Janvier 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Quelques réflexions sur Shaolin et ses arts martiaux

Daniel Cogez

 

Des arts martiaux jusqu’aux moines et aux jeux Olympiques, les réflexions de l’auteur nous font découvrir l’étonnante singularité du wushu du temple de Shaolin.

Les fusées saluent les visiteurs. La cérémonie d’accueil des personnalités au temple de Shaolin. La garde d’honneur des jeunes adeptes du wushu.

 

Un vétéran harnaché rejoint le temple de Shaolin.

À Zhengzhou, capitale de la province du Henan, s’est déroulé en octobre dernier le premier festival de wushu. Non loin de cette ville se dresse le monastère de Shaolin qui est le berceau du wushu et des arts martiaux en Chine. D’autres festivals de wushu ont été organisés en Chine, notamment à Hongkong, mais dans le Henan, c’était la première fois et l’événement revêtait une valeur symbolique puisque cette province à l’histoire millénaire est la mère patrie des arts martiaux.

Avant de faire un parallèle avec les sports de combat pratiqués en Occident, nous allons d’abord soulever un point crucial : l’inscription du wushu parmi les épreuves des futurs Jeux olympiques de 2008 à Beijing. Lors d’une conférence de presse organisée avant l’ouverture du festival à l’hôtel Songshan de Zhengzhou, nous avons appris que 2100 athlètes venant de 62 pays différents et représentant 160 associations de wushu allaient participer à la compétition. Un journaliste va alors poser la question essentielle et primordiale : « Est-ce que les arts martiaux deviendront une discipline olympique? » C’est évidemment pour les autorités chinoises un objectif et elles ont fait des démarches en ce sens.

Une allure martiale.

Mais il convient de réfléchir au rapport de force entre pays occidentaux et asiatiques, et l’on s’aperçoit très vite qu’il existe un déséquilibre. Il suffit de compter le nombre de représentants alignés dans la compétition par les pays occidentaux et celui des pays asiatiques pour comprendre que le rapport de force n’est pas le même. Si la Chine, avec Hongkong et Taiwan, peut aligner deux à trois cents représentants, la délégation de la France ne comptait que cinq représentants et celle de l’Allemagne, une dizaine de spécialistes du wushu. Certes, en qualité, certains représentants de l’Occident peuvent se mesurer à ceux des pays asiatiques et figurer au palmarès final, mais le poids du nombre mettra toujours en difficulté les sportifs occidentaux. Les seuls juges étant les membres du Comité international olympique, nous ne pouvions préjuger de leur décision au moment du festival, mais nous avons appris par la suite qu’ils n’ont pas accepté l’inscription du wushu.

La méconnaissance du wushu

Nés en Chine et pratiqués depuis plus d’un millier d’années dans ce pays, les arts martiaux, regroupés sous le terme de wushu, comptent de très nombreux adeptes : la seule province du Henan en recense 40 000; elle abrite aussi de très nombreuses écoles, dont les principales sont regroupées autour du monastère de Shaolin.

Il n’en est pas de même en Occident. Certes, les films de gongfu ont popularisé les arts martiaux, mais les clubs et associations où est enseigné le wushu sont peu nombreux. En France, il existe beaucoup de clubs de judo, de karaté et de taekwondo, mais le wushu à proprement parler est une discipline rare et peu répandue. Les Occidentaux pratiquent d’autres sports de combat qui ont un grand auditoire comme la boxe aux poings, le catch et la lutte gréco-romaine. En revanche, on assiste très rarement à des compétitions de wushu, et celles-ci ne rassemblent que quelques « aficionados ».

Les moines guerriers

Autre différence notable, en Occident, les moines se consacraient dans leurs abbayes et monastères au silence, à la méditation, à la prière, mais ne pratiquaient aucun exercice physique particulier ni a fortiori aucune activité guerrière. On mentionnera une seule exception : lorsque Saint Bernard prêcha la deuxième croisade pour la reconquête des lieux saints en Palestine au XIIe siècle, des moines guerriers s’étaient engagés aux côtés des seigneurs et des croisés. En dehors de cette exception, les moines s’occupaient de la culture de vignes pour faire du vin ou du champagne, de la fabrication de liqueurs, de bières ou de fromages, mais ils ne se livraient pas à des sports de combat comme ceux de Shaolin.

C’est pourquoi les arts martiaux du monastère de Shaolin constituent une singularité, car en dehors des rites religieux, les moines pratiquaient la boxe, le maniement d’armes et faisaient différents exercices physiques dont certains exigeaient une constitution robuste.

Le patrimoine culturel

Entre les civilisations européenne et asiatique, il y a cependant des convergences : d’abord celui des lieux de culte, puis celui de l’héritage culturel, la foi d’une part et le wushu transmis de génération en génération d’autre part. En France, les monastères sont tous bien entretenus et parfois sont inscrits à la liste du patrimoine mondial comme le célèbre mont St-Michel sur la côte normande. Et dans ces lieux de culte, la foi en Jésus-Christ avec son message d’amour de l’humanité y est, bien entendu, propagée et préservée. Les moines veillent sérieusement à la conservation des lieux de prières, qu’il s’agisse des abbayes de Citeaux, de Sénanques ou de la Bénédictine, pour ne citer que les plus célèbres.

Et de même en Chine, et surtout ces dernières années, un gros effort de préservation des monastères et des lieux de culte est entrepris. Au lieu d’être laissés à l’abandon, ils sont restaurés et bien entretenus, et nous avons pu le constater en différents endroits, tant aux abords de la capitale que d’autres grandes villes en province. Bien entendu, Shaolin ne fait pas exception.

Ensuite, les arts martiaux tels qu’ils se pratiquent en Chine, constituent un héritage culturel incontestable : ils correspondent à un état d’esprit propre à la Chine où l’on désire cultiver à la fois la bonne santé physique et mentale. Dans un pays respectueux des valeurs comme la Chine, l’efflorescence et le regain de vigueur des arts martiaux sont des signes de la vitalité d’une population qui se projette dans l’avenir en s’appuyant sur des bases très anciennes.

L’art martial du monastère de Shaolin, après avoir acquis une réputation nationale avec son histoire millénaire, sa diversité et sa perfection, devait acquérir une renommée internationale, et c’était précisément le but du premier festival de wushu organisé à Zhengzhou.

Situation et origine de Shaolin

Pour présenter Shaolin, nous citerons quelques extraits du Guide des arts martiaux édité à Beijing en 1991 par la Société d’édition en langues étrangères.

La boxe de Shaolin tient son nom du monastère où elle est née. Situé sur le versant ouest du mont Songshan, à 15 km du nord-ouest du district de Dengfeng, dans la province du Henan, au milieu d’une forêt de conifères sillonnée de ruisseaux murmurants, le monastère de Shaolin est entouré de montagnes. Sa situation sur le versant nord du mont Shaoshi, couvert d’une forêt touffue, lui a valu le nom de monastère de Shaolin, célèbre dans l’histoire aussi bien par ses sites pittoresques que par ses exploits militaires, d’où sa réputation de « premier monastère sous le ciel » et de « berceau des arts martiaux ».

Le monastère de Shaolin a été construit en l’an 495 sur l’ordre de l’empereur Xiaowen des Wei du Nord pour recevoir le moine indien Bhadra (bouddha) venu en Chine pour prêcher la religion. Ce temple a connu bien des vicissitudes en près de quinze siècles. Incendié et ravagé à plusieurs reprises, et notamment lors d’une révolte paysanne vers la fin des Sui (589-618), vers la fin des Yuan (1271-1368) et à une époque récente lors des conflits entre les seigneurs de guerre en 1928, il fut à chaque fois reconstruit. Le monastère de Shaolin, gravement endommagé au cours de son histoire millénaire, a fait peau neuve après la fondation de la République populaire de Chine grâce aux mesures de protection prises par le gouvernement et aux travaux de restauration effectués aux frais de l’État.

Des faits d’armes

Pourquoi la boxe de Shaolin est-elle si réputée? Parce qu’elle est liée à des faits d’armes du temps jadis. Selon de nombreux documents, le monastère de Shaolin a commencé dès les premiers jours l’entraînement aux arts martiaux. Son premier bonze supérieur, Bhadra, recrutait des jeunes physiquement aptes qui s’étaient initiés à ces arts, leur faisait raser le crâne et les entraînait à la boxe en robe de moine. Le second bonze supérieur, Chou, était à l’origine un petit bonze faible et malingre, souvent malmené par son entourage. De dépit, il se mit à s’entraîner à la boxe et acquit bientôt une force suffisante pour soulever des poids énormes et mettre à la raison ses offenseurs.

Les arts martiaux de Shaolin se firent connaître dès la fin des Sui. À l’appel du prince de Qin, Li Shimin, qui dirigeait alors une attaque punitive contre Wang Shichong à Luoyang, les moines de Shaolin, tous de grands boxeurs, se mirent à la tête de la population pour participer au combat. Leur premier exploit -la capture du neveu de Wang Shichong- aida Li Shimin à prendre Luoyang et à forcer Wang Shichong à la capitulation. Le prince de Qin décréta de leur offrir une récompense et d’inscrire leurs faits d’armes sur des stèles de pierre. Le monastère reçut en outre 270 ha de terres pour l’agrandissement des temples et organiser « les troupes de moines ». Dès lors, la boxe de Shaolin profita d’une renommée sans précédent et le monastère ne cessa de développer ses activités en arts martiaux. Pour renforcer leur capacité de combat, les moines-soldats de Shaolin se livrèrent à des entraînements toujours plus variés : boxe à mains nues, maniement d’armes, combat à cheval, combat de fantassins. Les brillants faits d’armes accomplis par les moines de Shaolin leur valurent l’honneur d’être recrutés à maintes reprises sous les drapeaux impériaux. En dehors des regrettables contributions à la répression des révoltes paysannes, ils ont également accompli des exploits héroïques dans la défense des frontières contre l’invasion étrangère. Citons en particulier l’émouvante anecdote de la lutte des moines contre les pirates japonais au XIVe siècle et de leur sacrifice héroïque pour le pays.

Selon les annales, l’art martial cultivé et vulgarisé par Shaolin comptait parmi les plus variés. En boxe, il y avait le changquan caractérisé par la rapidité des avances et des reculs, l’agilité dans le changement des mouvements, l’usage simultané des mains et des pieds; il y avait aussi des boxes de combat proches du genre de la boxe du Sud qui se distinguaient par la force et l’ampleur des mouvements, des coups de petite portée, mais vigoureux; des boxes d’exercice de la force intérieure telles que le rouquan (boxe souple) et le xingyiquan (boxe idéomorphologique) qui mettent l’accent sur l’entraînement de la volonté et de l’énergie vitale, les exercices respiratoires, l’usage simultané de la force et de la souplesse; la boxe Luohan, le houquan et autres figures variées, vivantes et dynamiques, aux gestes expressifs... En dehors du célèbre bâton de Shaolin, on s’entraînait à l’épée, au fouet, à la hallebarde et au sabre qui comptaient parmi les 18 armes usuelles. En même temps étaient pratiqués les exercices de zhuangong (force équilibrée), de yingong (force violente), de qinggong (force douce) et de qigong (force du souffle).