MAI 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Les fours à porcelaine des Song

Grâce aux fours impériaux, la porcelaine chinoise a connu son deuxième apogée sous les Song du Nord et du Sud (960-1279), car ces fours étaient installés partout au pays. Ils représentent en effet 75 % des sites de fours à porcelaine conservés de nos jours. Nous vous présentons trois de ceux-ci.

HUO JIANYING

 

SOUS la dynastie des Song (960-1279), la guerre faisait rage à la frontière septentrionale de la Chine et des troupes d’envahisseurs harcelaient le pays à ses frontières. En 1135, l’immense territoire de la Chine du Nord fut occupé par les envahisseurs de la dynastie des Jin (1115-1235).

Pendant cette guerre, ces envahisseurs prirent des villes et gagnèrent des territoires, notamment Bianliang (ancien nom de Kaifeng du Henan) qui a été la capitale du pays pendant la période des Cinq Dynasties (907-960) et sous les Song du Nord. En outre, Zhao Ji, l’empereur Huizong (1082-1135) fut fait prisonnier. Plus tard, il a été rapatrié à Wuguocheng (aujourd’hui le district de Yilan du Heilongjiang), ville de l’arrière-pays à quelques milliers de li (1 li= 1/2 km) de Bianliang. Emprisonné dans cette petite ville frontalière dans l’immense plaine neigeuse, l’empereur endura huit ans de rudes épreuves et souffrit des malheurs inouïs. Vêtu d’une seule peau de mouton, il devait se recroqueviller pour résister au froid dans une cave exiguë. Il était cloué au lit par une maladie grave, mais il manquait de médicaments. Son fils Zhao Huan, l’empereur Qinzong, veillait, impuissant, son père agonisant.

Dans ses derniers moments, l’empereur Huizong, passionné par la porcelaine et fin connaisseur en la matière, semblait voir le feu ardent des fours impériaux, les feux qu’il avait bien connus et tant attendus. Pour fabriquer des produits à la hauteur, comme il s’était torturé l’esprit ! Maintenant, dans cette cave glacée, il était bien loin de penser à la manière d’admirer ses porcelaines. Il ne pensait qu’à s’approcher des fours ardents pour se réchauffer. Durant cet hiver glacial, il échappa de justesse à la mort, mais il perdit la vie peu après.

En tant qu’empereur, Zhao Ji mena une vie de débauche et ne savait pas comment gouverner le pays. Par contre, il était un artiste, un amateur d’art et un connaisseur en porcelaine. Il aimait la poésie et avait assimilé des pièces de musique et des airs d’opéra. Il avait une belle écriture shoujinti, et ses calligraphies avaient développé un style tout à fait original. En tant que grand collectionneur, il était connaisseur en antiquités (bronzes, peintures, pierres étranges et trésors rares). Au début de 2005, le prix de sa peinture Tao Zhu Huangying Juan (rouleau de peinture de pêchers, de bambous et de loriots)  a atteint 61,16 millions de yuans (7,33 millions $US) lors d’une vente aux enchères.

Dans l’histoire de Chine, Zhao Ji a été le premier empereur à avoir entrepris la fabrication de la porcelaine. Cinq grands fours impériaux (les fours Ru, Guan, Ding, Jun et Ge) furent édifiés sous les Song ; le style différent et la valeur inestimable de leurs porcelaines ont assuré leur renommée au pays comme à l'étranger.

En 1992, aux États-Unis, le prix d’un petit plat de 8 cm de diamètre, fabriqué par le four Ru, a atteint 1,54 million $US lors d’une vente aux enchères. C’est dire la valeur d’un seul fragment de vase du four Ru!

Le four Ru

Dans la liste des anciennes porcelaines de Chine, les porcelaines rares et précieuses du four Ru occupent toujours la première place. D’après les statistiques, il n’en resterait que 60 pièces ; certains disent 70, mais leur nombre ne dépasse pas 100. Ces porcelaines, conservées secrètement dans la cour impériale qui éprouvait un tel amour à leur égard, sont considérées comme « l’impératrice des porcelaines ».

D’après des recherches effectuées récemment, le siège du four Ru est à Ruzhou (aujourd’hui le district de Ruxian du Henan). Depuis l’Antiquité, Ruzhou était le lieu de production de la porcelaine à la glaçure gris-verdâtre. Par des fouilles, on a constaté que les produits du four Ru des Tang (618-907) étaient connus en raison de leur processus technologique d’avant-garde. Jusqu’à la dynastie des Song, le four Ru a été désigné par l’empereur comme le four impérial servant à fabriquer spécialement les porcelaines de la cour impériale. De 1086 à 1106, ses produits ont atteint l’apogée de la fabrication porcelainière des Song. À cette époque, l’empereur Huizong avait alloué un grand nombre d’effectifs et de ressources matérielles pour perfectionner les produits du four Ru. Passionné surtout par les produits subtils et raffinés, Zhao Ji mettait l’accent sur des produits au style élégant. C’est pourquoi les produits du four Ru étaient des articles de premier choix pour l’État, et dès lors, les fours impériaux fabriquèrent des porcelaines à l’usage de la famille impériale. Le four Ru produisait les catégories suivantes de produits: reproductions de vases rituels en bronze, vases à fleurs, brûle-parfum,  pots,  plats, bols et pinceliers (godet pour laver les pinceaux). Toutefois, la hauteur de ses produits n’a jamais dépassé 20 cm.

La porcelaine fine du four Ru dite « paroi fine ou coquille d’œuf » demandait une fabrication normalisée. Sa couleur grise ressemblait à de la cendre d’encens et sa glaçure était extrêmement dure. On disait que sa couverte était soit d’un bleu d’azur comme celle du ciel ou bleu pâle comme celle d’un œuf de cane, et que sa couverte craquelée provenait du fait qu’on mélangeait des pièces d’agate à son émail. Différente de la porcelaine d’autres fours, la porcelaine du four Ru était complètement émaillée. Ainsi, sa cuisson demandait l’aide des supports. C’est pourquoi elle conservait toujours un petit point au fond après la cuisson.

Sous la dynastie des Song, les fours Ru étaient généralement de petite envergure et avaient très peu d’artisans. Pendant la guerre, les troupes d’envahisseurs des Jin harcelèrent le sud du pays, et les artisans des fours Ru durent prendre la fuite à la hâte. En raison de la pénurie de matières premières et de main-d’œuvre, la fabrication porcelainière des fours Ru a dû être interrompue.

Le four Jun

Une légende raconte qu’un four impérial Jun situé à Yangzai (aujourd’hui Yuzhou du Henan) aurait reçu l’ordre d’arrêter sa cuisson sous le règne de l’empereur Huizong. C’est le hasard qui fait les histoires…et le hasard voulut qu’il pleuve à torrent ce jour-là.

Sans aucun doute, cette pluie diluvienne suscita de l’inquiétude chez les artisans à propos de la production de leur four. Après la pluie, le four était rafraîchi. Ils se précipitèrent donc pour sortir un pincelier, et ils s’aperçurent que des craquelures étaient apparues dans sa couverte translucide. En même temps, grâce à leurs observations consciencieuses, ils remarquèrent que la couleur et la qualité n’avaient pas été modifiées. Tout le monde passa de l’inquiétude à la joie. Ils choisirent à la hâte des objets aux couleurs vives pour les expédier à la cour impériale. Après les avoir vus, l’empereur Huizong fut transporté de joie et encouragea les artisans du four Jun à fabriquer, avec la même méthode, de plus en plus de produits de bonne qualité.

D’après la légende, le roi Dragon avait la capacité magique de pouvoir appeler le vent et de conjurer la pluie, de chevaucher les brumes et de voguer sur les nues. En cherchant à découvrir la cause de l’apparition des craquelures, les artisans étaient unanimement convaincus que la pluie avait joué un rôle important lors de la cuisson. C’est justement pour cette raison qu’ils décidèrent de modeler un dragon décoré dans un vase. Une fois le vase cuit, ils lui firent des offrandes tous les jours. Chose étrange à dire, les craquelures restèrent toujours à la cuisson, quel que soit le temps.

Dans la Chine antique, l’empereur était toujours considéré comme un dragon et le fils du Ciel. Voyant que les artisans faisaient des offrandes à un dragon qu’ils avaient modelé eux-mêmes, quelqu’un fit de fausses déclarations devant l’empereur Huizong en disant que ces artisans ne respectaient plus l’empereur. Dans ce contexte, on fit venir les artisans dans la salle principale du Palais impérial. Dès que l’empereur leur eut demandé, d’un ton réprobateur, la raison de leur geste, un des artisans répondit que le vase décoré d’un dragon auquel ils faisaient des offrandes symbolisait leur souhait de voir l’empereur être toujours sain et sauf. Sans aucun doute, cette réponse habile rendit l’empereur fort aise. Par conséquent, l’empereur Huizong non seulement n’imposa pas de punition à ces artisans, mais encore les encouragea à fabriquer des porcelaines craquelées. Finalement, l’empereur donna le nom de panlongping au vase décoré de dragon. Considéré comme une mascotte, ce vase fut transmis de génération en génération.

La porcelaine du four Jun jouit d’une grande réputation pour sa technique de yaobian ou « modification par la cuisson ». À la différence du céladon traditionnel ayant pour pigment le fer oxydé, ce four utilisait le procédé à l’oxyde cuivrique pour produire des couleurs tout à fait splendides. Ses couvertes monochromes foncées et claires étaient également remarquables. Les teintes obtenues paraissaient discrètement fluorescentes. Les gammes de bleu et de rouge du four Jun ont fait son originalité et ont ouvert de nouveaux horizons à la porcelaine chinoise.

Le four Ding

Le four Ding était situé dans le district de Quyang, dans la ville de Dingzhou (Hebei). Construit sous la dynastie des Tang (618-907), le four Ding fut détruit sous la dynastie des Yuan (1206-1368). Parmi les cinq grands fours impériaux des Song, le four Ding est le seul four ayant été abandonné par l’État. Toutefois, pendant 600 ans, le four Ding a connu un grand essor sous la dynastie des Song. Ses produits présentaient une grande variété de couleurs, mais la couleur blanche était la plus représentative. La meilleure variété était qualifiée de « fardé de Ding » et sa blancheur tirait sur le jaune. Le four Ding produisait aussi une petite quantité de porcelaines à glaçure noire et à glaçure « sauce de soja » (pourpre de Ding). Les motifs habituels de la porcelaine du four Ding sont les animaux ou les fleurs, la plupart du temps gravés ou imprimés sur la paroi de l’ouvrage. Les articles spécialement destinés à la cour impériale portaient des motifs de dragon et de phénix.

Pincelier de bonne qualité fabriqué par le four Ru des Song.

Portrait de l’empereur Huizong (à g.) et de son impératrice. Cnsphoto

Pot à fleurs violet et rosé du four Ru, collectionné par le Musée d’histoire de Chine.

Réchaud tripode fabriqué par le four Ru des Song (960-1279).

Pincelier azuré (objet brisé) fabriqué par le four Ru des Song. Zhang Jingde

Bol en forme de fleur de lotus.