Janvier 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Les ponts « entremetteurs »

  

HUO JIANYING

« Sous les ponts de Paris… », dit la chanson connue. En Chine, les ponts ont aussi joué un rôle dans les histoires d’amour, comme en témoignent ces quelques histoires anciennes.

Beaucoup de Chinois ont encore toute fraîche en mémoire l’histoire romantique intitulée Le Bouvier et la Tisserande. Tant dans les villes que dans les campagnes, à la nuit tombée du septième jour de la septième lune (autour du 10 août du calendrier solaire), bien des Chinois n'ont d'yeux que pour la Voie lactée, si le temps est clair. Ils essayent de localiser l’étoile du Bouvier et celle de la Tisserande. Cette dernière est le nom populaire donné en Chine à l’étoile Véga de la Lyre. Elle est séparée de l’étoile du Bouvier par la Voie lactée; l’étoile du Bouvier et celle de la Tisserande se rencontrent une fois par an (justement le septième jour de la septième lune).Ces deux étoiles sont les patrons des amoureux. Cette soirée est alors baptisée la Qixi (la soirée du septième jour de la septième lune). Ayant une histoire de plusieurs siècles, la Qixi est considérée comme l’une des fêtes populaires transmises de génération en génération.

Le pont construit par des pies sur la Voie lactée

L’histoire du pont construit par des pies sur la Voie lactée et permettant au bouvier et à la tisserande de se rencontrer le septième jour de la septième lune est un conte populaire qui est souvent raconté aux enfants par leurs grands-mères.   

Le bouvier était orphelin, et depuis son enfance, il menait une vie pénible avec son frère et sa méchante belle-sœur. Après avoir épuisé les biens familiaux, le jeune bouvier vivait de son travail en s’appuyant sur son précieux bœuf. On disait que ce bœuf était un Immortel venu du Ciel. Ayant commis un crime, cet Immortel aurait été condamné à s'incarner dans le corps d'un bœuf et à travailler péniblement avec un paysan. En remerciement pour ses actions, le bouvier lui témoignait beaucoup de  sympathie. Le bœuf-divinité aurait donc décidé d’aider son maître à créer une famille heureuse.   

Une nuit, le bœuf apparut en rêve au bouvier, et il lui demanda d'aller, le lendemain, rencontrer la tisserande qui serait en train de se laver dans la Voie lactée. Le lendemain, les belles fées se baignaient en effet dans la Voie lactée. Le bouvier, caché dans les roseaux, s’empara des vêtements que la tisserande avait laissés sur la rive. Prises de panique, les autres fées se rhabillèrent et s’envolèrent, laissant toute seule la tisserande qui finit par accepter la demande du bouvier. Dès lors, la tisserande mena une vie heureuse avec le bouvier; l’homme labourait la terre et la femme tissait. Ils eurent deux enfants, un garçon et une fille, un an plus tard.

Avant de mourir, le vieux bœuf demanda au bouvier de garder sa peau qui pourrait lui être utile. Le couple enleva donc à contre-cœur la peau de l’animal mort et enterra sa carcasse sur un versant de la montagne. En apprenant le mariage de la tisserande avec le bouvier, l’empereur de Jade et la déesse furent tellement fâchés qu’ils ordonnèrent aux gardiens célestes de reprendre la tisserande. Profitant de l’absence du bouvier, les gardiens célestes emportèrent la tisserande. Ne voyant plus sa femme, le bouvier mit la peau du bœuf sur ses épaules, porta à la palanche ses deux enfants et se mit à la poursuite des gardiens. Au moment où le bouvier risquait de les rattraper, la déesse tira de sa chevelure une épingle d’or et fit un geste vers la Voie lactée qui, de peu profonde et limpide, devint immédiatement houleuse. Dès lors, le bouvier et la tisserande ne purent que se regarder de part et d’autre du cours d’eau, les larmes aux yeux. Émus par leur amour sincère, l’empereur de Jade et la déesse leur permirent de se rencontrer chaque année le septième jour du septième mois lunaire. Ce jour-là, les pies s’envolèrent vers le ciel et formèrent un pont enjambant la Voie lactée pour que le bouvier et la tisserande se rencontrent. La nuit, on peut entendre les murmures de ces deux amoureux sous une treille.

À l’époque des Han (206 av.J.-C.-220 apr. J.-C.), des briques sculptées montrent la constellation de l’étoile Véga de la Lyre séparée de l’étoile du Bouvier par la Voie lactée. À l’époque des Song (960-1279), on disait que les pies avaient perdu leur plumage le septième jour de la septième lune parce qu'elles avaient accompli un travail exténuant en construisant un pont. Après son adaptation pour le théâtre, ce conte s’est transmis par la littérature et par des œuvres d’art. Le pont construit par les pies (Queqiao) est devenu le thème illustrant de jeunes amoureux qui se rendent à un rendez-vous. La fête de la Qixi est aussi baptisée sous différents noms par les Chinois : fête des mendiants, fête des jeunes filles, fête de Shuangxing (deux étoiles) et la Saint-Valentin de Chine.   

La Qixi (soirée du septième jour du septième mois lunaire) est aussi appelée la rencontre des étoiles  puisque, d’après la légende, le Bouvier et la Tisserande (Véga) se rencontrent à ce moment-là. Dans son poème « Qixi », Wang Bo a mis sur le même plan la rencontre des étoiles et la mi-automne, les considérant comme les deux meilleurs moments de l’année pour les liens d’affection et d’amour. C’est aussi la raison pour laquelle on appelle le jour du mariage la « rencontre des étoiles ».

Le Bouvier et la Tisserande est un condensé de la misère des paysans et de la petite économie paysanne dans l’ancienne Chine. On s’extasie sur un pont construit par des pies dans un monde mystérieux. Le charme éternel des contes permettait aux paysans de rêver à un pays où ils seraient autosuffisants. Tous les membres de la famille vivraient ensemble en passant une vie heureuse.

L’histoire d’amour au pont Lanqiao

Dans la vraie vie, le pont Lanqiao a donné lieu à une autre histoire d’amour. Cette histoire fantastique a été adaptée pour le théâtre en comédie et en tragédie, mais c’est la tragédie qui est passée à la postérité. On dit qu’un lettré faisait la cour à Xiao Jia, une femme douée en tout. Au cours de leurs fréquentations, ces deux amoureux étaient unis comme les doigts de la main et s’étaient fiancés en cachette. Un jour, ils s’étaient donné rendez-vous sous le pont Lanqiao. Ce jour-là, le lettré, qui attendait sous le pont, a d’abord été surpris par une pluie torrentielle, puis englouti par un torrent en crue dévalant des montagnes. Entravée par cette pluie diluvienne, Xiao Jia brûlait d’impatience. Quand la pluie diminua, elle se précipita vers le pont. Voyant le cadavre de son fiancé, elle ne put  retenir ses larmes. Elle se suicida par amour à une extrémité du pont.

Cette tragédie d’amour, qui illustre la fidélité jusqu’au dernier souffle, s’est passée dans le district de Lantian au Shaanxi. D’une portée éducative, ce conte a été adapté pour le théâtre. 

D’autres histoires d’amour sous les ponts

À l’époque de la dynastie des Tang (618-907), le conte Pei Hang décrit l’histoire d’amour entre le lettré Pei Hang et la beauté Yun Ying. Pei Hang et Yun Ying s’étaient rencontrés au pont Lanqiao et étaient tombés amoureux l’un de l’autre. Finalement, ils se sont mariés après maintes complications.

Inscrite dans le Shiji (Mémoires historiques de Sima Qian), La Vie de Su Qin présente l’exemple d’un jeune homme fidèle à sa promesse. Su Qin est un politicien de l’époque des Royaumes combattants (476 -222 av. J.-C.) dont la plume a décrit Wei Sheng comme un jeune homme, fou d’amour. Un jour, ce dernier s’était rendu à un rendez-vous galant sous un pont. Cependant, on ne sait pas pourquoi, la jeune fille n’a pas tenu sa promesse. Fou d’amour, cet homme a tenu la sienne jusqu’à l’arrivée d’une grande inondation. Wei Sheng aurait alors saisi avec force un pieu en bois, mais aurait été submergé. Il faut dire qu’une grande majorité d’hommes s’opposèrent à ce genre de fidélité, et  il y en avait encore moins qui voulaient encourager cette conduite stupide.

Tournée dans les années 1940, la fiction amoureuse The Waterloo Bridge fut considérée comme l’un des trois grands classiques de l’histoire du cinéma. Pour la diffusion du film en Chine, le traducteur a bien réfléchi à la traduction du titre. Finalement, le nom de Hun Duan Lanqiao (L’âme brisée au pont Lanqiao) fut adopté avec succès. Ce nom chinois combine subtilement la civilisation traditionnelle chinoise avec une tragédie d’amour à l’occidentale.

La même situation a été appliquée pour le film américain Bridges of Madison County tourné dans les années 1990. C’est l’un des dix films ayant eu le plus d’influence sur ses spectateurs. Une fois projeté en Chine, ce film a aussi adopté un nom chinois significatif Lanqiao Yimeng (Un rêve laissé au pont Lanqiao).

Ce film de fiction décrit bien les sentiments des hommes de la classe moyenne envers leur famille et les contradictions qui existent entre les membres de la famille. L’intrigue, le déroulement de l’action et surtout le pont Lanqiao, où se passe l’histoire d’amour, ont laissé une impression profonde aux spectateurs.

Les ponts couverts

En Chine, dans les régions peuplées d’ethnies minoritaires, les ponts couverts sont non seulement des endroits pour se protéger de la pluie, mais sont aussi des lieux idéaux où les jeunes locaux se content fleurette.

Situé dans le district de Leixian du Guizhou, Langde est un beau village montagneux habité par les Miao. Les monts, les maisons sur pilotis et les cours d’eau forment un beau panorama. Sur la rivière, un pont en bois permet d’échapper au vent et à la pluie. C’est pour cette raison que les locaux l’appellent Fengyuqiao (pont contre la pluie et le vent) De génération en génération, les gens de l’endroit ont pris l’habitude de travailler du lever au coucher du soleil. Dès la nuit tombée, le silence règne dans le village.

À ce moment, pour se détendre, les personnes âgées fument, d’autres préfèrent boire de l’alcool. Cependant, la plupart des jeunes se hâtent de sortir de la maison pour participer aux divertissements qui ont lieu sur le pont Fengyu. Ils chantent et dansent et l’endroit est animé. Toutes ces activités permettent aux jeunes de mieux se connaître, et jour après jour,  le pont a donné naissance à de nombreux couples qui ont fondé une nouvelle famille.   

Dans la région autonome zhuang du Guangxi, les provinces du Jiangxi, du Fujian et du Zhejiang, les gens de l’endroit ont également construit des ponts couverts de différents styles. Aujourd’hui, d'anciens ponts de ces régions sont encore bien conservés.

Le district de Taishun au Zhejiang est considéré comme le pays du pont couvert. Une trentaine de ponts construits depuis le XIVe siècle sont bien conservés. Restauré en 1843, le pont Santiao a même mis au jour des briques de la dynastie des Tang (618-907). Dans le district de Qingyuan, il y a plus de 90 ponts antiques en bon état de conservation.

En réalité, la classification chinoise des ponts ne comprend pas le pont couvert (Langqiao). Langqiao est une appellation qui a été donnée par la population. En effet, dans la Chine antique, il y avait quatre catégories de ponts, dont le pont en arc, le pont suspendu, le pont de bateau et le pont en bois. Le pont couvert est donc une sorte de pont bien particulière qui jouait généralement un rôle ornemental, de protection et de commodité. Mais tout comme le pont construit par les pies sur la Voie lactée, en Chine, bien des ponts ont servi à nouer des liens conjugaux.