DÉCEMBRE 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

ENTRE L’AVENTURE ET L’EXIL

LISA CARDUCCI

Je connais Yu Lan depuis 1991. Il n’avait alors jamais enseigné le chinois à des étrangers, et avait envie de tenter l’expérience. Pour ma part, je ne voulais pas d’un professeur et de cours systématiques, seulement d’un tuteur pour répondre à mes questions. Yu Lan a accepté de suivre mon rythme, et a été d’une aide précieuse dans mon apprentissage du chinois en autodidacte.

 

Yu Lan, pouvez-vous nous parler de votre enfance et de votre famille?

J’ai grandi à Beijing bien que mes parents soient originaires de Tianjin et Changsha respectivement. Ils se sont connus et mariés à Beijing, et plus tard se sont établis à Wuhan. Ma famille à ce moment-là consistait en mon père, ma mère et moi. Plus tard, j’ai eu une petite sœur et un petit frère. Nous avons une différence d’âge de trois et cinq ans. C’est à Beijing que j’ai fréquenté le jardin d’enfants, l’école primaire et les deux cycles du secondaire.

Où avez-vous poursuivi vos études universitaires?

J’ai fréquenté l’Institut des langues étrangères de l’Armée populaire de libération et j’ai étudié l’anglais. J’ai fait mon baccalauréat, puis la maîtrise.

Et puis, vous avez commencé à travailler?

D’abord, j’ai enseigné l’anglais à l’Institut de l’APL où j’avais étudié moi-même, à Luoyang dans la province du Henan, une ville qui a été la capitale de neuf dynasties. Ensuite,j’ai enseigné à Beijing, à l’Institut des langues étrangères no 2, qu’on appelle en abréviation Er Wai

C’est là que nous nous sommes connus en 1991 quand j’y enseignais aussi.

Exact. J’ai enseigné aux classes de débutants jusqu’aux étudiants avancés. Je préférais les cours plus avancés. Je détestais certaines règles à l’école de l’armée, mais maintenant je pense qu’elles étaient nécessaires.

Comment en êtes-vous arrivé à quitter la Chine pour les États-Unis?

Je suis parti pour les États-Unis dans le cadre d’un programme d’échanges, et l’année suivante, j’ai fait une demande pour aller étudier au Canada. Diplôme en main, j’ai trouvé un emploi aux États-Unis.

Vous êtes toujours dans l’enseignement?

Je suis actuellement professeur adjoint de langue chinoise dans un centre linguistique en Californie.

Qu’est-ce qui vous heurte le plus dans le travail?

Rien ne me heurte vraiment. Er Wai me traitait bien, même si le logement était exigu. Une chose que je n’aime pas généralement, c’est que les collègues chinois, les administrateurs et le personnel des services se trouvent en fait à un échelon plus élevé de la hiérarchie du pouvoir que les enseignants qui, en réalité, sont les véritables maîtres d’œuvre de la tâche d’enseignement.

Qu’est-ce qui vous plaît davantage dans votre travail?

Eh bien, comme j’enseigne le chinois à des anglophones, je suis souvent surpris par les questions des étudiants, des questions que les étudiants chinois ne poseraient pas. C’est un défi pour les enseignants, car le professeur répond à partir de ce qu’il a lui-même appris dans les livres de grammaire chinoise. Mais ces réponses ne suffisent pas, car les livres ont été préparés pour des étudiants de langue maternelle chinoise, et ne prévoient pas les questions des étrangers. Je vois la nécessité d’une grammaire rédigée spécialement pour des étudiants anglophones. Bien sûr, je suis davantage un stratège qu’un soldat, je veux dire que si je perçois ce besoin, je ne fais rien moi-même pour essayer de pallier cette lacune. C’est une entreprise qui me dépasse.

Comment meublez-vous vos loisirs?

J’aime les livres. J’en ai acheté plus que nécessaire d’abord en Chine, puis ici aux États-Unis. Je m’en suis procuré à diverses sources, une quantité telle que j’en suis effrayé maintenant. Je devrais en distribuer une bonne part à quelques bibliothèques. J’aime les arts, mais je ne me suis jamais lancé à en faire vraiment. J’ai trouvé un passe-temps intéressant dans le dessin à l’ordinateur, et j’ai réalisé un certain nombre de « tableaux » pour le plaisir.

Vous m’en avez envoyé plusieurs par courrier électronique, et je trouve qu’au cours des ans votre technique a passablement progressé.  Vous me semblez aussi doué pour les langues, puisque vous lisez le français sans jamais l’avoir étudié.

Ici, aux États-Unis, je me suis mis à l’espagnol. J’aime bien étudier les langues étrangères.

Quels sports pratiquez-vous?

Je ne suis pas vraiment sportif, mais je fais beaucoup d’exercice pour me tenir en forme, comme la bicyclette. Je vais travailler et faire mes emplettes à bicyclette, ce qui présente le second avantage d’épargner de l’essence. Je pratique aussi la danse folklorique mexicaine.

Vous êtes allé au Mexique?

Oui, en décembre 2004. Je m’y sentais à l’aise, comme chez moi, sauf en ce qui concerne le prix exorbitant des marchandises au détail. Cela a coupé les ailes à mon rêve de m’établir au Mexique à ma retraite. Je pensais vivre au Mexique parce qu’à ce moment-là, disons dans une quinzaine d’années, la Chine sera tellement développée que le dollar n’y trouvera plus d’avantage.

Vous êtes retourné en Chine depuis votre départ en 1995?

J’y suis allé deux fois, en 2001 et en 2003, et j’ai rédigé de longs comptes-rendus en chinois que j’ai publiés dans un e-magazine. Je n’ai pas fouillé trop profondément les changements sociaux étant donné que mes visites étaient plutôt superficielles, dans le but de voir les changements externes, la nouvelle image des villes.

Quand vous êtes parti pour les États-Unis, pensiez-vous y rester?

L’idée d’y séjourner était de me donner une chance face à mes études ultérieures, mais comme mon unité d’attache, Er Wai, n’avait pas pris d’arrangement en ce sens, j’ai été coupé. Je n’avais pas fait de plan à long terme; les événements se sont succédé un peu au hasard. J’ai décidé d’y rester plus longtemps parce qu’avec une majeure en anglais, je voulais expérimenter la culture. Je désirais aussi gagner quelque argent qui puisse durer longtemps en Chine.

Qu’avez-vous retiré des États-Unis?

Bien que je ne sois pas encore tout à fait adapté aux États-Unis, j’apprécie l’environnement général : moins de monde, plus de politesse, plus d’ordre, plus de respect des piétons dans les rues, quelques bons films et des téléromans, les bibliothèques publiques, et aussi l’usage illimité d’Internet.

Retournerez-vous en Chine?

Je ne sais pas si je retournerai vivre en Chine, mais certainement pas en tant que « haigui ». (Littéralement, « tortue de mer ». Chinois qui fait de hautes études à l’étranger et retourne travailler en Chine en tant que spécialiste. NdR.) À mon âge, je pense que les occasions d’emploi pour moi ne sont pas très bonnes, tandis qu’ici, j’occupe un emploi qui peut durer jusqu’à ma retraite et alors je jouirai d’une pension.

La Chine vous manque-t-elle?

Ce qui me manque de la Chine, c’est l’animation et le brouhaha de Beijing, mais trop, ce n’est pas bon non plus. Aussi la véritable cuisine chinoise me manque.

Et quoi d’autre, sur le plan psychologique ou social, par exemple?

Les occasions de créer des liens interpersonnels. Ici, aux États-Unis, se faire des amis n’est pas facile, et trouver à se marier encore moins.

N’avez-vous pas séjourné au Canada quelque peu?

Oui. J’ai passé deux ans au Canada, dans la province du Nouveau-Brunswick pour faire une autre maîtrise. En anthropologie cette fois. J’aimais la tranquillité de ce pays, mais l’emploi y est rare.  J’ai également beaucoup apprécié l’attitude accueillante de la population locale et de mes professeurs.

 

Comment trouvez-vous les Canadiens?

Ils sont généralement amicaux, et satisfaits de leur vie. Ce que j’apprécie également, c’est que le Canada n’essaie pas de mener le monde comme les États-Unis.

Quel avenir prévoyez-vous pour la Chine?

L’avenir économique de la Chine est prometteur, mais la Chine doit compter sur l’exportation. Le pays devrait exploiter les marchés intérieurs et travailler fort pour éliminer l’immense écart entre les pauvres et les riches. Je m’inquiète de la rivalité entre la Chine et les États-Unis pour obtenir les ressources du monde. Les deux pays devraient devenir plus responsables face à la protection de l’environnement et la conservation des ressources naturelles.

Vous avez un rêve?

Pas vraiment. Je n’ai pas d’espoir d’acheter une maison en Californie et mon espoir d’en acheter une en Chine s’amoindrira avec l’augmentation de la valeur du yuan chinois dans l’avenir. Alors, je suis vraiment inquiet de mes besoins personnels de sécurité à mesure que je vieillis.

Qu’aimeriez-vous changer, si vous étiez Dieu?

Si j’étais Dieu? Non, jamais! Ou peut-être que je rapprocherai géographiquement la Chine et les États-Unis de façon à pouvoir retourner en visite au pays facilement.

Quelques peintures de Yulan.