Ergun,
d’un point minuscule à l’immensité

LOUISE
CADIEUX
Si vous cherchez
Ergun sur une carte de Chine, vous ne trouverez qu’un point minuscule
situé dans l’extrémité nord de la Mongolie intérieure, à la frontière
de la Russie. Mais si vous vous y rendez, vous découvrirez que c’est
l’un des endroits où la notion d’immensité prend vraiment tout son
sens.
De
Beijing à Hailar, la ville ayant une liaison ferroviaire située
le plus près d’Ergun, il faut 28 heures de train. Pendant la
plupart de ces heures défilent champs de maïs après champs de maïs,
boisés touffus et petits cours d’eau au-dessus desquels voltigent
différents types d’oiseaux. Dans notre groupe de 86 amateurs
de grande nature, beaucoup ont déjà le nez rivé à la fenêtre du
wagon ou passent leur temps à tenter d’identifier les « créatures
ailées » qu’ils viennent de voir à l’aide de leur manuel d’ornithologie.
Les conversations sont animées et quelques membres ont même décidé
d’égayer la soirée de leur chant. Mais dès 21 h 30, les
préposés ferment les lumières du wagon. Tous trouvent qu’il est
vraiment un peu trop tôt pour dormir, mais c’est le lendemain que
l’on comprendra pourquoi il fallait se coucher si tôt. En effet,
dès 3 h 30, il fait pratiquement jour, et à 5 h,
le soleil brille comme jamais. En matinée, le panorama n’a pas encore
beaucoup changé, sauf que, en arrivant aux champs pétrolifères de
Daqing, les vrais oiseaux ont cédé la place aux grosses pompes qui
extraient sans cesse le pétrole. Puis, en milieu d’après-midi, c’est
l’arrivée à Hailar.
Dès la descente du train, des autobus nous attendent
pour nous conduire à Ergun, située à 128 km au nord-ouest de
Hailar. Nous y passerons la première nuit dans un hôtel vraiment
très confortable pour ce coin de pays si reculé, non sans s’être
préalablement rendus à un pont, célèbre dans cette ville, pour le
panorama qu’il offre sur les eaux pures de la rivière Ergun.
Les terres humides de Xiaogushan
Peu de temps après avoir quitté la ville d’Ergun le lendemain matin,
c’est un paysage pastoral qui s’offre à nous : des collines
verdoyantes qui ondulent, un ciel d’un bleu vraiment pur, des moutons,
des vaches et des chevaux qui viennent mettre une touche de vie
dans ce paysage de carte postale. Quand on imagine les steppes de
Mongolie dans toute leur splendeur, avec une herbe qui pousse haute
et drue, c’est là qu’on les retrouve! Parfois, une maison entourée
de parcelles de champs cultivés vient rompre ce décor à l’immensité
quasi irréelle. Puis l’autobus se met à grimper, et au détour d’une
pente, on aperçoit de vastes étendues de terres humides, nichées
au creux d’une large vallée. Une petite rivière sinue au cœur de
ces terres et crée des étangs entourés de hauts roseaux. Les canards,
tranquilles, nagent dans l’un d’eux. C’est Xiaogushan, que certains
experts chinois ont évalué comme étant les terres humides les mieux
préservées de Chine, nous dit-on.
Puis, nous nous sommes arrêtés dans une ferme
privée qui élève des chevaux. De là, les collines environnantes
offrent un panorama à vol d’oiseau de l’ensemble des terres humides
de la région, ce qui permet de constater que la rivière Ergun fait
une ligne de démarcation entre ces dernières et les steppes. Aucun
pont n’enjambe la rivière. Peut-être est-ce la raison pour laquelle
cette zone est restée quasiment intacte. Peu avant l’heure du midi,
nous avons navigué pendant une quarantaine de minutes sur la rivière
Ergun, ce qui nous a permis d’admirer de plus près la vie d’un village
russe situé tout juste de l’autre côté de la rive. Selon les guides
locaux qui nous accompagnaient, des échanges commerciaux se font
entre les deux rives, mais les contacts ne se limitent à peu près
qu’à cela actuellement, puisque la circulation ne s’y fait pas librement.
Mais à entendre ces guides, il est clair qu’ils sont bien loin d’envier
le sort de leurs voisins russes…
Un berceau de différentes cultures
En 1214, Gengis Khan a offert cette région à l’un de ses frères
qui a alors décidé d’y construire le château de Heishantou, sur
les rives orientales de la rivière Ergun, au centre de son territoire.
Nous nous sommes arrêtés aux ruines de cet emplacement, mais les
vestiges des murs du château se fondaient pratiquement dans la steppe
environnante. Une plaque commémorative est à peu près la seule chose
qui pouvait nous instruire sur le passé glorieux de l’endroit. Puis,
nous sommes repartis en suivant toujours une section de la rivière
Ergun qui coule sur plus 1 500 km. Les collines ont peu
à peu cédé la place à des bois de pins et de bouleaux. Tout au cours
de la journée, la route a été sinueuse et cahoteuse, mais ce paysage
naturel si grandiose nous faisait facilement oublier tous les soubresauts
de la route.
En fin d’après-midi, nous avons atteint Shiwei, un village d’environ
1 000 ménages qui n’est séparé de la Russie que par un pont.
Ce village fait partie du seul district russe du pays, et il est
habité principalement par des Chinois de cette origine ethnique.
Dans la famille où nous avons dormi, le maître et la maîtresse des
lieux sont les descendants de la troisième génération d’un mariage
sino-russe, et à regarder leur fille de 20 ans, il est bien
difficile de dire si elle est Russe ou Chinoise. Sur le plan alimentaire,
ces gens ont gardé beaucoup de coutumes russes, et nous avons eu
droit à un copieux repas mi-occidental (entre autres, purée de pommes
de terre, galettes de bœuf haché et pain maison) et mi-chinois (plus
de huit plats, ce qui est une coutume typiquement chinoise). Leur
maison en bois témoigne aussi de cette origine mixte. Ils vivent
dans une cour regroupant deux bâtiments : une grande et une
petite maison. La plus petite sert de cuisine et un gros four y
règne en maître, et la plus grande abrite le salon et les chambres
à coucher. La décoration est très colorée, avec des planchers en
bois peints, quantité de fleurs, des rideaux en dentelle et des
poupées à la russe. Dans ce village, paradoxalement, tout en ayant
l’impression d’être au bout du monde et à mille lieues du développement
urbain (il y a seulement une école primaire), on a pu sans problèmes
envoyer des documents par courrier électronique. Eh oui, il y avait
un café Internet qui, nous a-t-on dit, est ouvert 24 h sur
24… On les a crus sur parole, et dès l’aube, on a pu s’y pointer
pour envoyer à Beijing des documents attendus en urgence.
Le parc forestier Mo’erdaoga et les collines
de l’Ouest
Après avoir quitté Shiwei, les prairies n’étaient
plus qu’un souvenir : place aux forêts et aux côtes! Nous sommes
alors entrés dans le parc forestier Mo’erdaoga, un parc énorme qui
offre aussi des installations d’hébergement, les Villas Bailudao,
nichées dans une forêt dense et à proximité d’un cours d’eau. Après
s’y être installés, nous sommes allés admirer la rivière Jiliu qui
offre un panorama particulièrement exceptionnel : un cours
sinueux entre des berges boisées, de hautes montagnes en surplomb,
un ciel d’un bleu pur avec quelques nuages qui semblent s’attarder
au sommet des montagnes. Les amateurs de photos ont particulièrement
apprécié l’endroit. La seule ombre au tableau : les moustiques
y étaient omniprésents! Dans un environnement aussi calme, nous
avons dormi comme des loirs. Le lendemain, la poursuite du voyage
dans le parc a inclus aussi beaucoup de vues spectaculaires, dont
des arbres aux formes bizarres, la cueillette de petits fruits sauvages
et la découverte de fleurs et de végétations d’une beauté impressionnante.
De retour à Ergun, nous avons dîné dans un restaurant
situé sur le faîte des collines de l’Ouest de cette ville. De là,
nous avons pu découvrir à quel point les gens de l’endroit peuvent
profiter d’une nature grandiose, juste aux limites de leur ville.
En soirée, Qian Yuexia, la mairesse, nous a parlé avec conviction
d’Ergun et des projets qu’elle caresse pour en assurer le développement.
Selon ses dires, plus de 75 % du district qui relève de la
compétence de la ville sont constitués de forêts naturelles protégées,
et dans le district, la proportion de forêts et d’eau est plus élevée
qu’ailleurs en Chine. Avec sa faible densité de population (3 personnes
au km2) et ses vastes espaces, Ergun veut harmoniser
son développement à la protection de l’environnement et des ressources.
À quelqu’un qui lui aurait mentionné, un jour, que la compétitivité
économique du district semblait un peu faible, la mairesse aurait
rétorqué qu’il devait sûrement y avoir une erreur dans ses calculs.
Ici, lui aurait-elle dit, nous sommes riches de terres, de montagnes
et de minéraux. Et à Ergun, on semble prendre les mesures pour conserver
cette richesse : dès l’école primaire, des cours sont donnés
sur la protection de l’environnement, et tous les fonctionnaires
reçoivent une formation en la matière. Dire que la mairesse va réaliser
à coup sûr tous ses projets serait présomptueux, mais sa détermination
n’a d’égale que la beauté de l’environnement qu’elle s’est donné
pour mission de préserver.

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