Février 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Quatre ponts célèbres de

la Chine antique

HUO JIANYING

Récemment, l'homme vient de signer un autre exploit d'ingénierie auquel on accole tous les superlatifs : le viaduc de Millau. Il y a longtemps, des Chinois de talent s'adonnaient aussi à la conception d'ouvrages qui sont passés à l'histoire.

LES quatre ponts de la Chine antique, que tous reconnaissent comme des chefs-d'œuvre de construction, sont les ponts Lugou, Zhaozhou, Guangji et Luoyang. Mais parler de ces ponts magnifiques, c'est aussi évoquer les ingénieurs de grande valeur qui les ont construits.

Le pont Lugou (aussi appelé Marco Polo)

Construit sous la dynastie des Jin (1115-1234), le pont Lugou enjambe la rivière Yongding sur une distance de 266 m, preuve éloquente de la cote d'alerte que fixait cette rivière. La façon dont le pont est construit met bien en valeur son architecture, sa structure et ses superbes sculptures.

Aujourd'hui, lorsqu'on admire ce pont splendide, on ne peut ignorer certains faits historiques ni s'empêcher d'évoquer Marco Polo. Au XIIIe siècle, ce dernier a quitté sa ville natale, Venise, et a atteint la Chine pour la première fois. Ce grand voyageur italien y a d'ailleurs laissé sa marque à bien des endroits.

Marco Polo est rentré à Venise en 1295, après un périple de 24 ans qui l'avait conduit, avec son père Nicolo et son oncle Maffeo, à travers l'Asie centrale jusqu'à la Chine et Beijing (alors Khanbalik). C'est trois ans plus tard, en 1298, qu'il a dicté en français le récit de ses voyages.

Marco Polo a raconté ce qu'il avait vu ou ce dont il avait entendu parler. Il a livré des anecdotes et a insisté sur la vie quotidienne des peuples visités et leur religion, de même que sur les combats qu'ils se livraient. Il a noté aussi les activités économiques des pays traversés, a décrit leur faune et leur flore, de même que l'allure de leurs villes ...

Certains de ses récits de voyage sont des œuvres riches d'informations touristiques, dont Itinéraire par le Proche Orient, l'Asie Mineure et l'Asie centrale vers Cathay;  Séjour dans l'empire de Cathay; et Itinéraire par la voie maritime de l'Asie du Sud-Est, et par l'Inde jusqu'en Asie Mineure. Ces récits ont aidé les Occidentaux à mieux connaître la Chine et d'autres pays de l'Orient.

En cours de ses voyages, lorsqu'il a arrêté ses pas sur les rives de la rivière Yongding, il a été ébahi par le raffinement de la construction du pont Lugou. Ainsi, dans son Livre des merveilles, il a écrit : " Un joli pont enjambe la rivière Yongding. Son mode de construction le met bien en valeur. À vrai dire, son architecture, sa structure et ses superbes sculptures, rarement vues, sont inégalées dans le monde. "

Depuis toujours, la rivière Yongding, située en banlieue ouest de Beijing, déverse ses eaux dans la région de Beijing et provoque des inondations. D'après les statistiques, de la dynastie des Jin (1115-1234) jusqu'en 1949, la digue de cette rivière s'est rompue 140 fois en 834 ans; d'ailleurs, seulement sous le règne des Qing (1644-1911), elle l'a fait 68 fois en 268 ans, soit une inondation tous les quatre ans. En 1626, sixième année du règne de l'empereur Tianqi des Ming, la rivière Yongding a débordé et s'est engouffrée par l'ouest de la ville, a suivi le canal impérial et a fait sauter les cinq écluses en direction du district de Tongzhou; sur son passage, elle a donc submergé quantité d'habitations. En 1890, sous le règne de l'empereur Guangxu des Qing, la rivière a débordé encore une fois et a submergé l'est, le nord et le sud de Beijing; elle a encore une fois détruit beaucoup de bâtiments. On comprend donc pourquoi on a toujours porté attention à cette rivière.

C'est en 1189 que l'empereur Shizong des Jin a donné l'ordre de construire le premier pont de pierre. Le travail a été achevé trois ans plus tard, soit en 1192, et on lui a donné son premier nom officiel : Guangli. Le pont  a 266 m de long et comprend onze arches en pierre sur pilotis de cyprès. De chaque côté de la chaussée court une balustrade comprenant 140 colonnettes surmontées de près de 500 lions, tous différents. À l'extrémité de chaque balustrade, on a disposé des éléphants de pierre semblant soutenir le pont. Aux extrémités du pont, des pavillons, jadis couverts de tuiles jaunes, protègent des stèles impériales. L'une commémore la restauration de 1698, l'autre porte l'inscription " La lune du matin sur le Lugou Qiao ". Sous la dynastie des Jin, ce paysage avait été classé parmi les huit sites de Yanjing (ancien nom de la ville de Beijing). Après plus de 800 ans, ce pont est toujours en bon état. À l'aube, sous la lune, le beau paysage du pont dessine un contraste qui charme les yeux. 

Le pont de Zhaozhou

À une quarantaine de kilomètres au sud-est de Shijiazhuang se trouve la ville de Zhaoxian (anciennement Zhaozhou). À trois kilomètres au sud de la ville, sur la rivière Xiaoshui, se dresse le pont de Zhaozhou (Zhaozhou qiao), d'une longueur de 50,82 m; on le nomme aussi pont de la Grande Pierre (Dashi qiao) ou pont du Passage sûr (Anji qiao).

Ce pont est remarquable par l'audace de sa conception technique et l'élégance de ses lignes. Selon les dires des gens, il serait l'une des trois merveilles du Hebei, avec le lion de Cangzhou et la statue de Bodhisattva Guanyin à Zhengding. La légende raconte que Lu Ban, artisan génial de l'époque des Royaumes combattants, aurait construit ce pont en une seule nuit. Cette même légende prétend aussi qu'au matin, l'un des Huit Immortels se serait présenté avec un  acolyte pour mettre le pont à l'épreuve. Il aurait été à dos de mule et, pour faire beaucoup de poids, il aurait dissimulé le soleil et la lune dans son sac; quant à son acolyte, il aurait poussé une charrette contenant les cinq montagnes sacrées de la Chine. Le pont aurait résisté, mais Lu Ban aurait été obligé de le soutenir, si bien que l'empreinte de ses mains serait restée visible sous la voûte. Encore aujourd'hui, on montre les traces laissées sur le pont par les sabots de la mule et l'une des roues de la charrette.

En fait, le pont a été construit sous la dynastie des Sui, entre 605 et 617. À cette époque, de grands travaux avaient été entrepris pour améliorer les voies de communication dans l'empire, c'est-à-dire pour concrétiser sa réunification politique alors toute récente. Du constructeur du pont, nous ne connaissons que le nom : Li Chun. Son art lui a permis de concilier admirablement les exigences les plus contradictoires. En effet, il fallait tout d'abord que le pont soit le moins voûté possible, pour que les chars de l'armée impériale puissent le franchir sans peine. Par ailleurs, il fallait aussi que, même en le voûtant moins, il ne prête toujours pas flanc aux crues redoutables de la rivière. De plus, l'ouvrage devait être à la fois léger, à cause de l'arche unique surbaissée (d'une portée de 37,37 m et d'une hauteur de 7,2 m). Par son ouvrage, Li Chun a résolu la question de la solidité et celle des communications routières. En construisant deux couples de petites arches secondaires aux deux extrémités du pont, il a diminué la vulnérabilité du pont aux crues, allégé la construction et donné à l'ensemble une élégance consommée. L'arche principale se compose de 28 arches parallèles accolées les unes aux autres. La cohésion de leurs éléments est renforcée par un système de chevilles de fer. En concevant le pont de Zhaozhou, Li Chun a créé un type de pont plat très imité par la suite, parce qu'il est particulièrement bien adapté aux exigences de la Chine du Nord, pays de plaines où les transports s'effectuent par voie terrestre (contrairement à la Chine du Sud, où les transports se font traditionnellement par voie d'eau et où les ponts, pour laisser passer les jonques, doivent être arqués).

Depuis sa construction jusqu'à nos jours, le pont de Zhaozhou a été en service sans interruption. Il a été réparé à cinq reprises, dont une fois vers 1900, puis de nouveau avec beaucoup de soin, de 1955 à 1958. En 1953, on a retrouvé plusieurs parties de la première balustrade du pont dans le lit de la rivière. Elles portaient de magnifiques bas-reliefs de l'époque de la dynastie des Sui, lesquels illustrent des dragons hautement stylisés et d'autres animaux. Le pont est classé monument historique.

En 1991, un ingénieur des États-Unis, spécialiste en travaux publics, a acquis la conviction que le pont de Zhaozhou est le douzième vestige historique des " Travaux publics internationaux ". Il a offert une médaille en cuivre portant la gravure " Li Chun " en chinois et en anglais; il a aussi fait ériger une stèle commémorative tout près du pont. Cet ingénieur a ainsi attesté qu'en matière de travaux publics, le pont de Zhaozhou se place au même rang que les pyramides d'Égypte, le canal de Panama, la tour Eiffel, etc.

Le pont Guangji

Située dans la province du Guangdong, la ville de Chao'an se trouve au nord-ouest de Shantou, sur la rive droite de la rivière Han; les deux villes sont reliées par bateau. Chao'an était un  centre commercial prospère. À proximité de la ville, près de la porte de l'Est, on peut voir le célèbre pont Guangji (Guangji qiao)  -aussi appelé pont Xiangzi (Xiangzi qiao)-, qui fut construit au XIIe siècle sous la dynastie des Song (960-1279). Plus de 200 ans après sa construction, on a allongé les deux extrémités riveraines pour y construire des habitations et des pavillons. De plus, le pont mobile, qui fut construit plus tard au milieu de la rivière, a constitué alors un nouvel exploit technologique dans la construction des ponts. Du haut de la colline Hulushan, située à proximité d'un petit lac dans le nord-est de la ville, on a une très belle vue des environs.

Le pont de Luoyang

Le célèbre pont de Luoyang (Luoyang qiao)  -aussi appelé pont Wan'an (Wan'an qiao)-  se trouve à proximité du district de Hai'anjiang, au nord-est de Quanzhou, dans la province du Fujian. Il a été construit sous la dynastie des Song, entre 1053 et 1059. Son large tablier repose sur 47 piles et permet de franchir le bras de mer Luoyang. Cai Xiang (1012-1067), calligraphe renommé et bon fonctionnaire sous cette dynastie, a assumé la responsabilité de la construction de ce grand pont.

Ce grand homme s'était toujours montré passionné par les études dès son jeune âge. Devenu fonctionnaire, il était diligent et consciencieux dans son travail. Il est retourné plus tard dans sa ville natale de Quanzhou et y a assumé les fonctions de gouverneur de commanderie.

Quanzhou est une ville portuaire depuis l'Antiquité. C'est immédiatement après avoir traversé Quanzhou que le fleuve Luoyang se jette dans la mer. Autrefois, à l'embouchure de ce fleuve, on y avait transporté l'embarcadère Wan'an pour permettre l'embarquement des voyageurs et des marchandises des deux rives. Toutefois, les bacs subissaient souvent des avaries en raison des tempêtes et des marées. Pour conjurer ces malheurs, Cai Xiang était résolu à construire un tablier reposant sur des piles, lequel permettrait de franchir le bras de mer Luoyang; ce grand pont d'une longueur de 1, 2 km et d'une largeur de 5 m fut ainsi construit sur 47 piles. Des deux côtés, 500 balustrades, sept pavillons et neuf tours jouent aussi un rôle ornemental. Les deux rives du fleuve ont été aménagées en espaces verts.

Un an après la construction du pont de Luoyang, Cai Xiang fut rappelé par l'empereur à Bianliang (aujourd'hui Kaifeng du Henan). Une inscription de 153 caractères chinois sur une stèle indique bien la date d'inauguration du pont, ses dimensions et le nom des responsables. En respectant l'opinion de M. Cai, les habitants de Quanzhou n'y ont pas inscrit son nom, mais la construction de son temple révèle les exploits immortels qu'il a accomplis dans la construction de ce pont.