 
Les
ponts « entremetteurs »
  
HUO JIANYING
« Sous
les ponts de Paris… », dit la chanson connue. En Chine, les
ponts ont aussi joué un rôle dans les histoires d’amour, comme en
témoignent ces quelques histoires anciennes.
  
Beaucoup de Chinois ont encore toute fraîche
en mémoire l’histoire romantique intitulée Le Bouvier et la Tisserande.
Tant dans les villes que dans les campagnes, à la nuit tombée du
septième jour de la septième lune (autour du 10 août du calendrier
solaire), bien des Chinois n'ont d'yeux que pour la Voie lactée,
si le temps est clair. Ils essayent de localiser l’étoile du Bouvier
et celle de la Tisserande. Cette dernière est le nom populaire donné
en Chine à l’étoile Véga de la Lyre. Elle est séparée de l’étoile
du Bouvier par la Voie lactée; l’étoile du Bouvier et celle de la
Tisserande se rencontrent une fois par an (justement le septième
jour de la septième lune).Ces deux étoiles sont les patrons des
amoureux. Cette soirée est alors baptisée la Qixi (la soirée
du septième jour de la septième lune). Ayant une histoire de plusieurs
siècles, la Qixi est considérée comme l’une des fêtes populaires
transmises de génération en génération.
Le pont construit par des pies sur la Voie lactée
L’histoire du pont construit par des pies sur la Voie lactée et
permettant au bouvier et à la tisserande de se rencontrer le septième
jour de la septième lune est un conte populaire qui est souvent
raconté aux enfants par leurs grands-mères.
Le bouvier était orphelin, et depuis son enfance, il menait une
vie pénible avec son frère et sa méchante belle-sœur. Après avoir
épuisé les biens familiaux, le jeune bouvier vivait de son travail
en s’appuyant sur son précieux bœuf. On disait que ce bœuf était
un Immortel venu du Ciel. Ayant commis un crime, cet Immortel aurait
été condamné à s'incarner dans le corps d'un bœuf et à travailler
péniblement avec un paysan. En remerciement pour ses actions, le
bouvier lui témoignait beaucoup de sympathie. Le bœuf-divinité
aurait donc décidé d’aider son maître à créer une famille heureuse.
Une nuit, le bœuf apparut en rêve au bouvier, et
il lui demanda d'aller, le lendemain, rencontrer la tisserande qui
serait en train de se laver dans la Voie lactée. Le lendemain, les belles fées se baignaient en effet dans la Voie lactée. Le
bouvier, caché dans les roseaux, s’empara des vêtements que la tisserande
avait laissés sur la rive. Prises de panique, les autres fées se
rhabillèrent et s’envolèrent, laissant toute seule la tisserande
qui finit par accepter la demande du bouvier.
Dès lors, la tisserande mena une vie heureuse avec le bouvier; l’homme
labourait la terre et la femme tissait. Ils eurent deux enfants,
un garçon et une fille, un an plus tard.
Avant de mourir, le vieux bœuf demanda au bouvier de garder
sa peau qui pourrait lui être utile. Le couple enleva donc à contre-cœur
la peau de l’animal mort et enterra sa carcasse sur un versant de
la montagne. En apprenant le mariage de la tisserande avec le bouvier,
l’empereur de Jade et la déesse furent tellement fâchés qu’ils ordonnèrent
aux gardiens célestes de reprendre la tisserande. Profitant de l’absence
du bouvier, les gardiens célestes emportèrent la tisserande. Ne
voyant plus sa femme, le bouvier mit la peau du bœuf sur ses épaules,
porta à la palanche ses deux enfants et se mit à la poursuite des
gardiens. Au moment où le bouvier risquait de les rattraper, la
déesse tira de sa chevelure une épingle d’or et fit un geste vers
la Voie lactée qui, de peu profonde et limpide, devint immédiatement
houleuse. Dès lors, le bouvier et la tisserande ne purent que se
regarder de part et d’autre du cours d’eau, les larmes aux yeux.
Émus par leur amour sincère, l’empereur de Jade et la déesse leur
permirent de se rencontrer chaque année le septième jour du septième mois lunaire. Ce jour-là, les pies s’envolèrent
vers le ciel et formèrent un pont enjambant la Voie lactée pour
que le bouvier et la tisserande se rencontrent. La nuit, on peut
entendre les murmures de ces deux amoureux sous une treille.
À l’époque des Han (206 av.J.-C.-220 apr. J.-C.), des briques sculptées
montrent la constellation de l’étoile Véga de la Lyre séparée
de l’étoile du Bouvier par la Voie lactée. À l’époque des Song (960-1279),
on disait que les pies avaient perdu leur plumage le septième jour
de la septième lune parce qu'elles avaient accompli un travail exténuant
en construisant un pont. Après son adaptation pour le théâtre, ce
conte s’est transmis par la littérature et par des œuvres d’art.
Le pont construit par les pies (Queqiao) est devenu le thème
illustrant de jeunes amoureux qui se rendent à un rendez-vous. La
fête de la Qixi est aussi baptisée sous différents noms par les
Chinois : fête des mendiants, fête des jeunes filles, fête
de Shuangxing (deux étoiles) et la Saint-Valentin de Chine.
La Qixi (soirée du septième jour du septième mois lunaire) est
aussi appelée la rencontre des étoiles puisque, d’après la légende,
le Bouvier et la Tisserande (Véga) se rencontrent à ce moment-là.
Dans son poème « Qixi », Wang Bo a mis sur le même plan
la rencontre des étoiles et la mi-automne, les considérant comme
les deux meilleurs moments de l’année pour les liens d’affection
et d’amour. C’est aussi la raison pour laquelle on appelle le jour
du mariage la « rencontre des étoiles ».
Le Bouvier et la Tisserande est un condensé de la misère des paysans et de la petite économie paysanne
dans l’ancienne Chine. On s’extasie sur un pont construit par des
pies dans un monde mystérieux. Le charme éternel des contes permettait
aux paysans de rêver à un pays où ils seraient autosuffisants. Tous
les membres de la famille vivraient ensemble en passant une vie
heureuse.
L’histoire d’amour au pont Lanqiao
Dans la vraie vie, le pont Lanqiao a donné lieu à une autre histoire d’amour. Cette histoire fantastique a été
adaptée pour le théâtre en comédie et en tragédie, mais c’est la
tragédie qui est passée à la postérité. On dit qu’un lettré faisait
la cour à Xiao Jia, une femme douée en tout. Au cours de leurs fréquentations,
ces deux amoureux étaient unis comme les doigts de la main et s’étaient
fiancés en cachette. Un jour, ils s’étaient donné rendez-vous sous
le pont Lanqiao. Ce jour-là, le lettré, qui attendait sous le pont,
a d’abord été surpris par une pluie torrentielle, puis englouti
par un torrent en crue dévalant des montagnes. Entravée par cette
pluie diluvienne, Xiao Jia brûlait d’impatience. Quand la pluie
diminua, elle se précipita vers le pont. Voyant le cadavre de son
fiancé, elle ne put retenir ses larmes. Elle se suicida par amour à une extrémité
du pont.
Cette tragédie d’amour, qui illustre la fidélité jusqu’au dernier
souffle, s’est passée dans le district de Lantian au Shaanxi. D’une
portée éducative, ce conte a été adapté pour le théâtre.
D’autres histoires d’amour sous les ponts
À l’époque de la dynastie des Tang (618-907), le
conte Pei Hang décrit l’histoire d’amour entre le lettré
Pei Hang et la beauté Yun Ying. Pei Hang et Yun Ying s’étaient
rencontrés au pont Lanqiao et étaient tombés amoureux l’un de l’autre.
Finalement, ils se sont mariés après maintes complications.
Inscrite dans le Shiji (Mémoires historiques de Sima Qian),
La Vie de Su Qin présente l’exemple d’un jeune homme fidèle
à sa promesse. Su Qin est un politicien de l’époque des Royaumes
combattants (476 -222 av. J.-C.) dont la plume a décrit Wei Sheng
comme un jeune homme, fou d’amour. Un jour, ce dernier s’était rendu
à un rendez-vous galant sous un pont. Cependant, on ne sait pas
pourquoi, la jeune fille n’a pas tenu sa promesse. Fou d’amour,
cet homme a tenu la sienne jusqu’à l’arrivée d’une grande inondation.
Wei Sheng aurait alors saisi avec force un pieu en bois, mais aurait
été submergé. Il faut dire qu’une grande majorité d’hommes s’opposèrent
à ce genre de fidélité, et il y en avait encore moins qui voulaient
encourager cette conduite stupide.
Tournée dans les années 1940, la fiction amoureuse
The Waterloo Bridge fut considérée comme l’un des trois grands
classiques de l’histoire du cinéma. Pour la diffusion du film en
Chine, le traducteur a bien réfléchi à la traduction du titre. Finalement,
le nom de Hun Duan Lanqiao (L’âme brisée au pont Lanqiao)
fut adopté avec succès. Ce nom chinois combine subtilement la civilisation
traditionnelle chinoise avec une tragédie d’amour à l’occidentale.
La même situation a été appliquée pour le film américain
Bridges of Madison County tourné dans les années 1990. C’est
l’un des dix films ayant eu le plus d’influence sur ses spectateurs.
Une fois projeté en Chine, ce film a aussi adopté un nom chinois
significatif Lanqiao Yimeng (Un rêve laissé au pont Lanqiao).
Ce film de fiction décrit bien les sentiments des
hommes de la classe moyenne envers leur famille et les contradictions
qui existent entre les membres de la famille. L’intrigue, le déroulement
de l’action et surtout le pont Lanqiao, où se passe l’histoire d’amour,
ont laissé une impression profonde aux spectateurs.
Les ponts couverts
En Chine, dans les régions peuplées d’ethnies minoritaires,
les ponts couverts sont non seulement des endroits pour se protéger
de la pluie, mais sont aussi des lieux idéaux où les jeunes locaux
se content fleurette.
Situé dans le district de Leixian du Guizhou, Langde
est un beau village montagneux habité par les Miao. Les monts, les
maisons sur pilotis et les cours d’eau forment un beau panorama.
Sur la rivière, un pont en bois permet d’échapper au vent et à la
pluie. C’est pour cette raison que les locaux l’appellent Fengyuqiao
(pont contre la pluie et le vent) De génération en génération, les
gens de l’endroit ont pris l’habitude de travailler du lever au
coucher du soleil. Dès la nuit tombée, le silence règne dans le
village.
À ce moment, pour se détendre, les personnes âgées fument, d’autres
préfèrent boire de l’alcool. Cependant, la plupart des jeunes se
hâtent de sortir de la maison pour participer aux divertissements
qui ont lieu sur le pont Fengyu. Ils chantent et dansent
et l’endroit est animé. Toutes ces activités permettent aux jeunes
de mieux se connaître, et jour après jour, le pont a donné naissance
à de nombreux couples qui ont fondé une nouvelle famille.
Dans la région autonome zhuang du Guangxi, les provinces
du Jiangxi, du Fujian et du Zhejiang, les gens de l’endroit ont
également construit des ponts couverts de différents styles. Aujourd’hui,
d'anciens ponts de ces régions sont encore bien conservés.
Le district de Taishun au Zhejiang est considéré
comme le pays du pont couvert. Une trentaine de ponts construits
depuis le XIVe siècle sont bien conservés.
Restauré en 1843, le pont Santiao a même mis au jour des briques
de la dynastie des Tang (618-907). Dans le district de Qingyuan,
il y a plus de 90 ponts antiques en bon état de conservation.
En réalité, la classification chinoise des ponts ne comprend pas
le pont couvert (Langqiao). Langqiao est une appellation
qui a été donnée par la population. En effet, dans la Chine antique,
il y avait quatre catégories de ponts, dont le pont en arc, le pont
suspendu, le pont de bateau et le pont en bois. Le pont couvert
est donc une sorte de pont bien particulière qui jouait généralement
un rôle ornemental, de protection et de commodité. Mais tout comme
le pont construit par les pies sur la Voie lactée, en Chine, bien
des ponts ont servi à nouer des liens conjugaux.
  
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