08/ 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

L’âge d’or dans l’harmonie

LISA CARDUCCI

Depuis au moins sept ans que je corresponds avec le Pr Gao Zisheng, au Yunnan. C’est lui qui a écrit le premier après avoir suivi ma série d’articles dans le TV Guide de la CCTV qu’il lisait fidèlement, en anglais. Répondant enfin à son invitation de longue date, j’ai fait le voyage de Beijing à Mengzi, via Kunming. Je suis arrivée chez lui pour l’interviewer un samedi à 15 h.

 

   
  Le couple Fu et Gao, avec Lei Mingzhen, chargée de la faculté d’anglais de l’université de Honghe. À 80 ans, le Pr Gao mesure encore ses forces en compagnie d’un fermier local.  

Pr Gao, vous préparez déjà le dîner?

Habituellement nous dînons à 18 h, mais ce poulet doit reposer dans sa sauce quelques heures.

Vous cuisinez souvent?

Fu Chuanren, son épouse : Il réussit bien mieux que moi. (Modestie des épouses chinoises? Sans doute, puisque les jours suivants me prouveront qu’elle a autant de talent que son mari.)

Gao : Voilà, c’est terminé. Assoyons-nous au salon.

Vous avez un très bel appartement. Je croyais que vous habitiez sur le campus de l’université.

J’ai encore l’appartement à l’université, et bien qu’il soit plus petit et ancien, je le préfère à celui-ci à cause de l’ambiance culturelle, et parce que, à 80 ans, on aime vivre parmi les jeunes.

Vous ne les paraissez pas! Vous ne portez même pas de verres pour lire!

Je me tiens en forme. Chaque matin je sors faire des exercices en plein air. Même après ma retraite, à 63 ans, j’ai continué de jouer au tennis, au badminton et au ping-pong avec les étudiants. Maintenant, c’est un peu trop. La bicyclette et la marche suffisent.

Et vous, Pr Fu?

Moi aussi. Je commence ma journée à 5 h par une demi-heure d’automassage. Ensuite, je vais faire du taiji dehors avec ma voisine de Shanghai. Lao Gao aime bien parler shanghaien avec elle.

Comment avez-vous donc appris le shanghaien?

J’ai vécu à Shanghai quelques années.

Vous êtes né au Fujian, vous êtes arrivé à Kunming, au Yunnan, à onze ans, vous avez passé six mois à Lijiang, quelques années au Guangdong, et vous êtes professeur d’anglais. Cela fait beaucoup de dialectes et de langues.

Il faudrait ajouter le dialecte du Sichuan et le russe.

Votre épouse parle-t-elle autant de langues?

Fu : Oh! non, je me contente du chinois et du dialecte local. C’est la philosophie, mon domaine.

Vous enseignez encore?

Fu : Bien sûr que non, j’ai 73 ans. J’ai pris ma retraite en 1993.

Je peux vous demander où vous vous êtes connus?

 
Devant la « Maison blanche » du gouvernement du département autonome miao, yi et hani de Honghe. es guo qiao mixian sont une spécialité née justement à Mengzi.

Fu : C’est une longue et belle histoire. J’étais veuve à 48 ans d’un professeur de chinois, avec trois enfants. Quand ma deuxième fille allait terminer ses études, j’ai pensé engager un professeur d’anglais pour lui donner des cours privés. Lao Gao avait été étiqueté « you pai » (droitiste) pendant la Révolution culturelle, et sa femme avait demandé le divorce. Il n’a pas revu son fils, qui avait alors dix ans, avant d’être réhabilité. Nous travaillions tous les deux dans la même institution, qui était alors une école normale avant de devenir, il y a deux ans, l’université de Honghe, du nom du département dont relève notre district de Mengzi. Enfin, ce sont nos collègues qui nous ont présentés, et nous nous sommes mariés deux ans plus tard, en 1983. Nous sommes très heureux depuis vingt-deux ans. Nous ne nous sommes jamais disputés, et nos quatre enfants sont aussi très unis.

Gao : Cet appartement de 90 m2, c’est notre fils qui nous l’a acheté.

Et votre anglais parfait, vous l’avez appris à l’étranger?

Pas du tout. D’abord, j’ai fréquenté une école fondée par des missionnaires protestants étrangers à Kunming. Et puis, j’ai été formé comme interprète pour l’armée étatsunienne. Mon professeur était des États-Unis; mon professeur de chant aussi.

De sa voix qu’il qualifie de « terrible », il entonne l’une après l’autre des chansons de soldats en anglais.

Combien de temps avez-vous travaillé comme interprète?

La victoire finale contre le Japon est arrivée tout de suite après mes études; je n’ai donc jamais eu à servir d’interprète.

Alors, vous êtes devenu professeur d’université.

Oh non! Une fois démobilisé, j’ai été assigné à une banque. Plus tard, je suis retourné aux études, ce qui m’a permis d’occuper ensuite un poste au gouvernement provincial. C’est là que j’ai rencontré Zhou Enlai. Fréquemment. Regardez cette photo avec lui. Je n’ai enseigné, en fait, que les dix dernières années avant ma retraite en 1989. J’avais fondé la faculté d’anglais trois ans avant. J’en ai été le premier doyen.

L’université de Honghe s’étend sur un vaste terrain merveilleusement aménagé. Quant aux installations sportives, elles sont superbes et complètes : immense piscine intérieure, gymnase parfaitement équipé, court de tennis… J’ai remarqué qu’on construit de nouveaux bâtiments. Quels sont les plans?

En 2000, il y avait environ le tiers du projet final de bâti. Cette année, les deux tiers. Nous avons 6 000 étudiants et un personnel de 600, enseignants et employés compris. D’ici deux ans, on devrait pouvoir accueillir 10 000 étudiants.

D’où viennent-ils? Et sont-ils pensionnaires?

La plupart sont de la province du Yunnan, et parmi eux se trouvent plusieurs ressortissants d’ethnies minoritaires. Nous leur demandons d’habiter sur le campus.

Les frais d’admission sont-ils moyens ou plus élevés qu’ailleurs?

Ils sont moins élevés, parce que Honghe n’est pas encore renommée.

C’est un grand honneur pour moi d’avoir été invitée à donner une conférence ici. J’ai été impressionnée d’avoir 500 auditeurs attentifs, dont une centaine debout, et une trentaine de professeurs venus de Gejiu, à environ 60 km, et de Jianshui, à plus de 70 km. J’ai aussi été impressionnée par la tenue des étudiants et la propreté des lieux. Revenons à nous. Vous avez fréquenté une école chrétienne; êtes-vous chrétien?

Mon père l’était. Et moi, je suis très près de Dieu. Mes meilleurs amis, dont plusieurs étrangers, sont chrétiens.

Croyez-vous que la religion ait un rôle à jouer dans la société?

Difficile à dire. Elle a une fonction de contrôle; elle limite les gens, les empêche d’aller trop loin.

Y a-t-il des chrétiens à Mengzi?

Bien sûr! Et une église. Vous voulez la visiter?

Quelle est la population du district?

Trois cent mille habitants, dont la moitié dans la partie urbaine.

Savez-vous que vous habitez une magnifique province, et que Mengzi, à 1 700 m au-dessus du niveau de la mer, entouré de montagnes qu’on peut voir de partout vu l’absence de pollution et l’espacement des bâtiments, est un endroit de rêve? Parlez-moi du climat local.

L’été, il peut faire jusqu’à 30°C; l’hiver, on descend parfois à 0°C. En général, la température est clémente. Comme vous l’avez constaté, nous n’avons pas besoin de chauffage ni d’air conditionné dans les logements. C’est une bonne somme d’épargnée. Notre eau chaude vient des barils exposés au soleil sur les toits.

Cela suffit pour la douche?

Oui, en toute saison, sauf si le ciel est nuageux quelques jours de suite. Alors, on fait chauffer de l’eau à l’intérieur.

Ce qui ne semble pas souvent le cas. Quel climat agréable, qui permet des fleurs partout! Pour la variété de ses paysages et sa végétation semi-tropicale, le Yunnan est une des plus belles provinces du pays. Je crois que Mengzi pourra bientôt s’élever au titre de ville.

D’autant plus (rires) que nous avons déjà notre Maison blanche! Nous irons la visiter ce soir.

Le gouvernement du département autonome hani, yi et miao de Hongze a fait construire un ensemble de bâtiments extravagant pour abriter ses bureaux où travaillent quelques milliers de personnes, sur un emplacement de 900 mu environ, soit 600 000 m2, presque autant que la Cité interdite (Palais impérial) de Beijing qui en couvre 720 000. D’énormes bassins ou des fontaines éclairées et multicolores dansent le soir, de vastes jardins déserts, dix-huit sculptures représentant symboliquement les ethnies de Honghe, et une autre sculpture devant, formée de la superposition de treize blocs de 1 m3, un pour chaque district de la préfecture. Ici, je me permets de déplorer cette dépense exagérée. Combien de nouveaux villages modernes n’aurait-on pu fournir aux populations ethniques des campagnes environnantes, tout en ménageant confort et élégance au gouvernement local. Honghe n’est ni un chef-lieu de province ni, encore moins, la capitale nationale, que je sache!

Pr Gao, je vois que vous continuez de collaborer avec votre université. Que faites-vous exactement?

Cette semaine, par exemple, j’ai eu à examiner trois candidatures de professeurs d’anglais et à rédiger un rapport pour chacune. On me respecte beaucoup et on fait souvent appel à mes services d’ailleurs.

Quelles sont vos activités personnelles?

J’aime beaucoup écouter de la musique classique, et lire, surtout en anglais, quand j’ai la chance de recevoir des livres. J’aime apprendre sur le monde extérieur. J’ai plusieurs amis étrangers avec qui je corresponds, et qui me rendent visite, comme vous, d’ailleurs. En 2001, mon ami de Hollande nous a invités pour trois semaines, à ses frais. D’Amsterdam, il nous a accompagnés en Belgique, en Angleterre et en Allemagne. Nous avons aussi passé quatre jours à Paris avec une agence de tourisme.

Sûrement un voyage que vous n’oublierez jamais, et je vous souhaite d’autres occasions.

Et vous, Pr Fu, comment occupez-vous votre temps?

Chaque matin, je me mets en forme, comme je vous l’ai dit. Une fois par semaine, je vais jouer au mahjong au club des retraités. De 2001 à 2003, j’ai suivi un cours de psychologie; j’ai passé les examens et obtenu mon certificat. Je lis aussi beaucoup. Si vous n’êtes pas fatiguée, nous pourrions aller au Xiao Nanhu (petit lac du Sud), et nous prendrions un bol de guo qiao mixian en chemin.

Proposition irrésistible! Et j’adore cette spécialité de Kunming.

Là, vous faites erreur. Ce mets est originaire de Mengzi, et le pont (« guo qiao » signifie traverser le pont) se trouve justement sur notre Nanhu. Selon la légende, une femme apportait chaque jour des nouilles à son mari qui travaillait dans les champs, mais quand elle arrivait, les nouilles étaient déjà froides. Elle a eu l’idée un jour de couvrir le bol de minces tranches de viande, et voilà comment est né ce mets.