08/ 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Vivre avec les papillons...

DANIEL COGEZ

Paul-Louis Couailhac, professeur à l’Institut de diplomatie de Beijing, est aussi un entomologiste averti.
Une variété montagnarde superbe.
Un Sericinus, un exemple de gynandromorphisme : les ailes droites sont de sexe mâle, et les ailes gauches, de sexe femelle.

 

Vous me direz : c’est impossible, sauf en rêve, comme le fit Zhuangzi. Et pourtant, il y a un moyen de vivre avec la nature, c’est de partir chasser les papillons. En France, il y a une chanson populaire : « à la chasse aux papillons ». Cela fait paraître cette activité comme un divertissement léger, un loisir pur et ceux qui la pratiquent font figure d’enfants attardés, voire de rêveurs. Mais lorsque la passion aboutit à la collection de 100 000 pièces, dont certaines très rares, alors tout change. Nous entrons dans le domaine de l’entomologie.

Paul-Louis Couailhac, professeur de français à l’Institut de diplomatie de Beijing, a bien voulu ouvrir pour moi un horizon peuplé de papillons et m’a fait entrer dans un univers très particulier qui a quelques rapports avec le jeu ou les loisirs, mais qui en fait se révèle une science à part entière.

Avec un œil exercé et une science sans faille, Paul-Louis Couailhac sait distinguer une espèce d’une autre, une famille d’une autre et à plus forte raison un papillon mâle ou femelle. Il connaît l’origine, l’habitat, les mœurs et les habitudes de dizaines de milliers de papillons du monde entier, et en Chine, il continue de réunir documents et spécimens.

La faune chinoise

La faune chinoise fait partie du continent eurasiatique, mais le littoral chinois est proche d’archipels tropicaux et de ce fait les espèces tropicales se sont introduites dans le pays.

En Chine, on trouve les mêmes espèces qu’en France, telles que les machaons, les piérides, les vanesses et, dès que le climat s’y prête dans les régions plus chaudes, on découvre des espèces qui sont les cousines des grands « voiliers » australiens, les troïdes. Il existe en Chine des « populations » de papillons autochtones et des espèces rares, dont la plus célèbre est le Teinopalpus aureus qui est très protégé. Les Chinois l’appellent le papillon empereur, en raison des taches jaune or qui décorent ses ailes inférieures : c’est une sous-espèce d’un papillon himalayen venu de l’Assam jusque dans l’intérieur de la Chine. C’est un très beau papillon à cause des couleurs : le mâle a les ailes d’un jaune très prononcé et la femelle, une queue très originale. En Chine, il y a aussi un autre groupe très rare qui comporte les Agehana maraho et les Elwesi. Cette espèce de papillons est intéressante pour la phylogénie et ne fait pas l’objet d’une protection spéciale; on peut donc se poser des questions sur l’origine de la protection du Teinopalpus aureus.

Les espèces de papillons les plus menacées en Chine sont les papillons de nuit, victimes à la fois de la monoculture qui engendre automatiquement la disparition de certaines espèces et du fanatisme pour les éclairages lumineux. En Chine, dès qu’une rampe de néons est installée, le nombre de papillons de nuit qui viennent s’y agglutiner et mourir est considérable. De nombreuses espèces vont disparaître à court terme. Les villes chinoises sont remarquables par l’absence presque totale de papillons de nuit.

Parmi les autres espèces menacées, il y a celles vivant dans les montagnes et qui subissent de plein fouet les effets du réchauffement de la planète et de la montée de la pollution qui atteignent des régions où l’air était pur. Ces papillons sont sensibles aux matières polluantes et leur faculté de reproduction s’affaiblit. Ils sont protégés partout, sauf en Chine. C’est le cas des Parnassius dont plusieurs variétés n’ont pas été étudiées et répertoriées. Ils vivent dans des lieux peu accessibles et peu spectaculaires et ne semblent guère intéresser les chercheurs.

Trois zones de peuplement

La Chine occupe une position de confluence entre trois zones de peuplement : la zone continentale (Eurasie) ou holarctique, la zone indo-asiatique et la zone océanienne.

La différence de climat et de flore qui apparaît au niveau du Yangtsé marque la limite entre les zones holarctique et indo-asiatique. La façade littorale de la Chine a été colonisée par certaines espèces appartenant à la faune océanienne; les papillons ont sauté d’île en île depuis la Nouvelle-Guinée jusqu’aux îles de la Sonde et les Philippines avant d’atteindre le Japon et la Chine.

En ce qui concerne la région de Beijing, il n’existe plus une grande variété d’espèces en raison du manque de plantes nourricières. Il reste quelques papillons de la famille du machaon très résistant (le Sericinus, que l’on peut voir à Xiangshan), des Parnassius et plusieurs sortes de piérides. La rareté des papillons à Beijing ne désole pas les collectionneurs, car on peut trouver sur le marché toutes les espèces du monde au prix fort. Les vendeurs s’approvisionnent de façon compliquée, soit auprès de courtiers de Taiwan, soit auprès de Chinois d’outre-mer. L’avantage de ce système est que l’amateur de papillons peut obtenir toutes les espèces, mais l’inconvénient, c’est que les prix sont très élevés en raison du nombre d’intermédiaires. Ces derniers font peu de cas de la Convention de Washington sur les espèces protégées dont la Chine est signataire depuis 1981. Formellement, la Chine doit s’aligner sur les autres pays en matière de protection des papillons et c’est pourquoi le Parnassius apollo est très protégé, mais aucune espèce de papillon de nuit ne fait l’objet d’une protection particulière.

Quelques singularités

Parmi les espèces que Paul-Louis Couailhac a réussi à se procurer en Chine, il y a un exemple de gynandromorphisme. De quoi s’agit-il?

« La nature est une grande loterie. J’ai trouvé à Beijing un spécimen rare de femelle avec deux ailes dimorphes, les unes appartenant au sexe mâle (voir la photo, p.28) et deux autres au sexe femelle. C’est une curiosité physiologique, mais ce n’est pas exceptionnel. Il y a aussi une autre femelle dont le système de reproduction date certainement d’une époque très ancienne et qui est original. Elle a sur son abdomen une petite poche où le mâle dépose sa semence, et après l’avoir recueillie, la femelle s’autoféconde. Pour les autres espèces, la reproduction se réduit à une simple copulation. En naissant, une femelle porte tous les œufs de la génération future. Avec les phéromones (substance particulière et propre à chaque espèce), elle attire les mâles et sera fécondée peu de jours après sa naissance. Elle pond aussitôt puis va rejoindre ses congénères dans leurs bals postnuptiaux. »

Maintenant, si vous voulez en savoir plus sur les papillons tant de Chine que du monde entier, il suffit de prendre rendez-vous avec Paul-Louis Couailhac. Il vous entretiendra sur le sujet pendant des heures et ouvrira pour vous le « grand livre de la nature aux images somptueuses ». L’aventure commence avec un simple filet à papillons... et de la patience!