L'art et
les artistes de la
troisième
génération
ZHANG ZHAOHUI
   
L'art
contemporain chinois n'est pas toujours facile à identifier pour
les profanes. Notre article vous aidera à en mieux saisir les caractéristiques
et à reconnaître ses meilleurs représentants.
Des changements spectaculaires se sont
produits depuis la réforme et l'ouverture de la Chine. Celle-ci
s'est métamorphosée d'un pays isolé et pauvre des années de guerre
froide à un moteur économique du monde. L'intégration accélérée
dans la communauté internationale a fait de Beijing, Shanghai, Guangzhou
et d'autres villes principales de la Chine des berceaux d'une nouvelle
culture urbaine. Dans cette culture, la consommation est un aspect
important. Les jeunes Chinois d'aujourd'hui jouissent d'un niveau
d'éducation auquel leurs parents n'auraient même pas imaginé avoir
accès. Étiquetés par les médias et la société comme la génération
" Bande dessinée ", " Homme nouveau ", "
Homme ultra nouveau " et même " Post-humanité ",
les jeunes s'expriment d'une façon tellement libérée qu'il y a contraste
direct avec la manière introvertie et stoïque de leurs aînés. La
grande variété des produits de consommation qui sont offerts se
manifeste dans le choix avant-gardiste de vêtements, de styles de
coiffure, de produits de beauté et de bijoux que font les jeunes.
En outre, un environnement matériel amélioré et une mentalité plus
ouverte leur donnent une affinité naturelle avec la culture populaire
européenne, américaine et japonaise.
L'art, un miroir social
Il va sans dire que les progrès sociaux
et le développement économique de la Chine se reflètent dans son
art contemporain. Des représentants de chacune des trois générations
d'artistes d'avant-garde qui ont émergé depuis 1978 ont été identifiés
par la communauté internationale. Il y a d'abord eu le Mouvement
artistique de la Nouvelle Vague des années 1980; ses représentants
les plus célèbres sont Huang Yongping, Xu Bing, Ci Guoqiang et Gu
Wenda. Tous nés dans les années 1950, ces artistes ont, alors qu'ils
étaient jeunes adultes, expérimenté l'agonie surréaliste de la "
révolution culturelle " et sont partis en Occident dans les
années 1980 et 1990, à la recherche d'un meilleur environnement
de travail. Tous les quatre ont édifié une réputation dans le milieu
international de l'art, mais leurs œuvres sont complètement en rupture
avec les changements essentiels qui ont eu lieu en Chine ".
La deuxième génération est née dans le
milieu des années 1960. Ses écoles d'art politico-populaire et de
réalisme cynique sont influencées par les mémoires d'enfance de
la révolution culturelle. Ces artistes, parmi lesquels se trouvent
Yu Hong, Liu Xiaodong, Fang Lijun, Zhang Xiaogang, Zhao Bandi, Zhang
Huan et Wang Jin, ont occupé le devant de la scène dans les années
1990.
Les artistes de la troisième génération,
dite de l'École d'art Gaudy, sont nés au début des années 1970 et
ont émergé à la fin des années 1990. Leurs œuvres ont recours aux
vidéos,aux caméras numériques et aux spectacles pour créer un art
interdisciplinaire qui convient totalement à l'expression de la
perplexité, de la confusion et de la perte d'identité qu'éprouvent
beaucoup d'artistes depuis l'urbanisation de la Chine. Ses représentants
principaux sont les artistes des nouveaux médias, dont Song Dong,
Yin Xiuzhen, Zheng Guogu, Qiu Zhijie, Zhou Tiehai, Liu Wei, et Feng
Mengbo. Un groupe d'artistes plus jeunes de Guangzhou, vaguement
liés entre eux et s'appelant eux-mêmes la Génération des caricaturistes,
a présenté des expositions d'art et des spectacles de rue, mais
ils n'ont pas réussi à donner naissance à un artiste influent. Leur
imitation évidente des dessins animés manga japonais exclut la création
de toute expression visuelle fraîche et ignore complètement la réalité
urbaine de la Chine.
L'originalité de Xiong Lijun
Au tournant du millénaire, la génération
née autour des années 1980 a commencé à faire son apparition dans
les milieux artistiques. On y trouve la remarquable Xiong Lijun
de Chongqing. Ses œuvres présentent des images fraîches et un langage
artistique qui lui est particulier. Ce dernier se manifeste surtout
par rapport à la culture urbaine moderne de la jeunesse avec laquelle
Xiong est en parfaite harmonie et qu'elle décrit de main de maître.
En septembre 2003, les œuvres de Xiong
Lijun ont été présentées à l'Exposition Androgynie nue, un satellite
de la première Biennale de Beijing qui a fait époque et qui a marqué
son entrée sur la scène artistique de Beijing. Son huile de grande
dimension J'aime bien ce que je suis a fait sensation parmi les
gens qui l'ont vue, aussi bien que parmi les critiques et les conservateurs
de partout dans le monde. Son triptyque colossal était en montre
dans la section centrale de la salle d'exposition; sa note dominante,
le jaune safran, faisait un contraste saisissant avec les tons de
bleu d'une peinture de l'artiste Huang Yin de Chengdu, titrée Salut
à Louis Vuitton. Ce contraste visuel imprégnait la salle d'exposition
d'un dynamisme exaltant qui attirait l'œil dans tous les angles
à la fois.
Étant devenue une jeune adulte durant
la réforme et l'ouverture de la Chine, Xiong Lijun exprime dans
son œuvre sa perception de l'environnement social chinois contemporain.
Son style distinctif, qui tire son origine de la réalité sociale
de la Chine d'aujourd'hui, la détache de la génération qui la précède.
Ses Séries à la bohémienne, Séries l'eau
qui joue et Séries de Printemps, avec leurs pigments de jaune safran,
de vert et de rouge, brillamment saturés et exubérants, intègrent
la générosité et la splendeur des huiles au brillant et au lustre
des acryliques. Les personnages des tableaux de Xiong sont généralement
des jeunes de 16 à 20 ans qui incarnent l'enthousiasme, l'énergie
et l'imagination à l'infini, aussi bien que la hardiesse et l'indépendance
de caractère. Ces attributs sont véhiculés par les autoportraits
non conventionnels savamment étudiés qui projettent une affinité
naturelle avec les tendances internationales. Les bandes dessinées
de la culture pop sont utilisées pour faire l'équilibre entre le
réalisme et le m'as-tu-vu; et les émotions des sujets -plaisir,
excitation et joie de vivre- sont perceptibles par le biais de l'exagération
et de la métamorphose. On y retrouve un fort sens du mouvement :
les personnages dansent, marchent, courent et volent. Leur désir
de communiquer et de se faire voir est au premier plan. Les œuvres
de Xiong Lijun ne portent aucune trace du cynisme et de l'angoisse
existentielle si dominants dans les œuvres de beaucoup de jeunes
artistes. Cette artiste est manifestement portée sur le positivisme
de sa propre génération et sur un enthousiasme sans réserve pour
la vie urbaine et le plaisir de consommer que cette dernière procure.
Son œuvre exprime la libération personnelle et sociale dans une
nouvelle culture urbaine. En bref, Xiong Lijun présente et célèbre
la nouvelle culture de la jeunesse chinoise qui s'épanouit au coeur
d'une urbanisation d'ensemble et continue.
Le monde imagé de Xiong Lijun peut alors être interprété comme
une représentation visuelle de la mentalité de la jeunesse d'aujourd'hui,
par l'entremise même d'une représentante de cette jeunesse. Les
images de Xiong reflètent son tempérament vibrant : spontanée, indépendante,
enthousiaste et ouverte -toutes des caractéristiques représentatives
de la génération de l'enfant unique, portée par un contexte de "
consommation à tout crin ".
Depuis 25 ans, les artistes chinois ont
suivi et ont étudié l'art des pays développés d'Europe, d'Amérique
et d'Asie. Il y a eu peu d'exemples d'art chinois contemporain ayant
un langage visuel propre et une valeur esthétique distinctive qui
ne s'en remettaient pas aux attentes du circuit artistique établi.
À cet égard, les œuvres de Xiong Lijun font preuve d'originalité;
elles signalent une nouvelle confiance dans l'art contemporain chinois
et une avancée vers un espace de création artistique plus libre
et plus ouvert. L'œuvre de Xiong Lijun est un témoignage de la transformation
culturelle en Chine; ses tableaux constituent indéniablement de
l'art contemporain chinois.
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