SEPTEMBRE 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Le film, ma façon de vivre

YU XIANGJUN

Des confidences d’un mordu du cinéma qui nous révèlent beaucoup sur l’impact du septième art.

      Le film constitue la partie la plus importante de ma vie quotidienne. Si, pendant une semaine, je ne me rends pas dans les boutiques de VCD/DVD ou que je ne parcours pas les nouvelles informations sur les films dans Internet, j’ai du mal à dormir.

      La première fois que j’ai regardé un film, j’avais 4 ans, et le titre était Ying Xiong Er Nv (Les descendants héroïques) . C’est un film chinois. Je l’ai visionné plus de vingt fois, non pas parce que je l’aimais beaucoup, mais parce que j’étais obligé de le regarder. J’ai vécu la dernière étape de la Grande Révolution culturelle (1966-1976), et à cette époque-là, le tournage et l’importation de films étaient encore restreints. À part un petit nombre de films chinois, il n’y avait que quelques films exportés des pays socialistes, tels que l’Albanie, la Roumanie, la Corée du Nord, etc. Par conséquent, chaque film était toujours diffusé plusieurs fois. Les gens de mon âge ou plus âgés que moi pouvaient tous chanter les chansons des films de cette époque-là; beaucoup d’entre eux pouvaient même réciter des textes.  

      Dans ce temps-là, la plupart des films étaient diffusés en plein air et étaient gratuits. L’écran blanc était installé au milieu de la place. Là où les conditions locales étaient bonnes, il y avait une salle de projection, mais si ce n’était pas le cas, les projectionnistes devaient pédaler avec force sur une bicyclette pour produire de l’électricité afin que les films puissent être projetés. Si tous les sièges devant l’écran étaient occupés, des gens pouvaient même regarder les films derrière l’écran. Alors, pour savoir si un film avait reçu un bon accueil du public, il suffisait de compter les spectateurs derrière l’écran! Un vent violent était une catastrophe pour la projection du film en plein air, parce que l’écran flottait au vent, et le film flottait également...

Les films en plein air évoquent la vie passée. Scène du film Les descendants héroïques.

      Regarder des films chaque semaine était le seul loisir culturel des Chinois, y compris des enfants. Je me rappelle très bien que, lorsque j’étais petit, mes parents m’avaient interdit de regarder des films si je n’étudiais pas bien. Puisque j’avais vraiment peur de ne pas pouvoir regarder des films, je m’efforçais toujours de bien étudier.

      Une fois grand, je suis entré à l’Institut du cinéma, parce que des camarades plus âgés m’avaient dit que, chaque soir, ils pouvaient y regarder des films d’un peu partout dans le monde, même ceux qui étaient interdits de projection au grand public. Pendant mes études à l’Institut, j’ai participé aussi au tournage de quelques films. Mais finalement, je trouvais que ce que j’adorais, c’était de regarder un film et non pas de le réaliser. C’est aussi la raison pour laquelle, après avoir terminé mes études, j’ai travaillé comme photographe plutôt que comme réalisateur.

      C’était aussi pour regarder un film que, pour la première et dernière fois de toute ma vie, j’ai fait un faux ticket. À ce moment-là, Amarcord de Federico Fellini, un grand réalisateur italien, était projeté à mon Institut. Ce film était tellement populaire qu’on ne pouvait même pas acheter de tickets, même si on faisait la queue toute la nuit. Tous mes efforts pour en obtenir un avaient essuyé un échec; j’ai donc été obligé de contrefaire un ticket en trois heures, et finalement, grâce à celui-ci, j’ai vu ce film. Dépenser trois heures pour faire un faux ticket, c’est fou, n’est-ce pas? Actuellement, je suis vraiment surpris de la passion que j’éprouvais pour le film à ce moment-là.

      Les films m’ont appris beaucoup de choses, la façon d’observer la société, par exemple. Mon initiation à la sexualité a aussi été faite par le cinéma. Quand j’avais 7 ou 8 ans, à travers le film roumain Les vagues du Danube, j’ai découvert que l’homme et la femme pouvaient s’embrasser; et dans le film La vie effervescente, on ne voyait que les épaules et les jambes d’une jeune fille enveloppée dans une serviette de bain. Néanmoins, ces images étaient absolument interdites dans les films chinois.

      À cette époque-là, dans des films doublés, on trouvait souvent des parties qui n’étaient pas coordonnées, parce que beaucoup de plans avaient déjà été éliminés; même dans la classe de l’Institut du cinéma, s’il y avait des plans des organes sexuels, le projectionniste cachait tout de suite le projecteur avec ses mains. Ce qui était le plus intéressant, c’est qu’en 1985, pour réaliser le film Sacrifice of Youth, dont l’un des plans était une jeune fille qui se baignait, Qing Chun Ji, le réalisateur, s’est torturé l’esprit, et finalement, l’actrice a été obligée de se baigner dans une eau trouble en ayant seulement une épaule et le dos offerts à la vue.

      En ces temps-là, un garçon exprimait son amour à une fille en lui achetant un soda et en partant avec elle à bicyclette pour l’acheter, et ces expressions explicites et dramatiques nous influençaient profondément. In the heat of the Sun de Jiang Wen, qui est aussi considéré comme un film autobiographique, a utilisé ce mode d’expression. En regardant ce film, il m’a semblé retourner à ma jeunesse.

      Death on the Nile est le film qui m’a laissé l’impression la plus vive parmi tous ceux que j’ai vus. Au début des années 1980, après l’ouverture et la réforme, des films européens et états-uniens pouvaient être exportés en Chine. Toutes mes expériences de visionnement de films n’étaient plus valables pour Death on the Nile. Avant, dans les films chinois, la narration des histoires était vraiment simple : il suffisait de voir la moitié du film pour en connaître la fin. Au contraire, Death on the Nile était tout à fait différent. C’était justement à la fin du film qu’on pouvait découvrir qui était le tueur. De plus, on pouvait y admirer la culture et la vie de la société anglaise. Par conséquent, je l’ai vu à cinq reprises. Et grâce à ce film, j’ai développé une passion aveugle pour Agatha Christie et ses œuvres, ainsi que pour tous les films adaptés à partir de ses oeuvres. Il y a quelques jours, j’ai acheté un POLO Collection à cause de ma passion pour les films.

      Jusqu’à maintenant, j’ai collectionné plus de 800 VCD et DVD, mais il y en a seulement un que je peux voir cent fois sans me lasser : Singing in the rain. Ce film musical, réalisé dans les années 1950-1960 aux États-Unis, est comme un calmant; en effet, quand je souffre d’insomnie, d’agitation ou d’une mauvaise humeur, dès que je regarde ce film, je me calme tout de suite. Singing in the rain est le premier film musical que j’ai vu dans mon enfance, à une époque qui était à court de biens matériels et culturels. Je n’avais jamais vu de film aussi beau, aussi calme, aussi coulant et aussi gracieux.

      Pour moi, le film est un rêve, une expérience et un souvenir. Généralement, j’aime voir un film lorsque tous les autres membres de ma famille sont en dehors de la maison et que toutes les lumières sont éteintes. Je me prépare du thé et je décroche tous les téléphones.  Je ne veux que rester dans mon rêve −le film −, tous mes sentiments y étant alors concentrés, et à ce moment-là, aucun dérangement n’est le bienvenu.