JUILLET 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Histoires de quatre villes en temps de guerre


QIAO TIANBI et LUO YUANJUN

Les soldats chinois livrent combat contre les troupes japonaises au champ de bataille Songhu.

Shanghai : l’humanisme malgré l’occupation

La Shanghai des années 1930 avait un attrait particulier pour le Japon parce qu’elle était une grande métropole internationale dans son voisinage. Après la Première Guerre mondiale, le Japon a concentré à Shanghai la totalité de son commerce, de ses expéditions et de sa fabrication destinés à la Chine, et en 1930, 30 000 des 50 000 étrangers de la ville étaient des Japonais.

En 1937, l'armée japonaise a bombardé la gare du Sud de Shanghai, ce qui a blessé et tué plus de 200 femmes et enfants. Devant les ruines, un enfant ensanglanté pleure toutes les larmes de son corps.

Le 31 août 1937 a éclaté la bataille de Songhu (guerre de Shanghai) qui s’est livrée entre 700 000 soldats chinois qui assuraient la défense contre 300 000 envahisseurs japonais. Au cours de cette longue bataille féroce qui a duré deux mois, les pertes chinoises s’élevaient à une division (quelque 1 500 hommes) par jour. Selon le général chinois He Yingqin, 85 divisions -330 000 soldats chinois- ont été éliminées. Au moment où l'armée japonaise a réellement occupé Shanghai, He avait enduré des pertes de 50 000 hommes. Cao Juren, un journaliste chevronné de l’époque, a rapporté : « Au commencement de la bataille, la communauté internationale pensait dans l’ensemble que les forces de la Chine étaient tout à fait inégales par rapport à celles du Japon, et que livrer une guerre contre l'agression japonaise était une folie. » Toutefois, la bataille de Songhu a brisé l'illusion du Japon : pouvoir conquérir la Chine en trois mois. En outre, elle a suffisamment remonté le moral de la nation entière pour lui permettre de résister aux envahisseurs. Dans sa lettre au président Roosevelt, Evans Carlson, l’envoyé spécial du président, a exprimé son admiration à l’égard de la nation chinoise pour son front uni et son désir commun de combattre à un moment de crise nationale.

Tous les milieux sociaux du district de Sanmen du Zhejiang saluent le départ des pilotes étatsuniens vers Chongqing.

Pendant l’occupation japonaise, les citoyens de Shanghai ont maintenu l'esprit philanthropique propre à une métropole internationale, et ils ont offert leur aide aux réfugiés juifs. De 1933 à 1941, Shanghai a accepté plus de 30 000 réfugiés juifs en provenance de l'Europe. George Reinisch se souvient : « À ce moment-là, les Juifs arrivaient à Shanghai à un rythme de 1 000 par mois, et bon nombre d'entre eux étaient sans ressources. Que nous soyons parvenus de façon ou d'une autre à survivre est dû en grande partie à la bonté et la bonne volonté du peuple chinois. »

Kunming : l'histoire d'un vétéran américain

Kunming est la capitale du Yunnan, une province frontalière du Sud-Ouest. Après que les envahisseurs japonais eurent occupé des régions côtières du Vietnam et de la Chine, la route Yunnan-Birmanie était le seul lien entre la Chine et le monde extérieur.

Comme cette route était bien loin derrière les lignes japonaises ennemies, Kunming a été l'emplacement choisi par beaucoup de compagnies et d'universités, notamment les universités de Beijing, Qinghua et Nankai, qui cherchaient à fuir les zones intérieures déchirées par la guerre. En conséquence, l’économie et les activités culturelles se sont développées rapidement à Kunming. Beaucoup d'exploits de guerre audacieux y ont eu lieu, entre autres, ceux du vétéran américain Claire Chennault.

Bon nombre de personnes ont suffoqué dans l’abri antiaérien lors du bombardement de l'armée japonaise, le 28 juin 1940.

En mai 1937, ce vétéran de 47 ans de la US Air Force est arrivé à Shanghai par le bateau postal. Son passeport indiquait que son occupation civile était fermier. Chennault, qui avait été invité par Soong Mei Ling pour former les pilotes chinois, avait projeté un séjour de trois mois, mais un an plus tard, il se préparait à ouvrir une école d'aviation à Kunming dans laquelle il voulait former les pilotes chinois aux normes des États-Unis. Il a recruté plus de 200 volontaires des États-Unis qui « … parce que les États-Unis et le Japon n’étaient pas encore en guerre, détenaient des passeports montrant des occupations comme musicien, étudiant, banquier, etc. », révèle Anna C. Chennault, la veuve de Claire.

En 1941, le président Roosevelt a convaincu le Congrès de voter une loi permettant la vente d’avions de chasse à la Chine et aux réservistes et aux vétérans d'aller en Chine en tant que volontaires des États-Unis. En juillet de la même année, 110 pilotes et 150 techniciens et médecins étatsuniens sont arrivés en Chine. Leur tâche consistait à transporter des approvisionnements par avion, à protéger la route Yunnan-Birmanie et à combattre les forces aériennes japonaises dans la plupart des régions du territoire chinois. Bien qu’ils aient été à court de personnel, de carburant et de pièces de rechange et que leurs avions eussent montré des signes de vieillesse, les Étatsuniens ont toujours eu la main haute sur les forces ennemies qui étaient beaucoup plus fortes et mieux équipées. Les citoyens chinois enthousiastes les ont surnommés les « Tigres volants ». Chennault a été nommé commandant de la US Air Force en Chine et promu au rang de général de brigade. Par la suite, il a accompli la mission de transport aérien « Hump ».

Yan’an, à l’époque de la guerre de Résistance contre l'agression japonaise.

Le Japon avait le contrôle complet des ports et du système de transport de Chine, de sorte que les approvisionnements antifascistes devaient être transportés par avion via un col de montagne de l'Himalaya qui ressemblait à une bosse de chameau. Ce parcours aérien a par conséquent été connu comme la « bosse (hump) ». Pendant trois ans et trois mois, Chennault et ses hommes ont transporté par avion 800 000 tonnes de matériels militaires à l'armée des États-Unis en Chine.

Vers la fin de la guerre, les Tigres volants et la 14e Armée de l’air, commandée par Chennault, avaient abattu 2 600 avions japonais, coulé ou endommagé 2,2 millions de tonnes de vaisseaux de guerre et de bateaux commerciaux japonais et avaient tué 66 700 soldats japonais, et ce, avec une incroyable proportion de pertes : un avion étatsunien contre 80 avions japonais.

Pour affronter l'agression de l’impérialisme japonais, le Parti communiste chinois déploie des efforts pour mettre sur pied le Front uni national de résistance contre l'agression japonaise. Les dirigeants, dont le président Mao Zedong, accueillent la délégation du Parti communiste chinois ayant pris part aux négociations avec le Guomindang à l’aérodrome de Yan’an.

Le 1er août 1945, Chennault est rentré aux États-Unis via Chongqing, où sa voiture (la limousine privée de Tchang Kaï-chek) a été accueillie par une foule considérable de gens de l’endroit qui l'ont littéralement poussée dans les rues de la ville pendant plusieurs heures avant de l’escorter au centre d'une place. Là, sur une estrade, étaient empilés des bijoux, des antiquités chinoises et des bannières honorifiques –des cadeaux de la population locale reconnaissante. Chennault est mort aux États-Unis en 1958, à l'âge de 67 ans, et Soong Mei Ling a assisté à son enterrement à Washington.

Chongqing : la capitale en temps de guerre

Chongqing, située dans l’arrière-pays de la Chine du Sud-Ouest, est entourée de montagnes abruptes et traversée par le fleuve Yangtsé. Sa topographie la rend facile à défendre et difficile à pénétrer. Quand Nanjing, la capitale du Guomindang, a été capturée par les envahisseurs japonais en 1937, Chongqing est devenue capitale de la République de Chine et capitale de guerre. C’est vers celle-ci que convergeaient les forces antifascistes. La ville a été le centre diplomatique de la Chine et le théâtre du commandement oriental durant toute la Seconde Guerre mondiale.

Ce statut, qui a été en vigueur durant huit ans et demi, a laissé à Chongqing 400 sites historiques, dont les bâtiments des bureaux du Guomindang, les sites des ambassades et des agences de presse étrangères, de même que les résidences de personnalités célèbres. Non loin de la tour Yunxiu de Tchang Kaï-chek, on trouve une maison chinoise appelée le pavillon au toit de chaume, où le maréchal George C. Stilwell, envoyé spécial du président Truman, a habité durant son séjour à Chongqing. Le général Joseph Stilwell et sa famille ont vécu dans un siheyuan de l’arrondissement Liziba de Chongqing, et le 50, Zengjiayan a été connu comme le manoir de Zhou, après que Zhou Enlai l’eut loué et employé comme bureau du Comité central du PCC en Chine du Sud. Le bureau de Chongqing de la Huitième Armée de Route est un bâtiment gris de trois étages dans Hongyancun. Les chambres à coucher/bureaux de Mao Zedong et de Zhou Enlai étaient au deuxième, et le troisième servait d’aire de travail et d’habitation pour les membres du personnel. Un émetteur-récepteur, utilisé pour établir un contact direct avec Yan'an, était conservé dans le grenier.

En tant que capitale de guerre et de la République de Chine, Chongqing a souffert davantage que n'importe quelle autre ville derrière les lignes japonaises. Selon l'historien Wang Qunsheng, survivant des raids aériens de Chongqing : « Ce que je me souviens de Chongqing, en tant qu’enfant de trois ans, ce sont des bombardements ininterrompus ». Les forces japonaises ont mené une campagne de bombardement aveugle des cibles politiques, militaires et économiques de Chongqing, ainsi que de ses rues, écoles, magasins et résidences. Cette campagne a duré cinq ans et six mois. Son objectif était de « détruire la volonté de résistance de l'ennemi ».

Pendant deux raids aériens en mai 1939, l'Armée de l'air japonaise a tué 3 991 personnes, en a blessé 2 323, a détruit 4 889 bâtiments et a fait 200 000 sans-abri, ce qui constitue le raid aérien le plus dévastateur de l'histoire mondiale. Le 5 juin 1941, 24 bombardiers japonais ont bombardé les rues principales et les secteurs résidentiels de Chongqing pendant 40 heures d’affilée. Une de ses cibles était l'abri antiaérien de Jiaochangkou, où plusieurs milliers de personnes ont suffoqué.

Yan'an : l'étoile rouge au dessus de la Chine

Située sur le cours moyen du fleuve Jaune en Chine du Nord-Ouest, Yan'an est protégée par trois montagnes et traversée par deux fleuves. Pendant la guerre de Résistance, Yan'an était le centre de commandement des batailles derrière les lignes japonaises. À cet égard, elle a eu une importance stratégique dans l'histoire des guerres de la Chine, et elle a servi d’aimant pour les jeunes patriotes, les intellectuels et les paysans chinois. De 1935 à 1948, Yan’an a été le siège du Comité central du PCC.

Edgar Snow a été le premier journaliste occidental à visiter Yan'an. C’est dans son livre pionnier Red Star over China qu'il a, pour la première fois, présenté au monde occidental cette région « rouge » de la Chine. Dans ce livre, il décrit les bases révolutionnaires anti-agression que le Parti communiste chinois avait établies derrière les lignes japonaises, comment le Parti a développé la production, « … édifié une vie communautaire intelligente et prospère… », mobilisé et uni toutes les forces politiques pour joindre la « guerre du peuple » contre les envahisseurs japonais. Il était convaincu que la jeunesse, l’esprit, la formation, la discipline de l’Armée rouge, de même que le bon équipement saisi des troupes antagonistes du Guomindang, remporteraient la victoire finale, et que c'était « la seule armée politiquement blindée en Chine ». Il a décrit son chef, Mao Zedong, comme un homme qui « a analysé avec précision les forces internes et internationales impliquées, et a prévu correctement la tournure générale que prendraient les événements ». Il relate comment les prévisions franches de Mao selon lesquelles la guerre de résistance serait longue et difficile « … a désarmé d'avance le genre de défaitisme qui attaque les illusions brisées » et comment Mao « … a aidé à édifier une confiance en la nation plus durable, en estimant correctement la grande résistance que pouvaient offrir les ressources humaines et matérielles de la Chine, une fois mobilisées d'une manière révolutionnaire ».

Mao Zedong et son armée ont formulé des tactiques souples et efficaces contre un ennemi beaucoup plus fort, et ils sont devenus le pilier des forces chinoises contre l’agression. En août 1940, la Huitième Armée de Route a lancé une attaque massive contre les réseaux de transport et les bastions principaux de la Chine du Nord occupée. La campagne, entreprise par 100 régiments communistes, a duré trois mois et demi, et les troupes japonaises ont été forcées de se retirer du nord du Shanxi. Pendant la campagne, les troupes régulières et des partisans ont livré 1 800 grosses et petites batailles, tué 25 000 soldats ennemis et en ont capturé 18 000. C'est la plus grande campagne qu’aient menée les troupes communistes derrière les lignes japonaises.

Mao Zedong avait dit à Edgar Snow que le Parti communiste chinois gagnerait la victoire finale, et Snow a été étonné quand ses prévisions se sont avérées justes. Cette victoire a été fondée sur la confiance de Mao Zedong en Yan'an qui, selon les paroles de feu Israel Epstein, qui a visité Yan'an après Edgar Snow, était l'embryon de la Chine nouvelle.