Quel impact
a l'économie chinoise
sur sa population?
LUO YUANJUN
 
Un
constat alarmant dans deux domaines qui concernent de près la population
: l'alimentation et l'habitation. Fort heureusement, le gouvernement a
décidé de mettre en place rapidement des mesures correctives.
L'atterrissage en douceur de l'économie
signifie le ralentissement d'une économie en surchauffe vers un
taux de croissance plus modéré. En apparence, cela semble être un
redressement macroéconomique qui concerne l'État, sans relation
avec les gens ordinaires. Or, une surchauffe de l'économie exerce
un fardeau sur la vie quotidienne de la population, alors que le
ralentissement contrôlé peut lui apporter un avantage réel.
Ces dernières années, la hausse des prix de céréales n'a pas apporté
d'avantages économiques aux paysans. Pourtant, elle a influencé
de façon défavorable la vie de millions de familles à revenu moyen
ou bas. Cette hausse des prix des céréales a réduit également le
revenu des travailleurs paysans. Depuis le redressement macroéconomique
effectué fin 2004 par le gouvernement, le prix des céréales a commencé
à baisser. L'an 2005 sera une année clé pendant laquelle l'économie
chinoise atterrira en douceur.
 
L'alimentation
La hausse des prix de l'alimentation
a caractérisé la vie économique en 2004. Selon les chiffres publiés
par le Bureau d'État des statistiques de Chine le 13 septembre 2004,
le prix de céréales aurait augmenté de 31,8 %, le prix de l'huile,
de 22,5 %, la volaille et ses produits, de 23,5 %, les oeufs, de
30,3 %, les produits aquatiques, de 15,6 %, les légumes, de 5,8
% le mois précédent. De toute évidence, des augmentations de cette
ampleur sont alarmantes, quelle que soit la norme à partir de laquelle
on les juge.
Ces dernières années, comme le prix des
produits agricoles a été bas et que les coûts de production ont
augmenté sans arrêt, les paysans ont enregistré des pertes. Dans
certains secteurs, des paysans ont quitté la terre à la recherche
d'un autre gagne-pain. À cette situation se sont ajoutées des catastrophes
naturelles, et la production de céréales a été réduite durant des
années consécutives; afin de garder l'équilibre, on a donc dû s'appuyer
sur les stocks pour l'approvisionnement en céréales. Le prix des
céréales a ainsi augmenté continuellement, ce qui a entraîné la
hausse des prix à la consommation et a accru la pression inflationniste.
Pour encourager les paysans à rester sur la terre, le gouvernement
a pris des mesures de réduction fiscale et d'augmentation des subventions;
à travers ces mesures, la situation s'est améliorée. Il n'y a pas
si longtemps, les paysans étaient disposés à payer quelqu'un d'autre
pour cultiver leurs parcelles de terre et à profiter de leurs récoltes,
tandis qu'eux allaient à la ville pour travailler dans le secteur
non agricole. Beaucoup sont maintenant revenus à leur terre.
  
Comme le confirme un paysan de la province
de l'Anhui, les hausses du prix des céréales rapportaient beaucoup
plus aux négociants qu'aux paysans. Il demande : " Comment
les paysans peuvent-ils prendre le dessus sur les négociants, alors
que leur plus grand accès à l'information du marché les rend tellement
plus perspicaces que nous ne pourrions jamais oser espérer l'être?
Si le gouvernement veut nous en donner les bénéfices, à nous les
paysans, la manière la plus efficace est de verser une subvention
directe. "
Parallèlement, les hausses du prix des
céréales ont asséné un dur coup aux citoyens à faible revenu. Vers
la fin de 2003, le nombre de résidants urbains assurant leur subsistance
d'une allocation du gouvernement a grimpé à 22,468 millions. Pour
ces habitants urbains à faible revenu, la hausse du prix des céréales
a eu un effet désastreux. Le 1er juillet 2004, afin de maintenir
le statu quo et d'alléger la situation difficile de ces gens, le
gouvernement municipal de Beijing a mis en application des politiques
d'assistance sur des articles particuliers, tout en maintenant l'allocation
mensuelle de minimum vital de 290 yuans par personne.
Les travailleurs paysans embauchés pour
du travail temporaire se sont encore moins bien tirés d'affaire
que les résidants urbains à faible revenu. En 1993, à Guangzhou,
Bao Richang avait trouvé un travail de garde de sécurité offrant
un salaire mensuel de 600 yuans. Il considérait ce salaire comme
juste pour ce travail propre, pas trop exigeant et régulier. En
2003, son fils Bao Ming est venu le rejoindre de sa ville natale.
Toutefois, il a refusé le travail de garde de sécurité que Bao Richang
avait convenu pour lui au même salaire de 600 yuans. Et il explique
ainsi son refus : " Il y a dix ans, un repas coûtait seulement
deux yuans, alors qu'il en coûte cinq yuans aujourd'hui. Combien
me resterait-il sur ces 600 yuans? Je ne serais pas mieux qu'à cultiver
la terre à la maison. "
Selon une enquête récente du Syndicat
provincial de la province du Shanxi, les travailleurs paysans du
Shanxi sont embauchés surtout pour effectuer des travaux manuels
dangereux ou durs, tel que dans les mines ou la construction. Leurs
salaires mensuels sont bas : 8,6 % d'entre eux gagnent moins de
300 yuans par mois, 24,3 % entre 300 et 500 yuans, le salaire minimum
en 2004 . En 1978, le coefficient d'Engel des familles paysannes
était de 67,7 %, et celui des familles urbaines, de 57,5 %. En 2003,
les proportions se sont réduites à 45,6 % et 37,1 %, au moment où
la consommation des Chinois, surtout ceux des villes, a effectué
la transition du simple niveau de subsistance pour la nourriture
et le vêtement vers le luxe.
Selon une enquête effectuée au Henan,
au premier semestre de 2004, le niveau de consommation des habitants
a augmenté de 5,6 % par rapport à celui de la même période de l'année
précédente. Cette hausse est causée par une dépense plus grande
pour l'alimentation que pour les produits non alimentaires. Étant
donné que les prix des aliments ont augmenté, la consommation des
citadins s'est orientée davantage vers les dépenses liées aux nécessités
courantes, ce qui a fait augmenter le coefficient d'Engel et imposer
un fardeau plus lourd aux familles à faible revenu.
L'augmentation des prix des produits
agricoles, causée par les baisses continues des rendements agricoles
au pays et des prix plus élevés du marché international, a entraîné
la hausse des produits de consommation et posé une plus grande menace
inflationniste. Afin de réaliser un atterrissage en douceur de l'économie
et contrer la hausse des prix en 2005, le gouvernement chinois doit
procéder à un redressement économique d'ensemble.
 
Habitation
La surchauffe des investissements dans
l'immobilier constitue l'un des facteurs principaux de la surchauffe
de l'économie. Si on ne peut garantir le droit à l'habitation des
gens à revenu faible ou moyen, le gouvernement chinois devra faire
face à des problèmes sociaux sérieux. En octobre 2004, la hausse
des taux d'intérêt annoncée par la Banque centrale de Chine, la
première fois, en neuf ans, a réfréné quelque peu l'investissement
immobilier. Beaucoup de citoyens chinois espèrent qu'en 2005, le
prix de l'habitation redeviendra raisonnable.
Hou Jun, 34 ans, travaille dans un bureau
du gouvernement. Elle est toujours célibataire parce qu'elle n'a
pas été capable d'économiser suffisamment d'argent à partir de son
salaire mensuel de 2 500 yuans pour acheter son propre logement.
Originellement, elle avait arrêté son choix sur des appartements
situés dans la banlieue ouest de la ville et dont le prix était
de 4 000 yuans/m2, mais à la deuxième étape de commercialisation
du projet, le prix des appartements avait grimpé à 6 000 yuans/m2,
ce qui était bien au-delà de ses moyens. Elle ne sait plus quoi
faire. Les projets d'habitation de ce type sont beaucoup trop chers,
et elle est réticente à prendre part à la cohue pour l'obtention
d'appartements à prix modique subventionnés par le gouvernement.
 
En revanche, les gens mieux nantis sont
favorables aux prix élevés qui ont cours sur le marché de l'immobilier.
Lors d'un colloque à Nanjing, l'économiste Wang Jian a révélé des
prévisions audacieuses dans un discours qu'il prononçait pour l'occasion
: " De manière prudente, on peut dire que dans dix ans, le
prix des logements dans les grandes villes comme Beijing, Shanghai
et Nanjing aura triplé; de manière optimiste, il aura quintuplé.
" Un entrepreneur a alors rétorqué : " Je suis heureux
d'entendre ces paroles si encourageantes, mais je regrette de n'avoir
pas pu voir le vent venir, j'aurais acheté davantage de maisons."
Les gens moins favorisés ne partagent pas la même opinion.
Par exemple, si Hou Jun veut acheter
un logement de 80 m2 à 6 000 yuans/m2, cela veut dire mettre de
côté 10 000 yuans par année pendant 50 ans. Sans aucun doute, les
prix actuels des logements sont trop élevés par rapport au revenu
des habitants.
 
Les prix élevés dans le secteur immobilier
sont causés par trois facteurs principaux. Le premier touche la
croyance traditionnelle voulant qu'en ce qui concerne les avoirs
familiaux, l'immobilier soit le meilleur investissement, car les
actions boursières peuvent se dévaluer, mais la brique et le mortier
ne le feront pas, bien au contraire. Deuxièmement, sur le plan de
la mise en marché, l'urbanisation accélérée de la Chine a fait augmenter
la demande pour l'habitation, et la promotion immobilière galopante
qu'effectuent les promoteurs dans les médias a favorisé la hausse
des prix dans le marché. Finalement, le troisième et le pire facteur
touche les récents rapports publiés selon lesquels certains organismes
d'investissement étrangers auraient injecté " de manière cachée
" de fortes sommes d'argent dans le marché chinois de l'immobilier,
engendrant ainsi une bulle immobilière en Chine. Le rapport conclut
que le développement sain du marché immobilier chinois aurait donc
été influencé par cet organisme étranger dont l'intention était
de créer une bulle immobilière représentant des retombées fort lucratives.
Règle générale, un secteur ayant une
croissance saine et stable n'est pas le témoin d'un afflux d'investissement
social dans une courte période de temps, car une telle situation
indique une chance accrue de fluctuations au sein du secteur. À
la fin de novembre 2004, l'Institut de recherche économique de la
Commission d'État pour le développement et la réforme a publié un
rapport intitulé : Ajuster la politique monétaire et alléger le
resserrement des fonds. Le rapport révèle que plus de 100 milliards
$US de capitaux flottants venant de l'étranger sont entrés sur le
continent chinois. Il déclare : " Au premier semestre de 2004,
la dette étrangère a augmenté de 16 %, pour atteindre plus de 200
milliards $US, et 50 % de celle-ci est une dette à court terme d'une
nature semblable à ces capitaux flottants. " Selon les statistiques,
l'immobilier est un pôle pour ces capitaux flottants étrangers.
Depuis cinq ans, Hangzhou se classe au
troisième rang pour ce qui est de la hausse du prix du logement
parmi 19 villes et municipalités relevant des autorités provinciales
et préfectorales. Dès 1999, le marché immobilier de Hangzhou a connu
une augmentation des investissements et des ventes, et les consommateurs
locaux ont continué à manifester un fort pouvoir d'achat. Le taux
de croissance des prix a été de 30 % ces cinq dernières années.
Pour refroidir la surchauffe immobilière,
le premier janvier 2004, la municipalité de Hangzhou a commencé
à percevoir 20 % de taxe d'affaires sur l'achat de logements de
seconde main. Cependant, cette politique a pris fin le 1er septembre
suivant. Paradoxalement, cette taxe encourageait la hausse des prix,
car les vendeurs remboursaient sous la table le montant de la taxe
aux acheteurs.
 
Le cas de Hangzhou démontre la nécessité
d'un atterrissage en douceur. L'économie du marché est une économie
organique, au sein de laquelle la mise en place de certaines politiques
ponctuelles n'arrive pas à résoudre des problèmes particuliers.
Il faut réaliser un atterrissage en douceur de l'économie pour contenir
la surchauffe économique d'ensemble.
Actuellement, 72 % des citadins possèdent
leur logement, et beaucoup de gens estiment qu'une baisse des prix
immobiliers engendrerait des pertes, surtout pour ceux qui ont emprunté
de l'argent à la banque. Mais, règle générale, tous comprennent
que les prix des biens immobiliers doivent être refrénés, surtout
lorsqu'on songe que Hongkong a été l'épicentre de la crise financière
en Asie.
Comme le dit le docteur Yin Zhongli de l'Académie des sciences
sociales de Chine : "À court terme, la spéculation immobilière
peut vraiment stimuler la croissance économique, mais à long terme,
cette stimulation ressemble beaucoup à un découvert et ne peut créer
une véritable prospérité économique."
Document
Les sept périodes
de surchauffe économique depuis
la fondation
de la Chine nouvelle
Depuis la fondation de la Chine
nouvelle, le pays a connu sept surchauffes économiques et
chacune d'elles a entraîné de fortes pertes. Avant la réforme
et l'ouverture, il y en a eu trois : le taux de croissance
économique a atteint 21,3 % en 1958, 18,3 % en 1964 et 19,4
%1970. Ces trois surchauffes ont toutes engendré une croissance
économique négative. Prenant l'exemple des fluctuations de
1958 à 1962, à la suite d'un pic de croissance en 1958, l'économie
chinoise a enregistré une croissance négative pendant trois
années (1960-1962), avec un taux de croissance de moins 29,7
% en 1961, un écart de croissance de 51,7 %. La première période
de surchauffe a retardé de sept ans le développement de l'économie
chinoise, et ce n'est qu'en 1964 que la Chine a pu retrouver
le niveau économique enregistré en 1957. Lors des quatre autres
surchauffes, les pics de taux de croissance ont été plus faibles
que les trois autres, mais ils se sont aussi maintenus à un
niveau élevé : 11,7 % en 1978, 15,2 % en 1984, 11,6 % en 1987
et 14,2 % en 1992. Une croissance négative n'a pas suivi,
mais des baisses ont été inévitables. La réponse du gouvernement
a été tardive lors de ces quatre surchauffes, et les mesures,
trop draconiennes. Ce n'est qu'en 1993 qu'un atterrissage
en douceur a été réalisé.
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