Janvier 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Ergun, d’un point minuscule à l’immensité

LOUISE CADIEUX

Si vous cherchez Ergun sur une carte de Chine, vous ne trouverez qu’un point minuscule situé dans l’extrémité nord de la Mongolie intérieure, à la frontière de la Russie. Mais si vous vous y rendez, vous découvrirez que c’est l’un des endroits où la notion d’immensité prend vraiment tout son sens.

De Beijing à Hailar, la ville ayant une liaison ferroviaire située le plus près d’Ergun, il faut 28 heures de train. Pendant la plupart de ces heures défilent champs de maïs après champs de maïs, boisés touffus et petits cours d’eau au-dessus desquels voltigent différents types d’oiseaux. Dans notre groupe de 86 amateurs de grande nature, beaucoup ont déjà le nez rivé à la fenêtre du wagon ou passent leur temps à tenter d’identifier les « créatures ailées » qu’ils viennent de voir à l’aide de leur manuel d’ornithologie.  Les conversations sont animées et quelques membres ont même décidé d’égayer la soirée de leur chant. Mais dès 21 h 30, les préposés ferment les lumières du wagon. Tous trouvent qu’il est vraiment un peu trop tôt pour dormir, mais c’est le lendemain que l’on comprendra pourquoi il fallait se coucher si tôt. En effet, dès 3 h 30, il fait pratiquement jour, et à 5 h, le soleil brille comme jamais. En matinée, le panorama n’a pas encore beaucoup changé, sauf que, en arrivant aux champs pétrolifères de Daqing, les vrais oiseaux ont cédé la place aux grosses pompes qui extraient sans cesse le pétrole. Puis, en milieu d’après-midi, c’est l’arrivée à Hailar.

Dès la descente du train, des autobus nous attendent pour nous conduire à Ergun, située à 128 km au nord-ouest de Hailar. Nous y passerons la première nuit dans un hôtel vraiment très confortable pour ce coin de pays si reculé, non sans s’être préalablement rendus à un pont, célèbre dans cette ville, pour le panorama qu’il offre sur les eaux pures de la rivière Ergun.

Les terres humides de Xiaogushan

Peu de temps après avoir quitté la ville d’Ergun le lendemain matin, c’est un paysage pastoral qui s’offre à nous : des collines verdoyantes qui ondulent, un ciel d’un bleu vraiment pur, des moutons, des vaches et des chevaux qui viennent mettre une touche de vie dans ce paysage de carte postale. Quand on imagine les steppes de Mongolie dans toute leur splendeur, avec une herbe qui pousse haute et drue, c’est là qu’on les retrouve!  Parfois, une maison entourée de parcelles de champs cultivés vient rompre ce décor à l’immensité quasi irréelle. Puis l’autobus se met à grimper, et au détour d’une pente, on aperçoit de vastes étendues de terres humides, nichées au creux d’une large vallée. Une petite rivière sinue au cœur de ces terres et crée des étangs entourés de hauts roseaux. Les canards, tranquilles, nagent dans l’un d’eux. C’est Xiaogushan, que certains experts chinois ont évalué comme étant les terres humides les mieux préservées de Chine, nous dit-on.

Puis, nous nous sommes arrêtés dans une ferme privée qui élève des chevaux. De là, les collines environnantes offrent un panorama à vol d’oiseau de l’ensemble des terres humides de la région, ce qui permet de constater que la rivière Ergun fait une ligne de démarcation entre ces dernières et les steppes. Aucun pont n’enjambe la rivière. Peut-être est-ce la raison pour laquelle cette zone est restée quasiment intacte. Peu avant l’heure du midi, nous avons navigué pendant une quarantaine de minutes sur la rivière Ergun, ce qui nous a permis d’admirer de plus près la vie d’un village russe situé tout juste de l’autre côté de la rive. Selon les guides locaux qui nous accompagnaient, des échanges commerciaux se font entre les deux rives, mais les contacts ne se limitent à peu près qu’à cela actuellement, puisque la circulation ne s’y fait pas librement. Mais à entendre ces guides, il est clair qu’ils sont bien loin d’envier le sort de leurs voisins russes…

Un berceau de différentes cultures

En 1214, Gengis Khan a offert cette région à l’un de ses frères qui a alors décidé d’y construire le château de Heishantou, sur les rives orientales de la rivière Ergun, au centre de son territoire.  Nous nous sommes arrêtés aux ruines de cet emplacement, mais les vestiges des murs du château se fondaient pratiquement dans la steppe environnante. Une plaque commémorative est à peu près la seule chose qui pouvait nous instruire sur le passé glorieux de l’endroit. Puis, nous sommes repartis en suivant toujours une section de la rivière Ergun qui coule sur plus 1 500 km. Les collines ont peu à peu cédé la place à des bois de pins et de bouleaux. Tout au cours de la journée, la route a été sinueuse et cahoteuse, mais ce paysage naturel si grandiose nous faisait facilement oublier tous les soubresauts de la route.

En fin d’après-midi, nous avons atteint Shiwei, un village d’environ 1 000 ménages qui n’est séparé de la Russie que par un pont.  Ce village fait partie du seul district russe du pays, et il est habité principalement par des Chinois de cette origine ethnique. Dans la famille où nous avons dormi, le maître et la maîtresse des lieux sont les descendants de la troisième génération d’un mariage sino-russe, et à regarder leur fille de 20 ans, il est bien difficile de dire si elle est Russe ou Chinoise. Sur le plan alimentaire, ces gens ont gardé beaucoup de coutumes russes, et nous avons eu droit à un copieux repas mi-occidental (entre autres, purée de pommes de terre, galettes de bœuf haché et pain maison) et mi-chinois (plus de huit plats, ce qui est une coutume typiquement chinoise). Leur maison en bois témoigne aussi de cette origine mixte. Ils vivent dans une cour regroupant deux bâtiments : une grande et une petite maison. La plus petite sert de cuisine et un gros four y règne en maître, et la plus grande abrite le salon et les chambres à coucher. La décoration est très colorée, avec des planchers en bois peints, quantité de fleurs, des rideaux en dentelle et des poupées à la russe. Dans ce village, paradoxalement, tout en ayant l’impression d’être au bout du monde et à mille lieues du développement urbain (il y a seulement une école primaire), on a pu sans problèmes envoyer des documents par courrier électronique. Eh oui, il y avait un café Internet qui, nous a-t-on dit, est ouvert 24 h sur 24… On les a crus sur parole, et dès l’aube, on a pu s’y pointer pour envoyer à Beijing des documents attendus en urgence.

Le parc forestier Mo’erdaoga et les collines de l’Ouest

Après avoir quitté Shiwei, les prairies n’étaient plus qu’un souvenir : place aux forêts et aux côtes! Nous sommes alors entrés dans le parc forestier Mo’erdaoga, un parc énorme qui offre aussi des installations d’hébergement, les Villas Bailudao, nichées dans une forêt dense et à proximité d’un cours d’eau. Après s’y être installés, nous sommes allés admirer la rivière Jiliu qui offre un panorama particulièrement exceptionnel : un cours sinueux entre des berges boisées, de hautes montagnes en surplomb, un ciel d’un bleu pur avec quelques nuages qui semblent s’attarder au sommet des montagnes. Les amateurs de photos ont particulièrement apprécié l’endroit. La seule ombre au tableau : les moustiques y étaient omniprésents! Dans un environnement aussi calme, nous avons dormi comme des loirs. Le lendemain, la poursuite du voyage dans le parc a inclus aussi beaucoup de vues spectaculaires, dont des arbres aux formes bizarres, la cueillette de petits fruits sauvages et la découverte de fleurs et de végétations d’une beauté impressionnante.

De retour à Ergun, nous avons dîné dans un restaurant situé sur le faîte des collines de l’Ouest de cette ville. De là, nous avons pu découvrir à quel point les gens de l’endroit peuvent profiter d’une nature grandiose, juste aux limites de leur ville. En soirée, Qian Yuexia, la mairesse, nous a parlé avec conviction d’Ergun et des projets qu’elle caresse pour en assurer le développement. Selon ses dires, plus de 75 % du district qui relève de la compétence de la ville sont constitués de forêts naturelles protégées, et dans le district, la proportion de forêts et d’eau est plus élevée qu’ailleurs en Chine. Avec sa faible densité de population (3 personnes au km2) et ses vastes espaces, Ergun veut harmoniser son développement à la protection de l’environnement et des ressources. À quelqu’un qui lui aurait mentionné, un jour, que la compétitivité économique du district semblait un peu faible, la mairesse aurait rétorqué qu’il devait sûrement y avoir une erreur dans ses calculs. Ici, lui aurait-elle dit, nous sommes riches de terres, de montagnes et de minéraux. Et à Ergun, on semble prendre les mesures pour conserver cette richesse : dès l’école primaire, des cours sont donnés sur la protection de l’environnement, et tous les fonctionnaires reçoivent une formation en la matière. Dire que la mairesse va réaliser à coup sûr tous ses projets serait présomptueux, mais sa détermination n’a d’égale que la beauté de l’environnement qu’elle s’est donné pour mission de préserver.