Le
798, pour l’amour de l’art
LI
YUE
  
Au moment où
le sort du complexe 798 semble incertain, notre reporter brosse
un tableau de la situation passée et actuelle du SOHO de Beijing.
La
zone de Jiuxianqiao, dans le nord-est de Beijing, était autrefois
un arrondissement spécialisé dans l’industrie électronique qui avait
été aménagé dans les années 1950. Cette étendue de vastes usines
est maintenant considérée comme le SOHO de Beijing.
En effet, Jiuxianqiao a été le site du premier
centre de fabrication de produits électroniques et a prospéré jusqu’au
début de la décennie 1990, alors que ses usines ont commencé à tomber
en désuétude. Fort heureusement, Jiuxianqiao n’a pas alors attiré
l’attention des investisseurs, et ses usines désertées ont échappé
à la démolition et ont été réparées. Aujourd’hui, celles-ci forment
le complexe d’ateliers d’art avant-gardiste le plus en vogue à Beijing,
et elles offrent aux artistes l’espace et la liberté de mouvement
dont ils ont besoin pour créer.
Le projet de construction d’une zone industrielle
de l’électronique à Jiuxianqiao a été complété avec l’aide de l’ex-Union
soviétique durant les années 1950, alors que sa conception et sa
construction avaient été effectuées par les ingénieurs de la République
démocratique d’Allemagne. Grâce à leur travail méticuleux, la zone
industrielle faisait fortement penser aux zones industrielles européennes.
À la façon militaire, les usines avaient été numérotées. En plus
de l’usine 798, il y avait la 718, la 706, la 707 et la 751. Elles
étaient toutes regroupées sous le vocable d’« Usine syndicale
798 ». Le style architectural à la touche historique du complexe
a attiré vivement les artistes qui y ont donné une nouvelle vie.
Le changement de vocation de 798
Le
complexe 798 s’est formé en 1995, alors que l’Académie centrale
des Beaux-Arts a loué l’ancienne usine no 798 pour
s’en servir comme atelier de sculpture. Cette usine, qui est maintenant
connue comme l’usine de sculptures, était très en vogue, et un nombre
grandissant de sculpteurs y sont venus pour installer leur atelier
dans ces vastes espaces.
En l’an 2000, Robert, un Étatsunien très actif
au sein des milieux artistiques de Beijing, est arrivé dans ce complexe,
et 798 a trouvé en lui un représentant officiel. Robert est spécialiste
de l’art chinois contemporain, et il œuvre à le présenter au monde
entier. Il a transformé la cantine de l’usine en une librairie d’art,
et cet endroit est devenu le repaire des artistes locaux. Sous la
recommandation de Robert, de plus en plus de gens sont venus établir
des ateliers d’art, des salles d’exposition et des galeries à 798.
En d’autres mots, il a introduit 798 au monde entier.
En 2002, tous les vastes bâtiments des anciennes
usines, dont quelques-uns ont plus de 1 000 m2,
étaient loués à des particuliers ou à des groupes d’artistes. Depuis
la tenue d’une exposition d’art de grande envergure en octobre 2002,
un plus vaste éventail d’occupants ont été attirés vers le 798.
Au début, quelques orchestres sont venus y présenter leur spectacle,
puis des bars, des restaurants et des boutiques d’avant-garde se
sont ajoutés, des maisons d’édition de magazines y ont même élu
domicile. En 2003, il y avait plus de 40 types d’entreprises
et 30 ateliers d’art dans la zone. Aujourd’hui, le complexe possède
20 000 m2 d’ateliers d’art, et tous servent
à la tenue de différents genres d’expositions et de séminaires.
On compare souvent l’endroit au district de SOHO à New York, où,
comme le rappelait le New York Times, des usines avaient
été préservées à leur état naturel.
En 2003, Beijing a figuré dans la liste annuelle
des villes du monde du magazine Newsweek, en raison du complexe
d’art 798 et en hommage à son existence et à son développement.
Les articles parus dans le Newsweek et le New York Times
ont attiré à Beijing beaucoup d’artistes étrangers, intrigués, ainsi
que des gens d’affaires qui sont venus constater ce phénomène de
leurs propres yeux.
En mai 2004, la première fête des arts non gouvernementale
s’est tenue au complexe 798, et plus de 30 activités artistiques
ont eu lieu à cette occasion. Parmi celles-ci, on trouvait beaucoup
de concepts multimédias d’avant-garde, de même que des concerts,
de la danse, du théâtre, des spectacles artistiques, ainsi que des
expositions d’architecture et de design. On y a tenu également quatre
festivals du cinéma et huit expositions de photos. Durant ce mois
animé, plus de 200 artistes bien connus du pays et de l’étranger
sont venus exposer leurs œuvres au 798. C’est vraiment en mai 2004
que l’art contemporain chinois a fini de se complaire dans une sorte
de narcissisme et a eu l’honnêteté de se dévoiler, tel qu’il est,
à un public international.
Un avenir incertain?
Les artistes qui ont habité ou travaillé au 798
sont déjà nostalgiques de son ambiance d’éloignement tranquille,
l’ouverture au public s’étant faite simplement pour assurer la survie
de l’usine.
La valeur marchande de cette ancienne zone industrielle
de banlieue a toutefois grimpé, de pair avec son développement en
tant que zone prometteuse de la ville, et l’on croit qu’elle vaut
maintenant des milliards de RMB. Au départ, les artistes louaient
des espaces à bon prix, mais depuis que la zone a commencé à prospérer,
les propriétaires ont commencé à hausser le prix de location. En
outre, Beijing songe à construire une nouvelle zone industrielle
de l’électronique qui va inclure l’Usine 798. D’une façon ou d’une
autre, que la zone se transforme en projet immobilier ou en un nouveau
pôle de l’électronique, les propriétaires ont l’intention d’y faire
le ménage. La plupart des contrats de location arrivent à échéance
l’année prochaine, ce qui laisse pointer des nuages sur le sort
du 798, car beaucoup d’artistes qui s’y trouvent actuellement
n’auront pas d’autre choix que de partir.
Huang Rui, récemment revenu du Japon, fait partie
d’un groupe de gens qui sont sur le point de publier un album de
photos intitulé 798 à Beijing. Tous les artistes qui
vivent au 798 ont participé à cet appel commun pour sauvegarder
le complexe d’usines. Ce groupe a également mis en place une équipe
de coordination qui inclut Robert dont les fonctions consistent
à servir d’intermédiaire avec les propriétaires.
L’un des propriétaires de boutiques est persuadé
que cette zone vouée à l’art ne sera pas démolie. « Les jeux
Olympiques auront lieu bientôt, et Beijing doit posséder des lieux
où il est possible de tenir des expositions sur la culture et l’art
contemporains. L’histoire se souviendra de quiconque tente de démolir
cette zone comme d’un criminel. Les gens d’ici sentent le besoin
de faire quelque chose pour préserver l’Usine 798. »
Toutefois, certains artistes ne peuvent rien faire.
Le couple Sun Yuan et Peng Yu font partie des premiers artistes
qui y ont loué un atelier. Ce dernier a une superficie de 100 m2
et une hauteur de 10 m; il est divisé en espace d’habitation
et en espace de travail. Pour eux, c’est justement cela que signifie
798 : un espace de vie et de travail, et chaque jour, des journalistes
ou des passants frappent à leur porte pour admirer de plus près
leur travail.
« Je ne sais pas ce que ces gens s’attendent
de voir ou pourquoi ils imaginent que notre vie relève du domaine
public », dit Peng Yu.
Le couple prépare une exposition qui se tiendra
à Bruxelles. Lorsqu’on a soulevé la possibilité que cette zone artistique
soit démantelée ou que les prix de location y grimpent en flèche,
Sun est resté pragmatique. « Nous ne faisons que séjourner
ici, nous pouvons facilement trouver un autre endroit », dit-il.
On avait déjà commencé le travail de démolition
à l’Usine 798, mais le gouvernement a fait suspendre les travaux.
Pour sa part, Huang Rui déclare : « Je ne quitterai pas
ces lieux tant que les bouteurs ne seront pas arrivés pour les démolir ».
Cette remarque exprime bien les sentiments de la plupart des artistes
qui vivent au 798.
  
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