JUILLET 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Nanjing : entre histoire et réalité

ZHANG XUEYING

M. Chang ressent de la colère par rapport à l’attitude du Japon face au massacre de Nanjing.

L’embarras du gouvernement municipal

Sur le boulevard ombragé par les platanes roulent les Honda et les Mazda; devant le mausolée de Sun Yat-sen, le panneau de pellicules Fuji du magasin de photos attire le regard; sur les étagères de la librairie au bord du lac Yuanwu, les ouvrages de l’écrivain japonais Murakamu Haruki sont alignés; et dans les magasins du centre-ville, les produits électroniques japonais abondent. Il est facile de trouver des produits japonais et des publicités sur ces produits dans les grandes villes chinoises, mais pas toujours à Nanjing.

M. Wu Zhe, directeur du département de la coopération commerciale avec l’étranger de la ville de Nanjing, dit : « En 2004, l’investissement japonais à Nanjing était de 70 millions de dollars US, mais au premier semestre de cette année, nous avons déjà signé 22 projets, pour un montant atteignant 500 millions de dollars US. Bien que ce montant soit une somme insignifiante en comparaison du fort volume du commerce entre la Chine et le Japon, pour la ville de Nanjing, c’est déjà un record historique.

Ce record provient des mesures prises par la municipalité de Nanjing ces deux dernières années.

Des soldats japonais massacrent la population de Nanjing.

En mars 2003, Jiang Hongkun, maire de Nanjing, a conduit une grande délégation afin de présenter le nouveau visage de Nanjing. À cet effet, le Groupe de jeunes artistes de Nanjing et l’Ensemble artistique de Yunjin sont allés au Japon et y ont tenu une activité intitulée Une journée à Nanjing . Durant la conférence de presse au Japon, le maire de Nanjing a maintes fois présenté avec sincérité l’environnement d’investissement de cette ville. Parallèlement, la ville a invité les hommes d’affaires japonais qui avaient investi à Nanjing à encourager davantage d’entrepreneurs japonais à y venir.

Xian Shaoming, un des membres de cette délégation, se souvient encore de la difficulté de cette visite. Au cours de la conférence, des journalistes japonais posaient sans cesse des questions sur le massacre de Nanjing. Les membres de cette délégation ont expliqué que Nanjing est une ville qui chérit la paix.

Des jeunes visitent souvent le Musée à la mémoire des morts du grand massacre de Nanjing. Photos de Dong Ning

Après la Seconde Guerre mondiale, Nanjing n’était plus une ville ordinaire; elle était un mémorial à la haine de la guerre et à la honte de la Chine. Le 12 décembre 1937, l’armée japonaise a massacré 300 000 personnes dans cette ville. Désormais, à 10 h, le 13 décembre de chaque année, la sirène antiaérienne fait entendre sa sonorité stridente à Nanjing. Cette façon de faire, commencée depuis 1997, rappelle aux gens cette histoire cruelle. Les vestiges historiques des six dynasties impériales, le Mémorial du massacre de Nanjing, l’Ancien Siège de la maison des femmes de réconfort de l’armée japonaise et le Mausolée de Sun Yat-sen à la mémoire des héros antijaponais attirent aussi les visiteurs.

C’est pour cela que les villes japonaises éprouvent une certaine crainte face à Nanjing. Les principaux officiers commerciaux de la ville de Nagoya, ville jumelée à Nanjing, ne sont jamais venus à Nanjing. Beaucoup d’entreprises de Nagoya ont investi en Chine, mais très peu à Nanjing. Beaucoup de villes de la province du Jiangsu, sauf Nanjing, organisent chaque année des rencontres commerciales au Japon. À elle seule, la ville de Wuxi a attiré le sixième du total des capitaux japonais investis en Chine.

En ce qui concerne les fonctions de la ville, la localisation géographique, les ressources humaines, les bases industrielles, etc., la ville de Nanjing est de loin supérieure à la ville de Wuxi. « Par rapport à d’autres villes du delta du Yangtsé, notre conception et notre manière de faire des affaires sont quelque peu arriérées », estime ainsi M.Wu Zhe.

En réalité, le gouvernement municipal de Nanjing joue depuis assez longtemps un rôle bien embarrassant. D’un côté, dans l’environnement mondialisé centré sur l’édification économique, la ville de Nanjing a besoin de développer fortement son économie. Le Japon est l’un des principaux partenaires commerciaux étrangers de la Chine, l’édification de Nanjing a besoin de la participation des hommes d’affaires étrangers. Mais par ailleurs, les relations entre la ville de Nanjing et le Japon s’effectuent toujours sous l’ombre d’une certaine réalité historique. Les divergences entre ces deux partenaires à propos du grand massacre de Nanjing ont grandement restreint le développement de leurs relations commerciales. À Nanjing, tout sujet portant sur le Japon peut être source de disputes. Il y a quelques années, un hôtel a ouvert ses portes le jour de l’anniversaire du grand massacre. Résultat : il a été saccagé par des gens en colère. Selon des informations, le nombre des entreprises à capitaux japonais à Nanjing est inférieur à celui d’autres régions de Chine, et elles sont souvent petites.

Quelques membres du comité de Nanjing de la Conférence consultative politique du peuple chinois ont conseillé de changer le nom du « Musée à la mémoire des morts du grand massacre de Nanjing » en « Centre de la paix internationale de Nanjing, Chine ». Cela a suscité des protestations de la part des habitants de Nanjing et aussi des Chinois d’outre-mer. Par la suite, la municipalité de Nanjing a nié cette affaire du changement de nom.

Entre mémoire et oubli

Les jours fériés sont toujours les moments les plus occupés pour Chang Zhiqiang, 80 ans. Invité par les visiteurs du Musée à la mémoire du massacre de Nanjing, il y vient pour raconter cette histoire. Mais il refuse souvent cette invitation, sauf celle des visiteurs japonais. Il est l’un des rares témoins à pouvoir encore raconter cette triste affaire.

Avec le temps qui passe, le nombre des survivants du massacre de Nanjing a diminué. Selon un document, à la fin de mars 1938, 235 000 personnes ont échappé au massacre de l’armée japonaise. Mais en 1997, il ne restait que 2 630 témoins et victimes du massacre.

M. Chang ne peut cacher sa douleur en se rappelant cette histoire. En 1937, Chang Zhiqiang n’avait que 10 ans. Il a vu son père et beaucoup de jeunes hommes former un mur humain pour empêcher les cruels soldats japonais de s’approcher des vieillards et des enfants. Pour protéger ses enfants, sa mère a été tuée. Son frère de 2 ans est mort aux côtés de sa mère. Sa sœur a été violée et tuée par des soldats japonais.

Comme d’autres survivants du massacre, M. Chang a rarement raconté cette histoire, même à ses petits-enfants. « Je ne veux vraiment pas raconter cette histoire, car m’en remémorer les détails est trop pénible », dit-il en pleurant. Avant sa retraite, il n’était jamais venu au Musée à la mémoire du massacre de Nanjing. À quelques reprises, il a voulu y entrer, mais toujours, à la porte, il avait déjà les larmes aux yeux.

En 1997, quand il a vu à la télévision que des Japonais n’avouaient pas ce massacre, sa colère a monté. Il a écrit pour la première fois ce qu’il avait vécu. À quelques reprises, il est venu au musée pour raconter cette histoire. « Au début, quand je voyais des visiteurs japonais, je les détestais et j’avais de la haine à leur égard, dit-il, mais après avoir écouté ce que j’ai raconté, ils essuyaient des larmes, certains s’agenouillaient et d’autres n’avaient de cesse de s’incliner bien bas devant moi. Au début, j’étais surpris et gêné, mais maintenant il me semble que je n’éprouve plus une haine aussi forte envers les Japonais. Je me suis senti libéré lorsque la haine a diminué dans mon cœur. » Il a dit qu’il savait déjà faire la différence entre les Japonais et le gouvernement militariste d’alors. Selon ses dires, il veut raconter cette histoire à ses enfants et à ses petits-enfants aux derniers jours de sa vie. « Ce ne serait pas bien s’ils apprenaient cette histoire très tôt, mais il faut les laisser savoir. »

Les jeunes d’aujourd’hui n’éprouvent pas la même chose face à cette triste histoire. Dans un restaurant japonais tenu par un Chinois, Dong Yixin, 18 ans, travaille comme serveuse depuis un an et demi. Il y a quatre autres restaurants japonais dans cette rue. Elle est en train d’étudier le japonais dans l’espoir de travailler dans un restaurant tenu par un vrai Japonais. « On dit que le patron de ce restaurant est très gentil. Les employés peuvent se reposer pendant les jours fériés. En plus, ils reçoivent une prime plus élevée que la nôtre », dit Dong, bien franchement. « Avant de travailler, je n’avais pas beaucoup d’impressions sur les Japonais, mais ceux qui viennent dans notre restaurant sont bien élevés. Je pense que le patron de ce restaurant l’est aussi. On dit que ses employés ont rarement donné leur démission. Cependant, même si elle travaillait dans ce restaurant, elle n’oserait pas en faire part à ses parents. « Ils auraient des soucis s’ils apprenaient que je travaille pour un Japonais. Ils ne connaissent pas les Japonais », ajoute-t-elle.

En 2002 et 2004, l’Institut sur le Japon de l’Académie des sciences sociales de Chine a effectué deux enquêtes sur les relations sinojaponaises. On a alors découvert que le degré d’inimitié des Chinois envers le Japon avait augmenté. Depuis deux ans, le nombre des Chinois qui sont « très amicaux » et « amicaux » envers le Japon a passé de 5,9 % à 6,3 %, et celui des Chinois qui sont « très inamicaux » et « inamicaux » avec le Japon a augmenté de 43,3 % à 53,6 %. M. Jiang Lifeng, chercheur de cet institut, a indiqué que les différents échanges forment un pont de compréhension et de confiance mutuelles entre la Chine et le Japon. Mais ces dernières années, on organise très peu d’activités de grande envergure dans ce domaine.

Chercher la réalité historique

Pourquoi tant de nos compatriotes ont-ils été tués sur leur propre sol par des étrangers? Quelle responsabilité devraient endosser les Chinois de l’époque pour la corruption et la décadence de l’État? Pourquoi les Japonais ont-ils massacré la ville? La réalité du grand massacre de Nanjing, est-ce bien ce que nous apprenons dans les livres historiques? M. Zhang Sheng, professeur et assistant de recherche sur la guerre antijaponaise du département d’histoire de l’université de Nanjing, s’est souvent posé ce genre de questions. Ses élèves lui posent aussi les mêmes.

« L’existence du grand massacre de Nanjing ne pose aucun problème. Ce qui est plus important, c’est le nombre de faits et de réalités sur ce massacre que nous ne connaissons pas encore », dit M. Zhang. L’université de Nanjing, l’École normale supérieure de Nanjing et l’Académie des sciences sociales de Chine sont en train de compiler des documents sur ce grand massacre. Ces documents comptent environ 12 millions de caractères répartis en 30 volumes; ils seront publiés ce mois-ci.

En tant qu’un des rédacteurs de ces documents, M.Zhang exprime : « Le but de ces documents est de tirer au clair l’attitude que nous devons prendre face à ces faits historiques. Auparavant, nous répondions toujours aux méchancetés par la bonne volonté. Mais plus de 50 ans d’expérience nous ont montré que ce principe et cette attitude ne sont pas corrects. Le prix de la guerre est bien lourd. Tant de gens y ont perdu leurs familles et même leur vie. Qui peut sauvegarder leurs droits et panser leurs blessures? Mais par ailleurs, devrions-nous exiger des compensations de la part des Japonais? À mon avis, ce n’est qu’un problème juridique personnel. Pour un État, l’histoire devrait être sélectivement oubliée. Sinon, les intérêts actuels et les faits historiques seront toujours aux prises. Ce n’est pas bon ni pour l’image de l’État, ni pour le bon état d’esprit de ses citoyens. »

« Il faut prendre une attitude franche, insiste-t-il, vous avez tort et nous devons le dire, ne pas nous taire par crainte de vous mécontenter. Le but est d’éduquer les jeunes qui n’ont pas connu cette histoire douloureuse et d’espérer qu’on ne connaîtra plus ce drame. Nous espérons que les jeunes comprennent qu’une Chine puissante ne sera pas malmenée. Tel est le point le plus important. »

Pour rédiger une histoire complète, Zhang Sheng et ses collègues ont fouillé les documents dans les bibliothèques et les archives. « Nous savons bien que beaucoup de pays ont conservé quantité de matériel sur le massacre de Nanjing, mais nous en avons obtenu seulement le dixième », explique Zhang. Un travail minutieux et complexe les a tenus extrêmement occupés.

Bien que le travail soit ardu, le groupe de recherche a obtenu des résultats passionnants. Ils ont trouvé des journaux écrits par certains soldats japonais après le massacre de Nanjing et des journaux de citadins de cette époque-là. L’ampleur du massacre de Nanjing, décrite par des diplomates allemands dans un télégramme qu’ils avaient envoyé au ministère des Affaires étrangères de l’Allemagne était très claire, même plus détaillée que dans les reportages des journaux chinois d’alors. L’armée américaine avait déchiffré le code secret des Japonais avant le massacre. Après le massacre de Nanjing, des journaux anglais et américains comme le New York Times et le Los Angeles Times ont aussi fait des reportages. Leurs journalistes ont vu la situation lamentable d’alors et on dit que les cadavres étaient entassés et que les blindés roulaient sur les morts qu’on n’avait pas encore enlevés. « Les droitistes japonais ont dit que les journaux chinois avaient exagéré, et des Japonais ont pris des photos des rues nettoyées en disant qu’il n’y avait jamais eu de massacre. Pourtant, nous avons trouvé le témoignage d’une tierce partie », déclare Zhang Sheng. Ils ont entendu dire que le Danemark et la Hollande conservaient aussi des documents sur le massacre de Nanjing. « Nous, chercheurs de l’histoire, n’avions pas pensé que les documents sur ce sujet étaient dispersés partout et que leur contenu serait si détaillé, » dit-il avec émotion en parlant de cela.

« À propos du nombre de victimes du massacre de Nanjing, nous avons un chapitre sur la destruction des cadavres. La majorité des victimes ont été jetées dans le fleuve Yangtsé, brûlées ou enterrées par les Japonais. Personne ne connaît les chiffres exacts de ceux qui ont été jetés dans le fleuve, 20 000 ou 150 000 personnes. Certains autres ont été enterrés dans des fosses communes. Nous estimons que 300 000 morts n’est pas un chiffre exagéré.

Actuellement, Nanjing ressemble à un grand chantier et des grues se dressent partout. Pour résoudre le problème du transport, on est en train de construire un grand pont moderne entourant la ville. Nanjing s’efforce de devenir une grande métropole aussi belle que Shanghai. Comme les caractères gravés sur la stèle, on n’oubliera pas facilement l’histoire, mais on exprime une meilleure confiance en l’avenir.