Un médicament
qui fait le bonheur des femmes?
ZHANG HUA
Longtemps tabou, le sexe est maintenant
un sujet dont on parle de plus en plus en Chine. Cependant,
une recherche récente effectuée parmi les Chinoises a révélé qu'il
existe encore beaucoup de zones d'ombre.
En juillet 2004, une expérience clinique portant sur le dysfonctionnement
sexuel des femmes a été effectuée par quatre hôpitaux de Beijing
: l'hôpital no 1 et l'hôpital no 3 relevant de l'université de Beijing,
l'hôpital Xuanwu et l'hôpital Chaoyang. Lors de cette expérience,
on proposait à des volontaires un traitement gratuit avec un genre
de Viagra pour femmes appelé Fangnuo . Au départ, peu de volontaires
se sont manifestées, mais quand le sujet a fait la manchette dans
les médias, quelques braves se sont ajoutées pour essayer le produit.
Le médicament en question, le Fangnuo, stimule la pulsion sexuelle
des femmes en augmentant les sécrétions hormonales qui aident à
profiter d'une vie sexuelle mieux remplie. Responsable du projet,
la gynécologue Zhang Miao de l'hôpital no 1 de l'université de Beijing
ne s'était pas imaginé que trouver des volontaires serait une tâche
aussi difficile.
Selon une étude effectuée aux États-Unis, 25 pour cent des femmes
souffrent d'un dysfonctionnement sexuel avant la ménopause, un chiffre
qui bondit à 75 pour cent parmi celles qui sont ménopausées. En
Chine, plus de 10 pour cent des Chinoises connaissent des dysfonctionnements
sexuels que le Fangnuo pourrait atténuer. Selon la pratique internationale,
un nouveau médicament peut être vendu sur le marché qu'après avoir
passé avec succès trois étapes de tests cliniques. Les deux premières
étapes du Fangnuo ont eu lieu aux États-Unis et le produit s'est
avéré efficace. La troisième étape a été menée à Beijing sous la
direction de Zhang Miao. Son but était de tester l'efficacité et
la sûreté du Fangnuo, mais seulement une poignée de femmes se sont
portées volontaires.
Cette situation a étonné quand on la compare à la réponse enthousiaste
qu'avait connue le test du Viagra, il y a quelques années, alors
que la liste des volontaires en comportait des centaines. Zhang
Miao et ses collègues sont restés perplexes quant aux raisons pour
lesquelles les Chinoises se montraient si hésitantes.
Le sexe, l'ultime tabou
Âgée de 25 ans, Liu Lian (un non fictif) enseigne la musique à
l'école primaire, et elle est une jeune femme attirante et pleine
d'allant. Cependant, depuis son mariage en octobre 2003, ses amis
ont noté qu'elle est parfois maussade et préoccupée. Il semble évident
qu'elle n'a pas encore profité d'une véritable lune de miel, en
d'autres mots, l'orgasme lui est encore inconnu. Les problèmes qu'elle
et son mari connaissent dans leur vie sexuelle font en sorte que
les deux sont tendus et malheureux.
Pour tenter d'identifier le problème, Liu Lian a commencé à consulter
des manuels médicaux; cependant, elle n'a trouvé que quelques analyses
de dysfonctionnements sexuels masculins. Trop embarrassée pour aller
à l'hôpital et demander de l'aide, Liu Lian pensait que le seul
moyen était d'éviter d'avoir des relations sexuelles avec son mari.
Elle était même disposée à approuver qu'il se trouve une maîtresse,
plutôt que d'avoir à supporter la douleur de ses avances sexuelles.
Il semble que, partout dans le monde, y compris en Chine, on se
soucie davantage de la satisfaction sexuelle de l'homme que de celle
de la femme, et que la recherche sur les dysfonctionnements sexuels
féminins soit négligeable. Le département de gynécologie de l'Hôpital
no 1 de l'université de Beijing, où Zhang Miao travaille, a récemment
ouvert une section de santé sexuelle -quelque chose que l'on voit
rarement dans les hôpitaux chinois ou dont on entend peu parler.
La situation de Liu Lian est différente du dysfonctionnement sexuel
souvent décrit dans les manuels de médecine et qui concerne habituellement
ce qui se produit après la ménopause.
" C'est une des raisons pour lesquelles j'ai besoin de volontaires
âgées de 21 à 65 ans. Ma plus jeune volontaire a 23 ans, mais la
majorité sont des femmes ménopausées. Seulement dix pour cent des
volontaires sont dans la vingtaine, mais un fort pourcentage de
femmes dans cette catégorie d'âge souffre de dysfonctionnement sexuel
", explique Zhang Miao.
Liu Lian et beaucoup d'autres n'ont pas eu le courage de participer
au test du Fangnuo de Zhang Miao qui se désespérait de trouver des
volontaires.
Une mentalité conservatrice sur la
sexualité
La longue histoire de la société féodale en Chine, qui a tellement
refoulé la créativité et la conscience de la sexualité des femmes,
a aussi engendré ses effets sur leur psychologie sexuelle. Beaucoup
de Chinoises identifient le sexe au péché originel, et la plupart
ne rêveront pas d'exprimer leurs préférences sexuelles. Pour elles,
une vie sexuelle heureuse signifie de satisfaire les demandes de
leur mari; dans le cas contraire, elles croient qu'on va les considérer
comme dépravées et être rejetées. C'est un domaine où la réforme
et l'ouverture de la Chine ont eu peu d'influence.
" Par tradition, les femmes chinoises n'aiment pas le sexe.
Elles ont longtemps vécu la passivité et le refoulement, et elles
n'ont aucune voie officielle à travers laquelle chercher conseils,
consultations et aide ", affirme le professeur Cao Zeyi, directeur
adjoint de l'Association médicale chinoise et président de la Societé
de gynécologie.
L'opinion du professeur Cao est partagée
par le sexologue chinois Ma Xiaonian. Chez ses patients, la proportion
hommes/femmes est de 17:1, alors que dans les pays occidentaux elle
est de 4:3. Ce problème est un grand défi pour les médecins chinois,
car il semble que les citoyens chinois aient besoin d'une meilleure
éducation sexuelle, et les médecins, d'une formation accrue dans
le domaine du dysfonctionnement sexuel. On a suggéré d'établir un
service externe, formé d'une équipe de médecins travaillant de concert,
pour traiter exclusivement les problèmes que rencontrent les jeunes
couples.
Les inhibitions sexuelles des femmes chinoises affectent leurs
connaissances et leur utilisation des produits liés au sexe, longtemps
considérés comme obscènes et inconvenants. Aux États-Unis, 67 pour
cent des couples mariés emploient des lubrifiants pour stimuler
la réponse sexuelle de la femme, tandis qu'en Chine, 81 pour cent
des couples ne le font pas. En dépit des deux décennies d'ouverture
de la Chine, le conservatisme sexuel règne toujours.
Après que l'on ait parlé du Fangnuo dans les médias chinois, davantage
de volontaires sont entrées en contact avec Zhang Miao pour expliquer
leur situation et exprimer leur volonté de l'essayer. Elle a également
reçu des lettres de France et de Singapour.
Selon des médecins associés au projet du Fangnuo, la plupart des
volontaires espéraient que le produit améliorerait la qualité de
leur mariage, puisque de nos jours les jeunes couples chinois s'attendent
d'avoir une vie sexuelle qui les comblera. En 2003, plus de la moitié
des cas de divorce en Chine ont été provoqués par une vie sexuelle
insatisfaisante, bien que peu de couples aient été disposés à en
parler devant le tribunal.
Une femme dans la soixantaine dit qu'elle souffre de dysfonctionnement
sexuel et que son mari a des relations extra-conjugales. "
Ça ne me dérange pas que mon mari ait des maîtresses, dit-elle,
mais je suis inquiète pour ma fille qui souffre également du même
problème. Je veux qu'elle puisse profiter d'un mariage heureux;
alors, je l'ai amenée voir la docteure Zhang Miao. "
" L'intimité physique est très importante dans un mariage,
dit Zhang Miao, car une vie sexuelle heureuse aide à dissiper les
conflits, alors que lorsqu'elle fait défaut, un désaccord mineur
peut devenir un problème énorme. Une vie sexuelle épanouie est donc
une condition fondamentale pour une relation ou un mariage réussi.
" Selon la présentation de Zhang Miao, il y a quatre étapes
dans les relations sexuelles : l'excitation, la stimulation, l'orgasme
et les suites. Le Fangnuo aide les femmes lors de la deuxième étape.
En 2004, la rubrique féminine du site chinois Sina.com a effectué
une recherche parmi les Chinoises au moment du septième jour du
septième mois lunaire, considéré comme la Saint Valentin chinoise.
Les statistiques ont montré que beaucoup de femmes correspondaient
au projet du Fangnuo. À l'avenir, on espère que l'attention continuera
à se concentrer sur les questions concernant la santé des femmes.
La chercheuse féministe bien connue Chen Xinxin confirme que le
sexe devient un aspect plus reconnu de la vie familiale chinoise.
Autrefois, les femmes se mariaient en échange de richesses, d'un
statut social ou simplement d'un soutien économique, sans attendre
d'amour ou de vie sexuelle satisfaisante. Beaucoup restaient avec
leur mari simplement pour les enfants. Cependant, les Chinoises
d'aujourd'hui changent peu à peu leurs attentes par rapport au mariage,
et plus de 90 pour cent admettent qu'une vie sexuelle accomplie
est un élément primordial. " Comme le statut social et économique
des Chinoises s'améliore, ce qui les rend psychologiquement et socialement
plus indépendantes, ces dernières cherchent l'accomplissement dans
tous les aspects du mariage ", confirme Chen Xinxin.
Le projet du Fangnuo prouve que beaucoup de Chinoises se réfugient
toujours dans l'ombre de la mentalité traditionnelle sur le sexe,
mais qu'un nombre croissant est à la recherche d'une meilleure qualité
de vie. Encore timide au sujet du sexe, les Chinoises sont parfois
prêtes à accepter et à appliquer les nouveautés de la science.
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