08/ 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

V. Santé, Tibet!

ZHANG HONG

La perspective des artistes chinois sur le Tibet et l’influence qu’exerce cette région sur leurs œuvres.

DANS les années 1980, un certain nombre de résidants de l’intérieur du pays sont devenus tellement captivés par l'aura mystique du Tibet qu'ils ont commencé à s'aventurer dans cette partie lointaine de la Chine. Beaucoup de ces premiers aventuriers étaient des peintres, des musiciens et des écrivains. Selon Ma Lihua, une auteure qui a habité presque 30 ans à Lhasa, à ce moment-là, cette ville avait la proportion la plus élevée d'artistes et d'écrivains de toutes les villes chinoises. L'artiste Cao Yong, qui habite maintenant aux États-Unis, indique : « Le Tibet est l’endroit où ma force vitale a jailli – le lieu qui m'a appris le vrai sens de la vie. »

 
  Yu Xiaodong (à g.) et Ma Yuan, 1995

La célébration de la jeunesse éternelle

Il y a dix ans, un artiste chinois du nom de Yu Xiaodong a créé une huile intitulée Santé,Tibet! Sans contredit, influencée par La dernière scène de Leonardo da Vinci, l’œuvre possède une forte connotation religieuse. Les 23 artistes, musiciens, poètes et écrivains qui y sont dépeints lèvent leurs verres. Tous sont originaires des régions intérieures, sont venus au Tibet dans les années 1980 et ont leur propre histoire.

Yu Xiaodong est venu au Tibet en 1986. Il a vécu dans une maison en adobe et a mangé à même un chaudron en fer énorme dans lequel les repas étaient cuisinés avec une pelle en fer. Il adorait le Tibet, avec son ciel vraiment bleu, ses nuages blancs, ses montagnes enneigées et son opéra local. Il y est resté jusqu'en 1997.

Santé, Tibet! a exercé une influence considérable sur la carrière artistique de Yu Xiaodong. Chaque personne représentée dans la peinture figurait dans les cercles artistiques et littéraires contemporains du Tibet et faisait partie de la Nouvelle Culture tibétaine qui était concentrée à Lhasa. La peinture de Yu Xiaodong a immortalisé ce moment-là, alors que ces jeunes artistes, conscients de l’évanescence de leur jeunesse et de l’imminence des responsabilités familiales et sociales, étaient toujours enflammés par leur expérience tibétaine, bien que résignés à un départ imminent vers un futur inconnu.

L'expérience de Yu Xiaodong au Tibet, avec son ciel bleu, son air frais et ses habitants à la conscience spirituelle marquée, a offert un thème artistique éternel. Lhasa ne manque jamais de le faire frémir et de l’inspirer.

 
   

Un mode de vie

Wen Pulin est venu au Tibet en 1986, également avec l’idée de peindre, mais il n'est pas resté assez longtemps pour se qualifier.

Diplômé de l'Institut central des Beaux-Arts, Wen a habité au Tibet de façon intermittente pendant une décennie. Il s’est lié d’amitié avec beaucoup de moines, a adopté un fils tibétain et a contribué à la construction de la salle à la mémoire du roi Gesar. Son premier séjour de deux mois en 1986 l’avait particulièrement impressionné, car c’était alors la première année où la fête du Shoton était rétablie. C'est une cérémonie grandiose au cours de laquelle un portrait géant de Bouddha est exposé à la lumière du soleil et exhibé. Wen a été témoin des milliers de Tibétains qui lançaient de l'argent enveloppé dans un hada sur le portrait. Wen a été ému aux larmes par l'ambiance de dévotion de cet événement de culte. L'année 1986 a également été celle où Wen a assisté pour la première fois à un opéra tibétain, présenté en plein air, par des femmes si belles qu'il n’osait même pas les regarder dans les yeux.

L’affinité profonde de Wen avec le Tibet a été scellée en 1989, lorsqu’il est allé à Qingpu pour y rencontrer des pèlerins. C’est grâce à eux qu'il a commencé à comprendre le sens du temps et de la vie. Il a passé ses jours les plus insouciants à Qingpu, sans penser au lendemain, à dormir chaque nuit dans les monastères et à voyager le jour avec une troupe d'opéra tibétain. Ses besoins quotidiens se limitaient à un sourire et à un bol de tsampa (farine d’orge grillée). C'est à peu près à cette époque que Wen a filmé son documentaire Qingpu. Wen interprète la culture tibétaine comme une qui regarde la mort en face. Pour les Tibétains, la vie est à peine plus qu'une préparation naturelle, insouciante et poétique à la mort.

Par la suite, Wen a tourné d’autres documentaires et a publié quelques brochures sur le Tibet. Récemment, il a été nommé rédacteur en chef de Humanité et Géographie du Tibet. Wen vit maintenant à Beijing, mais il estime que son coeur est toujours au Tibet.

 
   

Une source d'inspiration

« Si vous vous sentez en besoin de spiritualité, le Tibet ne vous laissera jamais tomber » exprime l’auteur Ma Yuan.

Il y a quelques années, on a publié la collection de nouvelles de Ma Yuan intitulée Petits hommes de Lhasa. Sur la couverture, on avait reproduit la peinture de Yu Xiaodong : Santé, Tibet ! Ma Yuan, un auteur représentatif de l’avant-garde, a habité sept ans au Tibet et est maintenant doyen du département de chinois de l'université Tongji de Shanghai. Ses écrits sur le Tibet ne représentent que le cinquième de ses œuvres, mais ils sont fortement associés à cet auteur.

Ma s’est rendu au Tibet après avoir obtenu un diplôme d'université en 1982. Il est rentré à la maison un an plus tard, rapportant les quatre histoires qu'il avait écrites. Cette année passée au Tibet a changé sa carrière littéraire. Sur le chemin de la maison, Ma a traversé le district de Guanxian du Sichuan. Comme il neigeait très fort, il s'est enfermé dans une chambre d'hôtel glaciale, et enveloppé dans une couette, il s’est mis à écrire. Puisque le monde réel semblait l'avoir abandonné, il est resté comme en transe pendant deux semaines, alors qu'il écrivait son livre La tentation des Gangdisê. Ce récit a été un best-seller et a marqué une étape importante dans l'histoire de l'école littéraire d'avant-garde de la Chine.

« Le Tibet est le monde des dieux, où une pierre invitera quelqu’un à la vénérer, et où un arbre attirera une foule à en faire le tour, tout en faisant tourner des moulins à prière, élevant ainsi l’âme vers un état de pureté », raconte Ma.

Puisque Ma vivait près de la station régionale de télévision, d’un ensemble de chants et danses et du palais du Potala, sa maison était devenue un lieu de rencontre pour les artistes de l’intérieur de la Chine. Un jour, un fonctionnaire tibétain avait dit en plaisantant à Ma Yuan : « J'ai entendu dire que votre maison est maintenant la FCLAC (Fédération des cercles littéraires et artistique de Chine). » Pour Ma Yuan, le Tibet est l'endroit où les salons littéraires existent dans le sens vrai du terme. Depuis qu’il a quitté le Tibet, Ma Yuan se sent vide et peu enclin à écrire.

Un chef de file de la mode

Comme les artistes se sentaient inspirés par le Tibet, leur public a développé un intérêt croissant pour la région et sa culture. Feu Chen Yifei a voyagé au Tibet en 2004 et a créé Les jours où il fait soleil. En 2005, l’œuvre s’est vendue 4,4 millions de yuans à une enchère au Qinghai. Le livre Parcourir le Tibet de Ma Lihua est devenu un guide pour les voyageurs au Tibet. Bien qu’il ait été réimprimé à maintes reprises, ce livre est encore difficile à trouver. Ma Lihua a récemment lancé son site Tibet-Web – le plus important site Web de Chine sur la culture tibétaine.

La musique tibétaine est populaire partout au pays. La chanson Le plateau Qinghai-Tibet est la chanson la plus largement diffusée dans l'ensemble de la Chine. Dans les grandes et moyennes villes, les produits tibétains sont chose courante : bannières de prière colorées, crânes de yak, masques de l'opéra tibétain, encens et divers ornements. La médecine tibétaine est également employée très fréquemment, car les gens de l’intérieur du pays la considèrent comme un condensé du mysticisme et de la culture du Tibet.