; ses rôles étaient la personnification des vertus chinoises traditionnelles. Dans la vie de tous les jours, elle portait des vêtements traditionnels et représentait la grâce et l’élégance orientales.  Son souhait le plus cher était de mener une vie confortable et agréable avec un homme bien. Mais finalement, après avoir laissé une simple note disant «Les ragots tuent», Ruan Lingyu a mis fin tragiquement à ses jours en absorbent une forte dose de somnifèresCertains critiques ont comparé son charisme et sa mort mystérieuse à ceux de Marilyn Monroe bien que leur sex-appeal n’ait pas été le même . Aussi, avec ses charmes spéciaux, Ruan Lingyu a réconforté les cœurs et les esprits de millions de Chinois qui étaient aux prises avec la guerre de Résistance contre l’agression japonaise. Il n’est pas surprenant que cette vedette ait eu des milliers de fans. Dans les rues de Shanghai, le 14 mars 1935, près de 300 000 personnes lui ont spontanément rendu un dernier hommage ; à cette époque-là, bien que les vedettes aient été célèbres, leur réputation n’était pas très bonne ou valorisée dans la société. Selon un journaliste du New York Times qui travaillait alors à Shanghai, cette manifestation était très importante : « C’est la sépulture la plus importante du monde », avait-il écrit.

Avec la diffusion des nouvelles tendances de pensées, l’appel et l’exigence de la libération de la femme se reflétaient dans les films. Il y avait de plus en plus de personnages de « femmes nouvelles » à l’écran; Ruan Lingyu a aussi joué le rôle des femmes qui voulaient être indépendantes et changer leur destin de « jouets » des hommes. Malheureusement, ce destin tragique lui a coûté la vie.

Zhang Ruifang : une vedette féministe

Scène du film Li Shuangshuang

Après la fondation de la République populaire de la Chine en octobre 1949, la figure de la « femme nouvelle » a occupé une vraie place au grand écran. À partir de ce moment-là, le sexisme et les règles injustes imposées aux femmes ont été éliminés en Chine. Les femmes ont été regroupées et encouragées à travailler dans tous les domaines, surtout les domaines où les hommes occupaient une place dominante depuis longtemps. Le gouvernement a élaboré et promulgué une série de lois afin d’assurer une véritable égalité entre l’homme et la femme dans la société. Le nouveau point de vue « l’ancienne époque est révolue; aujourd’hui, toutes les personnes sont égales » a gagné en popularité grâce aux nombreux films sur ce sujet.

En fait, Zhang Ruifang n’était pas très belle, mais le film Li Shuangshuang (1962) l’a rendue célèbre. Ce film est une œuvre représentative des films de cette époque. Dans le film, Zhang Ruifang jouait le rôle de la paysanne nouvelle –Li Shuangshuang–, qui disait publiquement qu’elle lançait un défi aux hommes; elle faisait de gros et durs travaux que seuls les hommes accomplissaient généralement. Li Shuangshuang a renversé le rôle traditionnel des femmes : mère, servante et ménagère. Elle a plutôt participé à toutes sortes d’activités communautaires, sans chercher ses intérêts personnels. Elle s’appliquait dans ses études pour mettre pleinement en valeur son potentiel. À l’opposé, son mari était peureux, égoïste, mesquin et individualiste. Sous un angle actuel, il semble que Li ait trop valorisé les droits des femmes et gommé les avantages féminins que l’on appréciait à l’époque de Yuan Lingyu. Li Shuangshuang a vraiment été un exemple pour les femmes des années 1950-60. Son sourire, sa voix, son allure étaient tous imités. En 1963, Zhang Ruifang a remporté le prix des Cents Fleurs (Bai Hua Jiang), l’équivalent chinois des Oscars, pour ce rôle.

L’appel lancé aux femmes d’être les égales des hommes – comme  Li Shuangshuang –, a représenté non seulement l’égalité entre l’homme et la femme, mais aussi l’élimination des discriminations envers le sexe féminin. Par conséquent, cette libération sans précédent des femmes a réussi à émanciper les esprits et à éliminer l’esclavage physique des femmes. Toutefois, en même temps, elle a mis de côté les caractéristiques féminines des femmes en renforçant leur rôle social. Pendant longtemps, les femmes fortes et simples ont été les plus populaires.

Artifices féminins pour sirènes seulement

Scène de Journal d’une infirmière

Pendant les 30 ans d’isolement de la République populaire de Chine, on ne s'attendait pas à ce que les vedettes de cinéma exhibent leurs charmes féminins autrement qu'en jouant les rôles d’espionnes du Guomindang, les épouses gâtées, les maîtresses d’hommes riches corrompus ou des rôles secondaires. Les héroïnes étaient essentiellement dépeintes comme des femmes remplies de vitalité, avec de grands yeux qui brillaient de sincérité sous des sourcils audacieux et accentués, et portant des vêtements neutres et informes.  Quelques réalisateurs astucieux leur faisaient parfois prendre un petit parasol occidental comme accessoire. Le public, en manque d’esthétisme, admirait donc les actrices de ces rôles mineurs, en étaient obsédé et les imitait.  Les hommes étaient séduits et les femmes aimaient copier leur coiffure. Prenez le film Hushiriji (Journal d’une infirmière) par exemple. À cause de ce film, les hommes rêvaient d’épouser une infirmière et les filles voulaient toutes en être une et porter l’uniforme. On disait que l’infirmière de ce film avait une séduction féminine qui dépassait la mesure de cette époque-là.

Dans un article, on relate : « Pendant un certain temps, parmi les jeunes femmes, il y a eu une mode de laver ses cheveux tout juste avant la projection courante du samedi soir et d’arriver au cinéma avec les cheveux à moitié humides qui cascadent sur les épaules. Ce stratagème ne dupait pas les jeunes hommes de service, mais donnait lieu à des commentaires du genre : “ Regardez. Elle fait encore sa Petite Colombe blanche”. Petite Colombe blanche était le surnom d'une espionne, dans le film Lin Hai Xue Yuan tourné en 1960 (Mer de forêts sous la neige), qui accompagnait un détachement de l’APL pour combattre des bandits qui se cachaient dans les montagnes de la Chine du Nord-Est. Dans une scène, elle empruntait un livre à l'homme avec qui elle était secrètement en amour, ses cheveux fraîchement lavés et cascadant sur ses épaules. Elle n’avait qu’un rôle secondaire, mais les gens l’aimaient beaucoup. Encore aujourd’hui, beaucoup d’hommes aiment Petite Colombe blanche à cause de ses cheveux humides, bien qu’elle ait été une espionne dans le film. »

Une autre mode a commencé grâce à un film dans lequel une espionne du Guomindang danse la rumba, une danse dont les jeunes Chinois n’avaient jamais entendu parler. En un rien de temps, tous les jeunes hommes et jeunes femmes se sont mis à étudier la rumba avec enthousiasme.

Pendant les dix ans de la Révolution culturelle (1966-1976), les femmes ont été dépeintes comme des révolutionnaires asexuées. Les cheveux droits de l’héroïne de l’opéra de Pékin Colline d'azalées est devenue très en vogue. Les films de cette période ne présentaient aucun attribut féminin autre que des visages sains.

Maggie Cheung : La vogue de la qipao

Scène du film In the Mood for Love

Au XXIe siècle, on dit que les filles à la mode invitent leur tailleur au cinéma pour qu’il voie la qipao (robe à la chinoise) dans le film et en confectionne une semblable pour elles. C’est le film In the Mood for Love  de Wong Kar Wai. On a oublié l’intrigue de ce film, mais on se souvient toujours de la vingtaine de jolies robes portées par Maggie Cheung. La qipao lui sied parfaitement, rehausse son élégance et sa grâce et illustre son goût à la chinoise. Je pense que les boutiquiers sont plus contents que les investisseurs de ce film, parce que beaucoup de femmes ont voulu acheter une qipao pour suivre la mode après avoir vu ce film. La qipao est redevenue en vogue.

La première fois que la qipao a été à la mode, c’était dans les années 1930. D’une part, elle s’harmonisait à l’esthétique de cette époque et présentait la silhouette filiforme des femmes chinoises.  D’autre part, les actrices la portaient souvent en public. Elle est donc devenue le symbole du goût chinois. En y ajoutant des touches occidentales, par exemple une taille plus cintrée et la longue fente sur le côté, la qipao a été améliorée : on l’appelle la robe à la shanghaïenne.

Zhang Ziyi: Un visage chinois parmi les célébrités internationales

Zhang Ziyi a finalement joint les rangs des célébrités de Hollywood en remportant le rôle-titre de Memoirs of a Geisha de Steven Spielberg. Elle est la seule vedette féminine chinoise à avoir été invitée en tant qu'invitée d’honneur aux Oscars, et sa photo a fait la couverture de plusieurs magazines internationaux. Ses admirateurs parlent d’elle comme de la « Perle de l'Orient », et sa réputation internationale est égale à celles de Gong Li et de Maggie Cheung. Jusqu'ici, elle ne parle qu’un anglais hésitant, mais elle est néanmoins l'actrice chinoise « la plus internationalisée ». À 26 ans, dans des festivals internationaux, elle adopte la tenue occidentale au lieu de la qipao qu’elle aime beaucoup.

La montée de Zhang au firmament des vedettes a sûrement été accélérée par ses relations de travail avec le réalisateur Zhang Yimou, au début de sa carrière. Depuis lors, elle a travaillé avec des réalisateurs célèbres de Hongkong, de Taiwan et maintenant de Hollywood – notamment Steven Spielberg. Cette montée en flèche l'a débarrassée de tous les vestiges de timidité et de réserve qu’elle pouvait avoir. Elle est maintenant osée, franche et inflexible quand il s’agit d’atteindre ses buts.  Par exemple, elle n’hésite pas à s’asseoir sur Jackie Chang, à faire l’amour avec un homme riche en public et à demander au réalisateur d’avoir un rôle plus consistant dans un film. Dans ce sens, elle est tout à fait une personnalité controversée. Ses admirateurs adorent sa beauté toute menue et sa personnalité « internationalisée », alors que ses détracteurs disent qu’elle est sans contredit arrogante et que ses talents d’actrices sont médiocres. « Quand j'ai rencontré Zhang Ziyi pour la première fois, elle était une étudiante d'université de 19 ans. » se rappelle le réalisateur Zhang Yimou avec qui elle a collaboré à deux reprises; «  Elle connaissait peu le monde du cinéma, était naïve et puérile sous beaucoup d’aspects. Elle a appris beaucoup depuis lors et sait exactement ce qu'elle fait. Si elle peut arriver à avoir une approche moins pragmatique, elle aura un brillant avenir. »