DÉCEMBRE 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Mariage de la peinture avec la poésie, la calligraphie et le sceau

Une particularité de la peinture chinoise

YAN WEIJUAN

Au printemps, le fleuve déborde, s’unissant à la mer,
De l’océan, la lune monte avec la marée;
Scintillante, suivant les flots sur dix mille «li»,
La lune glisse omniprésente le long du fleuve au printemps.

Le courant serpente entre les prairies parfumées,
Les arbres fleuris deviennent neigeux sous les rayons argentés;
Dans l’air qui semble condensé, se meut le givre
Qui voile les rives sablonneuses, à peine distinctes.

–Extrait de Fleuve, lune et fleurs printanières de Zhang Ruoxu, dynastie des Tang (618-907)

Sur la Seine, Auguste Renoir.

En Chine, on dit : « Sans poésie, la peinture est incomplète; sans peinture, la poésie n’est pas belle », car la poésie et la peinture se complètent mutuellement. Un bon poème est comme une belle peinture sans la couleur, et une belle peinture est comme un bon poème qu’on peut comprendre sans difficulté. En fait, la poésie est un art de la langue, et la peinture, un pour les yeux.

Une tradition millénaire

La tradition de dédicacer les peintures date de la dynastie des Wei et des Jin (220-588) et existe dans d’autres pays, mais la tradition de marier la peinture à la poésie, surtout à la calligraphie et au sceau, est un trait caractéristique de la peinture chinoise.

Raisin, Xu Wei, dynastie des Ming (1368-1644)

Avant la dynastie des Wei, on ne dédicaçait pas les peintures et on n’y apposait pas non plus de sceau. L’empereur Xiaoyi (508-554) de la dynastie du Sud a été le premier peintre connu jusqu’à maintenant à avoir dédicacé ses peintures. Mais à cette époque, les peintres mettaient d’abord leur nom dans un coin de la peinture et le cachaient ensuite avec de la couleur. On ne pouvait donc pas voir le nom de l’auteur. Cette situation a changé à partir de la dynastie des Song (960-1279). On a alors commencé à mettre en petits caractères à la fois le nom du peintre et la date à laquelle la peinture avait été faite. Puis, un poète important du nom de Su Shi a changé totalement la situation. Il a non seulement dédicacé ses peintures en gros caractères, mais a aussi commencé à écrire des poèmes sur ses peintures. Durant la dynastie des Yuan (1279-1368), les empereurs étaient d’origine mongole et ne faisaient confiance qu’aux Mongols. Même s’ils caressaient de grandes ambitions, règle générale, les lettrés han ne pouvaient pas être fonctionnaires. Pour manifester leur mécontentement, ils ne pouvaient donc que compter sur la peinture. Étant donné qu’ils apposaient leur cachet sur leur œuvre, ceci a promu directement le mariage de la peinture avec la poésie et le sceau, et c’est justement en ces temps-là que les lettrés ont commencé à faire des sceaux eux-mêmes. Mais à cette époque, même si la peinture cohabitait avec le sceau, la poésie et la calligraphie, l’art pictural ne restait qu’un jeu intellectuel. Durant les Ming (1368-1644), comme cette sorte de peinture était bien appréciée du public, elle devint un trait dominant de l’art pictural. Beaucoup de grands peintres étaient à la fois de grands poètes, calligraphes et fabricants de sceaux. Mentionnons, par exemple, Tang Bohu, Qi Baishi et Pan Tianshou, etc.

Paysage automnal au pont Quehua à Jinan, Zhao Mengfu, de la dynastie des Yuan (1279-1368).

Dans l’histoire, les lettrés ont tenu une place exceptionnelle. Leur peinture a été appelée la « peinture des lettrés ». À partir de la dynastie des Sui (581-618), les empereurs ont commencé à choisir des officiels par des examens, ce qui a encouragé les intellectuels à faire de la poésie et l’a popularisée. Bon nombre de poètes célèbres comme Li Bai, Du Fu et Wang Wei sont apparus durant la dynastie des Tang, une dynastie prospère sur le plan économique et culturel. Wang Wei est considéré comme le premier peintre à avoir bien réussi à faire cohabiter la peinture, la poésie, la calligraphie et le sceau. Su Shi l’a complimenté en ces termes : « Les poèmes de Wang Wei ressemblent à une belle image, ses peintures sont aussi séduisantes que des poèmes ». À ce moment-là, si un poète se tournait vers la peinture, il illustrait certainement sa poésie et sa calligraphie par la peinture.

Une combinaison naturelle ou artificielle?

Les peintres occidentaux tiennent davantage compte de la couleur et de la réalité que les peintres chinois. Ils remplissent la toile avec des couleurs en décrivant souvent la réalité de l’objet. Pour certains, ce qui est très important, c’est de faire en sorte que la peinture s’apparente le plus possible à l’objet peint. Le nom de l’auteur et la date de la peinture sont également inscrits dans le coin inférieur gauche ou droit, seulement pour marquer le droit d’auteur. Si on imposait un poème à une peinture occidentale, le poème semblerait un trait défectueux, tout comme on dit généralement : « L’invité tapageur a supplanté le maître de la maison ». Il en va tout à fait autrement pour la peinture chinoise, parce qu’elle porte davantage attention à manifester le sentiment de l’auteur, peu importe la ressemblance de l’objet avec la réalité. Dans ce cas, le peintre met l’accent sur ce qu’il trouve important et sur ce qui est en mesure de montrer ses sentiments, et il élimine les autres aspects. Par exemple, pour montrer la beauté d’un arbre, un peintre occidental va peindre tout l’arbre, mais un peintre chinois ne peindra que les quelques branches qu’il trouve les plus belles et les plus spéciales. En conséquence, le peintre chinois a assez d’espace dans une toile pour écrire des poèmes, et il peut aussi profiter de la poésie pour mieux manifester son sentiment.

Poésie et peinture, chacune a ses points forts et ses points faibles : la peinture est concrète, même un enfant qui ne sait pas écrire peut aussi la comprendre, mais elle souffre des restrictions que lui impose la toile, car elle ne peut exprimer que certains aspects d’un objet. Au contraire, la poésie n’a pas de limite d’espace. Si on met un poème dans une peinture, le peintre peut certainement exprimer ses idées plus clairement.

Quant au sceau, au début, il n’avait rien à voir avec la peinture. À partir de la dynastie des Song, on a commencé à l’utiliser dans les peintures afin de souligner leur auteur. À cette époque, les peintres, les connaisseurs et les collectionneurs de peintures aimaient beaucoup signer leur nom par des sceaux. Pendant les Yuan, au fur et à mesure du développement du lavis à l’encre de Chine, le sceau rouge est apparu pour ajouter de la couleur aux peintures en noir et blanc.

En général, il y a trois sortes de sceaux : le sceau de nom, le sceau de maison et le sceau de devis. Le sceau de nom est le plus populaire. Auparavant, les peintres chinois avaient généralement un nom personnel, un nom de plume ou surnom, et une appellation; par exemple, le peintre Qi Baishi avait Huang pour nom personnel et Pinsheng pour appellation, tandis que Baishi était son nom de plume ou surnom. Chaque peintre possédait donc deux sceaux de nom : un sceau blanc gravé de son nom personnel et un sceau rouge gravé de son nom de plume. L’endroit où habitait un intellectuel était souvent surnommé pavillon, tel que le pavillon des Parfums subtils à la Cité interdite. Le sceau de maison indiquait donc le titre de la maison. Et sur le sceau de devis était gravé le devis du peintre. Grâce à celui-ci, on pouvait connaître le concept même, le caractère du peintre. Par exemple, par l’expression : « Pour être très intelligent, il faut parcourir cent mille li », on apprend que l’auteur est naturel, qu’il veut apprendre auprès de la nature et qu’il déteste reproduire le modèle des autres. Dans tous les cas, le sceau devait correspondre au contenu de la peinture.

L’expérience a toutefois montré qu’il n’est pas facile de faire cohabiter parfaitement la poésie, le sceau et la calligraphie dans une peinture. Pour réaliser une bonne peinture, il faut donc avoir une bonne connaissance de la littérature, de l’esthétique et même de la philosophie et des sciences. C’est un défi millénaire que la peinture tente toujours de relever.