MAI 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Dangjia, un village qui tient à ses racines

LU ZHONGPING

Si la tranquillité des musées ne vous attire pas particulièrement pour effectuer un voyage dans le passé, dirigez-vous plutôt vers le village de Dangjia de la ville de Hancheng, province du Shanxi. C’est un fossile vivant de la civilisation agricole traditionnelle de la Chine.

Le fleuve Jaune, deuxième fleuve de Chine, serpente à travers les gorges situées à la limite des provinces du Shanxi et du Shaanxi. Sur sa rive ouest, plus près du Shaanxi, se trouve la ville historique de Hancheng, ville natale de Sima Qian, auteur des Mémoires historiques et initiateur du style biographique en Chine. Cette ville possède un vieux village dont l’histoire remonte à plus de 670 ans : Dangjia. Ces dernières années, en raison des éloges qu’en font les experts de l’architecture et de la culture, la réputation du village de Dangjia est en train de dépasser la seule région environnante.

Le village aux taëls

Le village de Dangjia est situé dans une vallée longue et étroite qui épouse la forme d’une courge. D’une côte, on peut voir le splendide panorama de 120 maisons à cour carrée, avec leurs murs de brique céladon et leurs toits de tuiles noires. Dans le sud du village, la rivière Qinshui sinue tranquillement vers le fleuve Jaune qui coule à l’est, à 3,5 kilomètres de là. Bordé par le mont Liangshan à l’ouest et par le fleuve Jaune à l'est, le village de Dangjia dispose de conditions très favorables selon la géomancie. Construit dans une vallée, le village est exposé au soleil, mais est protégé du vent. Les maisons semblent n’avoir retenu aucun grain de poussière, et la topographie élevée rend l’écoulement de l’eau facile, de sorte qu’aucune inondation ne s'y est produite depuis des siècles.

En 1331, fuyant la famine, les ancêtres du clan des Dang se sont retrouvés dans ce village. Ils ont creusé des maisons troglodytiques et ont cultivé pour assurer leur subsistance. Cent ans plus tard, les ancêtres du clan des Jia sont venus y faire des affaires et ont épousé des membres du clan des Dang, ce qui a formé la deuxième partie du nom du village. Les deux clans ont fait des affaires ensemble jusqu'aux règnes Daoguang et Xianfeng (1821-1861) des Qing, période de leur âge d'or. On disait alors qu’on pouvait voir une file interminable de chariots rapportant les taëls à la maison, et on appelait ce phénomène « gagner des milliers de taëls chaque jour ». Parallèlement, les villageois se sont mis à construire à grande échelle, et cette frénésie de construction a duré un siècle. Pendant la période de prospérité, il y avait des centaines de maisons à cour carrée, onze temples des ancêtres et d’innombrables niches de bouddha. Ces temples se concentraient dans l’est du village et formaient un lieu spécial pour offrir des sacrifices. Aujourd’hui, le village de Dangjia regroupe 320 ménages, pour une population de plus de 1 400 villageois. Ces dernières années, la province du Shanxi a conféré au village le titre de « village de protection de la culture et de l’histoire », et il fait partie des projets de recherche sur la « protection des demeures traditionnelles » à l’échelon international.

La sagesse des habitants

Dans le village, il y a 125 maisons à cour carrée des Ming et des Qing (1368-1911) qui sont bien préservées. Elles ressemblent aux siheyuan de Beijing, mais ont un style différent. Les habitations de Dangjia sont ornées de sculptures en pierre, en bois et en brique. Presque chaque linteau porte une épigraphe, et cette habitude d’écrire des épigraphes s’est conservée de génération en génération. Leur écriture n’était pas faite à la légère, mais était le fruit de soigneuses recherches. Certaines épigraphes ont été écrites par des artistes célèbres.

Le sol des ruelles est pavé de dalles d’ardoise, lisses et propres. À Dangjia, il n’y a que des intersections en T, aucun carrefour. Ainsi, pour un étranger, il est parfois difficile de retrouver sa direction; par contre, selon le feng shui (géomancie), cette situation s’explique : des routes non reliées ne laissent pas filer les ressources financières…

Au creux des ruelles du village de Dangjia, beaucoup de tours surmontant les portes se dressent çà et là, et ces portes créent un désordre pittoresque. Parmi celles-ci, les portes pour « monter à cheval » sont les plus répandues. Devant, il y a toujours des blocs en pierre, mais aussi les pierres pour aider le cavalier à monter sur le cheval et le pieu pour attacher l’animal.

Le pavillon Wenxing de la dynastie des Qing, symbole du village de Dangjia, est la tour typique de bon augure, construite selon les principes de la géomancie. Selon l’explication qu’elle en donne, le terrain du village est plus haut au nord-ouest et plus bas au sud-ouest. Lors de la construction du pavillon Wenxing, on a donc « compensé la configuration du nord-ouest et bien concentré l’énergie ». En un mot, on a comblé les lacunes du relief.

Dans la société traditionnelle, on attachait de l’importance à l’agriculture, mais on méprisait le commerce. Quand les villageois s’enrichissaient, ils pensaient avant tout à offrir une bonne éducation à leurs enfants, afin de leur garantir une position officielle et de pouvoir changer le statut de la famille. Ainsi, une famille avait fait preuve d’originalité et avait bâti un palanquin de mandarin en haut d’une porte. Donc, lorsqu’on passait sous le palanquin en traversant la porte, c’était un peu comme si on s’asseyait déjà dans le palanquin… Le propriétaire avait bâti ce palanquin pour encourager ses enfants à bien travailler!

Autre fait intéressant : devant chaque bâtiment public, on trouve « un four pour chérir les écrits ». On s’en servait pour brûler les papiers qui portaient des écrits, mais qu’on considérait inutiles parce qu'on ne pouvait pas s’en servir comme papier d’emballage ou pour tapisser, et que les jeter ou les piétiner étaient interdits

De Daoguang à Guangxu (1821-1908) des Qing, dans le village, il y a eu cinq juren (candidats ayant réussi les examens impériaux au niveau provincial durant les Ming et les Qing); et seulement sous Guangxu (1875-1908), 55 xiucai (qui avaient passé l'examen à l’échelon du district).

La forteresse

En suivant la route pavée de dalles et en grimpant la côte, on peut voir les hauts murs de la ville; dans ceux-ci est enchâssée une haute tour surplombant une porte : la forteresse Qinyangbao.

Une fois que les villageois s’étaient enrichis, ils étaient exposés aux attaques. Dans la première année de règne Xianfeng (1851-1861) des Qing, afin de se défendre contre les insurgés et les bandits, 27 familles ont uni leurs efforts pour construire une fortification : la forteresse Qinyangbao. Sur le mur de la ville, il y avait plusieurs canons en fonte. Aujourd’hui, les murs de la ville sont le meilleur endroit qui offre une vue panoramique du village. À côté de la tour de guet, on trouve un canon près duquel les touristes aiment prendre des photos, et s’ils le désirent, ils peuvent même tirer un coup de canon pour entendre retentir son écho.

Au fur et à mesure que s’élargit la réputation du village de Dangjia, les villageois prennent davantage conscience de la valeur de leurs maisons et de leurs produits. Certains aménagent des pièces pour les invités ou des boutiques de souvenirs; d’autres exposent quelques antiquités léguées de génération en génération ou reprennent leur métier à tisser pour faire des démonstrations; d’autres encore vendent des chaussures d'enfants en tissu que leur grand-mère passe la journée à broder...

Le village de Dangjia ne présente pas de maisons de riches ou de hauts fonctionnaires et ne ressemble en rien à un musée délaissé par les visiteurs. Ses habitations sont le symbole d’un village ayant été l’habitat idéal de familles aisées de la société traditionnelle, un fossile vivant de la civilisation agricole.