JUIN 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Un château français copie conforme

DANIEL COGEZ

Un vrai château français (enfin presque) dans la banlieue de Beijing, vous auriez quelque peine à le croire. Certes, il n’y a pas de roi pour le visiter ni de prince pour l’habiter. Et pourtant, ce château, à la façade d’un blanc pur et aux toits d’ardoise, existe bel et bien; c’est un rêve qui s’est concrétisé, un mythe qui a pris corps dans l’arrondissement de Changping. Planté sur une île au milieu de la campagne des environs de la capitale, le château Laffitte détonne, mais il a fière allure et mérite bien son appellation.

Cette construction originale, entièrement inspirée d’un château bâti à Maisons-Laffitte en France, est à la fois l’oeuvre et le rêve du promoteur Zhang Yuchen. Elle a été achevée en octobre 2004 après trois ans de travaux.

Françoise Onillon, qui fut et qui reste la directrice artistique du projet, a bien voulu nous faire découvrir les coins et recoins du bâtiment qui comportent un corps de logis principal, réplique du château Laffitte, et deux pavillons de chaque côté d’une cour carrée fermée par une colonnade du Bernin.

« Zhang Yuchen a marié les deux cultures », souligne Françoise Onillon. Il veut faire apprécier aux Chinois qui ne peuvent se déplacer la civilisation française et préserver les coutumes et traditions de son pays. Ainsi, en cuisine, il y aura les deux traditions culinaires, et pour se restaurer, on pourra préférer la grande salle à la disposition typiquement française avec, sur les tables, les verres, les couverts, la vaisselle et les serviettes placés à la française ou les salons à la chinoise, isolés et tranquilles, avec table ronde et profonds fauteuils.

Le décor impressionnant, à la fois luxueux, confortable et reposant pour l’esprit, a été conçu en relation directe avec le bon goût français. On a l’impression d’être transporté dans un autre monde, loin des endroits stéréotypés qui constituent l’ordinaire des hôtels du monde entier. C’est une autre vision qui nous est proposée là. Certes, elle a son prix qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. Il faut en effet compter 1 900 RMB pour une chambre en occupation simple et payer 5 700 RMB pour un duplex et 14 318 RMB pour une suite présidentielle en triplex. Mais le rêve n’a pas de prix, et pour un mariage par exemple, il s’agit d’un jour et d’une nuit qui marquent toute la vie...

Un ensemble colossal

En visitant rapidement le château, on parcourt toute une enfilade de couloirs, d’escaliers, de corridors, de grands et petits salons qui ressemblent à un labyrinthe, mais ce n’est qu’une impression, car tout est bien réparti entre le bâtiment principal et les pavillons.

Destiné à l’hôtellerie de luxe, ce château est doté de 72 chambres en simple, duplex et triplex avec de nombreuses salles de loisirs et de divertissements. Il y a à la fois des salles classiques pour les échecs ou le mah-jong, et des salles modernes comme « la chasse au fusil électronique », des salles de musculation et d’autres pour le tir à l’arc, le billard ou le jeu de palets (sha hu qiu).

C’est immense et complexe. Celui qui veut s’adonner à sa passion n’a que l’embarras du choix. On peut, comme dans les châteaux du XVIIe siècle en France, s’y reposer, s’y délasser, recevoir des hôtes, négocier des affaires politiques ou commerciales ou s’adonner à la dégustation. Toutefois, il existe une petite nuance : si la dégustation de vins peut se faire dans une grande salle prévue à cet effet, celle du thé se fera dans de charmantes salles de style chinois.

Depuis les caves jusqu’aux combles, il n’y a pas un espace sans un intérêt particulier. On peut passer des heures à étudier les saveurs d’un thé ou d’un bon vin, mais aussi manger en bonne compagnie dans une salle « Montechristo » avec les boiseries d’un navire du temps jadis..

La genèse du projet

L’idée de construire ce château a mûri comme un bon vin. C’est d’ailleurs en voyant des vignes qu’elle est venue à l’esprit de Zhang Yuchen. Il s’était rendu en Australie voir son fils et avait remarqué des vignes. Il se souvint alors qu’en France les vignobles s’étendaient souvent autour d’un château. Quand il revint dans son pays, il fit la connaissance de Françoise Onillon par l’intermédiaire d’un secrétaire de l’ambassade de Chine. Il lui demanda de préparer un circuit comprenant la visite de plusieurs châteaux français, mais très occupé, il dut remettre son projet de voyage en France à plusieurs reprises.
C’est seulement fin juillet 2001 qu’il put se rendre en France. Il rencontra Françoise Onillon chez elle à Maisons-Laffitte. Et dans cette ville, Zhang Yuchen découvrit à la fois le château et une magnifique cave à vins. Il fut conquis d’emblée et en quelques minutes prit sa décision. Le château qu’il ferait construire serait une reproduction de celui de Maisons-Laffitte, et le cellier qu’il aménagerait serait aussi riche et abondant que celui de la cave à vins française.

En dimensions, le château Laffitte construit dans la banlieue de Beijing a 65 mètres de long, mais il est plus large que celui élevé en France.

Rien n’est impossible

L’investissement a été considérable et plus élevé que prévu. En effet, au projet initial se sont greffées des adjonctions comme les pavillons en ailes et la colonnade du Bernin. En outre, les travaux ont été conduits suivant une logique propre à la Chine. Il a ainsi fallu éventer les fondations pour y créer le cellier destiné aux bons vins et le futur musée du vin. Mais en Chine, rien n’est impossible, et ce qui est inimaginable pour des Occidentaux devient réalisable. Il suffit de vouloir. Ce qui paraît une gageure pour un étranger se transforme en réalisations bien réelles et d’une qualité parfaite.

Ainsi, en juillet 2004, il était prévu de faire une réception dans une grande salle du château : or, celle-ci était totalement inachevée et vide de tout équipement. En trois jours, les dalles de marbre, les dorures sur les boiseries et les tentures ornant les grandes portes-fenêtres furent posées.

L’environnement a été particulièrement soigné « à la française » avec parterres de buis très stylisés, fontaines ornées de statues en bronze imitées de Versailles, statues hiératiques. Près du château, pousse aussi une vigne qui fournit un vin et donne au paysage un aspect particulier. Sur le « grand canal » qui enserre le château, on pourra se promener en canots, et si l’on préfère soit le golf, soit l’équitation soit le vélo, il suffira de demander et de réserver.

Lors de la réalisation de ce projet, afin d’obtenir une copie conforme, il y avait de sérieux problèmes concernant les matériaux de construction. Ce qui est simple sur le papier ne l’est pas dans un pays où la pierre calcaire fait défaut. Qu'à cela ne tienne! Soixante-dix conteneurs ont transporté de France en Chine la matière première : de la pierre calcaire en poudre qu’il faudra ensuite reconstituer et assembler sur les façades. Travail de titan, mais les Chinois savent le faire avec art, patience et méticulosité.

De même pour tous les salons et certaines chambres, il fallait faire à l’identique des décors en bois sculpté et doré. Les artisans chinois se sont appliqués et ont réalisé un travail d’orfèvre qui laisse pantois tous les admirateurs du « grand siècle », celui de Louis XIV.

Il faut préciser que les ouvriers et artisans n’ont pas été formés en France, mais directement sur place par des conseillers et spécialistes chevronnés venus de France.

Le château Laffitte est maintenant ouvert. Il peut accueillir des séminaires, des conférences, des réunions d’entreprise, mais aussi des particuliers, fortunés bien entendu. 250 personnes seront à leur service. La seule difficulté réside dans le niveau de formation de ce personnel qui maîtrise encore mal l’anglais et ne parle pas du tout le français, ce qui est un peu regrettable dans un tel lieu. Mais ne boudons pas notre plaisir...

Vouloir se rendre dans un tel endroit c’est comme disait Charles Baudelaire « aller là où tout n’est que luxe, calme et volupté »