08/2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Le rêve derrière l’éventail

LOUISE CADIEUX et HU CHUNHUA

Zhu Zhaokai est un calligraphe d’âge moyen, originaire de Cangzhou, province du Hebei, qui a décidé en 2002 de venir conquérir Beijing. Il a donc ouvert la boutique Moyuanzhai sur la rue Liulichang, un haut lieu de la capitale renommé pour ses boutiques d’antiquités et d’art. Il nous a ouvert les portes de sa boutique et… de ses rêves.

Pourquoi avez-vous décidé de venir vous installer à Beijing?

Beijing, c’est incontestablement le centre de la culture en Chine. À Cangzhou, des commerçants ou des hommes d’affaires venaient acheter mes calligraphies pour les revendre. J’ai donc décidé de venir m’occuper de cela moi-même. Un ami, le peintre Cui Tingyu, qu’on appelle le « roi de la peinture des pivoines », m’a beaucoup aidé dans ma démarche.

On m’a dit qu’il avait joué un rôle encore plus important pour vous. Est-ce exact?

Oh oui! Entre autres, c’est lui qui m’a permis de rencontrer celui qui m’a inspiré depuis toujours et qui est maintenant mon maître, Zhang Ruiling. Cet homme est reconnu comme le calligraphe chinois no 1 de style kaishu ou style régulier.

Comment cela s’est-il passé?

Un peu par hasard. Un jour, Cui Tingyu est entré dans ma boutique. Au cours de notre conversation, Zhu m’a demandé quel maître m’inspirait. Je me suis hâté de lui répondre : Zhang Ruiling. À ce moment-là, Cui a ouvert son éventail sur lequel il y avait une calligraphie. C’était incontestablement le style de Zhang. Je n’osais même pas penser pouvoir devenir son disciple, mais Zhu m’a dit qu’il m’aiderait à le rencontrer.

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Revenons à vos débuts pour mieux vous connaître. Êtes-vous issu d’une famille de calligraphes?

Pas comme tel, mais d’une famille qui aimait la culture. Mon grand-père est un grand révolutionnaire, mon père est cadre. Toute la famille aimait la peinture et la calligraphie. J’ai donc commencé à faire de la calligraphie à l’âge de 5 ans.

En si bas âge, pourquoi avoir choisi la calligraphie plutôt que la peinture?

Je ne sais pas. Depuis que je suis tout petit, j’aime les caractères chinois. Quand je sortais de la maison et que je voyais des caractères sur les enseignes, j’aimais beaucoup les regarder. Surtout les enseignes accrochées à la devanture des magasins. J’observais le style. Vous savez, les grands magasins ou les boutiques, lorsqu’ils accrochent des panneaux portant une calligraphie, c’est que celle-ci a été faite par quelqu’un de connu.

Avez-vous suivi des cours?

J’ai toujours été un autodidacte. J’ai commencé à suivre des cours seulement une fois arrivé à Beijing.

Avec Zhang Ruiling?

Oui, c’est cela. Comme je vous l’ai mentionné, peu après notre rencontre dans ma boutique, Cui m’a téléphoné en me disant que Zhang Ruiling allait assister à une réception à l’hôtel Huabei. C’était l’occasion idéale de me faire présenter. J’ai donc préparé deux rouleaux de calligraphies que j’allais lui remettre pour qu’il les évalue. Sur ces deux rouleaux, il y avait plus de 800 caractères tirés du poème Qing Yuan Chun Xue de Su Shi des Song (970-1279). Ce poème décrit un paysage de neige au Nord. Zhang Ruiling a examiné mes calligraphies pendant une journée entière, puis il a téléphoné à Cui et lui a dit : « Ce jeune a du talent, mais il devra encore faire des efforts ». Selon l’interprétation de Cui, cela voulait dire que j’avais de l’espoir! J’ai donc osé demander officiellement à Zhang Ruiling d’être son disciple, selon la coutume.

Quelle est cette façon traditionnelle?

 
  M. Zhu se prosterne devant Zhang Ruiling pour devenir son disciple.

À Beijing, si on suit le style d’un maître, on est son élève, mais pas son disciple. Si on veut devenir son disciple, on doit se prosterner devant le maître. Dans ce milieu, c’est comme cela.

Quel est l’apport d’un maître pour un calligraphe comme vous?

Au début d’une carrière, c’est impossible de créer son propre style. On doit suivre la technique de quelqu’un pour obtenir une base, copier en quelque sorte. Tout en guidant à respecter strictement la technique, un maître va aider à donner une belle forme aux caractères, mais aussi à affirmer le style pour qu’il soit bien personnalisé. Mon maître m’a dit : « Vous pouvez étudier mon art, mais pas l’imiter. »

Les étrangers connaissent peu la calligraphie. Que devraient-ils évaluer avant d’acheter une calligraphie qui les attire?

C’est difficile de donner des normes d’appréciation, chacun a son goût, et je comprends qu’il est difficile d’évaluer la beauté des caractères si on ne les connaît pas. Mais si quelqu’un se sent attiré par un caractère en particulier, il doit d’abord demander la signification à un interprète. Je crois que c’est essentiel. Puis, se renseigner sur l’histoire du calligraphe, demander s’il est célèbre, s’il a reçu des prix, s’il est reconnu par ses pairs. Ainsi, le client peut donc faire un achat éclairé.

Récemment, le calligraphe Dou Benji a exposé ses peintures et ses calligraphies à Paris. Il a dit que presque personne ne lui avait posé de questions sur ses calligraphies, alors qu’on en avait posé sur ses peintures. Que diriez-vous à ceux qui aimeraient découvrir et aimer vos calligraphies?

D’abord, que calligraphie et peinture forment l’un des quatre trésors de la Chine avec l’acupuncture, la médecine traditionnelle et l’opéra de Pékin. C’est une valeur sûre. Puis, je leur demanderais quel genre de caractères ils aiment, s’ils apprécient la poésie, par exemple. Ensuite, je leur expliquerais la signification des caractères en leur donnant quelques rudiments de calligraphie.

Vous avez dit que la calligraphie est plus difficile d’exécution que la peinture, que le tracé demande beaucoup de maîtrise. Est-ce cette difficulté qui lui confère sa valeur?

En quelque sorte. Si un peintre de talent s’exerce pendant dix ans, je crois qu’il va arriver à un très bon niveau d’exécution. Mais un calligraphe ne peut pas tout simplement laisser libre cours à son inspiration, car la technique est importante. Ainsi, après dix ans, vingt ans, voire trente ans, il ne sera pas nécessairement bon. Le calligraphe ne peut se baser que sur son talent. Quand un calligraphe est jeune, son travail exprime la vigueur et l’énergie, mais il n’est pas mûr. Puis à l’âge adulte, l’artiste entre vraiment dans son art, mais son style et son esprit n’ont pas nécessairement atteint la maturité. C’est avec l’âge que tout se perfectionne.

Quel est votre plus grand défi?

(Zhu répond avec beaucoup de conviction.) Arriver à être un calligraphe illimité, c’est-à-dire à pouvoir écrire un caractère exactement comme il est dans ma pensée et le faire comme cela, tous les jours.

Et votre plus grand espoir?

J’espère devenir un grand maître, même sur le plan théorique, et que mes pairs me reconnaissent comme tel. C’est pourquoi il est important de bien maîtriser la technique. Dans une calligraphie, chacun des caractères doit être complet et sans faute. Trop de calligraphes attachent beaucoup d’importance à la beauté, alors qu’il manque des éléments aux caractères qu’ils tracent.

Comment comptez-vous y arriver?

En conservant le mieux possible le style traditionnel, sans chercher à créer des caractères aux formes bizarres. Je suis perfectionniste de nature, cela va m’aider. Mais surtout, comme je le dis à mon fils lorsqu’il me demande conseil : il faut travailler avec cœur.